Réalisé par Fritz Lang
Avec
Willy Fritsch, Gerda Maurus et Klaus Pohl
Édité par Potemkine Films
L’hypothèse émise par le professeur Georg Manfeldt que la Lune pourrait receler d’importants gisements d’or avait été accueillie par les quolibets de la communauté scientifique, mais poussé deux ingénieurs, Wolf Helius et son ami Hans Windegger, à construire une fusée pour explorer notre satellite. Redoutant que l’hypothèse se vérifie, un consortium international cherche à faire échouer l’entreprise. La fusée finit par décoller avec, à son bord, les deux ingénieurs, Friede Velten, fiancée à Hans et amoureuse de Wolf, le professeur Manfeldt, un mystérieux Walter Turner, membre du consortium, et Gustav, un passager clandestin de 14 ans fan de bandes dessinées sur la conquête spatiale…
La Femme sur la Lune (Frau im Mond), avec les généreux moyens que lui donne la UFA après le succès de Les Espions (Spione, 1928), Fritz Lang adapte un roman écrit, dans la perspective de la réalisation d’un long métrage, par son épouse Thea von Harbou, autrice du scénario de tous ses films jusqu’à ce qu’il quitte l’Allemagne en 1933.
La Femme sur la Lune sera un des deniers films réalisés par Fritz Lang en Allemagne avant M le maudit (M - Eine Stadt sucht einen Mörder, 1931) et Le Testament du Dr. Mabuse (Das Testament des Dr. Mabuse, 1933). Il fuira le nazisme pour se réfugier en France où il tournera Liliom, avant de s’installer aux USA pour réaliser 24 longs métrages, avant de revenir en Europe, à partir de 1959, pour le tournage du diptyque Le Tigre du Bengale (Der Tiger von Eschnapur) et Le Tombeau Hindou (Das indische Grabmal).
La Femme sur la Lune est divisé en deux parties, on pourrait presque dire en deux films. La première, un thriller criminel rappelant Dr. Mabuse, le joueur (Dr. Mabuse, der Spieler, 1922), est centrée sur les tentatives de sabotage de l’expédition par des financiers dans l’ombre craignant que la découverte d’or sape leur influence en bouleversant l’équilibre économique mondial. La seconde partie, la plus longue (99 minutes contre 71), dans le registre de l’aventure, raconte le voyage et l’exploration de la Lune. Les relations au sein d’un triangle amoureux relient les deux parties.
La Femme sur la Lune, si on le compare au court métrage réalisé en 1902 par Georges Méliès, Le Voyage dans la Lune, frappe par son réalisme scientifique, assuré par les conseils techniques du physicien Hermann Oberth, inventeur de l’équation liant l’accroissement de vitesse d’un vaisseau spatial au rapport de sa masse initiale à sa masse finale. Le lancement, brillamment mis en scène, annonce une réalité future : le transfert sur rails avec son échafaudage d’une fusée à plusieurs étages propulsée par du carburant, le compte à rebours précédant le lancement à la verticale, le largage du propulseur principal, l’apesanteur, le retournement de la fusée pour son alunissage…
On retrouve dans la distribution trois acteurs vus dans Les Espions : Willy Fritsch, dans le rôle de Wolf Helius, Gerda Maurus, dans celui de Friede, et Fritz Rasp (1891-1976), spécialisé dans les emplois de méchants, dans celui de « l’homme disant s’appeler Walter Turner ». Celui de Hans Windegger est tenu par Gustav von Wangenheim qui incarnait le héros de Nosferatu, une symphonie de l’horreur (Nosferatu, eine Symphonie des Grauens, F.W. Murnau, 1922). Klaus Pohl interprète le professeur Georg Manfeldt, un savant un peu fou préfigurant le professeur Tournesol. Georg Manfeldt est tout à ses débuts, à 14 ans, dans le rôle de Gustav, le passager clandestin.
La Femme sur la Lune, introuvable depuis des années, coédité, pour la première fois en haute définition, par Potemkine Films et MK2, a bénéficié d’une restauration commanditée en 2000 par la Fondation Wilhelm Friedrich Murnau, à partir d’un négatif conservé à Berlin et complétée en 2013 par L’Immagine Ritrovata après numérisation en 2K d’une copie-mère.
La Femme sur la Lune (170 minutes) et ses suppléments (46 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50 accompagné, dans cette édition combo, d’un DVD-9 contenant un des deux bonus. Les deux disques sont logés dans digipack à trois volets.
Le menu propose le film avec un accompagnement musical au piano au format audio DTS-HD Master Audio 2.0 stéréo (Dolby Digital 2.0 stéréo sur le DVD).
Sur la deuxième de couverture du digipack, un court texte d’Olivier Père, directeur général d’ARTE France Cinéma, souligne le particularisme de La Femme sur la Lune dans l’oeuvre de Fritz Lang, entre son exploration de la mythologie germanique et l’intérêt, marqué dès ses premiers films parlants, pour la société contemporaine.
Sur le seul Blu-ray :
En apesanteur (9’, Potemkine Films, La Bête Lumineuse, 2022), un beau texte de Julien Wautier et Céline Staskiewicz, critiques pour Revus et Corrigés. En 1902, Georges Méliès réalise, en marge du cinéma documentaire des frères Lumière, un grand succès de fiction, Le Voyage dans la Lune, l’astre si proche de la Terre « qu’il invite les cinéastes à aller y faire un tour ». L’aventure spatiale de Fritz Lang est « bien loin des fantaisies baroques de Méliès », avec une rigueur technique qui le rapproche du 2001 : L’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, au point, selon les dires de Fritz Lang, que la Gestapo aurait saisi les maquettes et schémas de la fusée tant ils ressemblaient à ceux des V1 et des V2 que l’Allemagne commençait à développer. Une rigueur sur la Terre que Fritz Lang abandonne sur la Lune, après une référence explicite aux épopées spatiales dévorées par Gustav dans le magazine des aventures du détective Nick Carter.
Sur les deux disques :
Entretien avec Bernard Eisenschitz (37’, Potemkine Films, La Bête Lumineuse, 2022), historien du cinéma, spécialiste de Fritz Lang. L’intérêt du public pour les aventures spatiales était le terrain propice à un scénario adapté du roman que venait d’écrire Thea von Harbou, ce qu’avait annoncé le succès de l’épisode d’un film produit par la UFA en 1924, Les Merveilles de l’univers. La UFA, pour optimiser les recettes à l’étranger, particulièrement aux USA, avait suggéré l’insertion de séquences sonores avec dialogues, ce que Fritz Lang refusa, son film ayant été réalisé selon la grammaire du muet. Il ne sortira aux USA qu’en 1931, avec une première partie réduite de 71 à 17 minutes, en même temps que Les Lumières de la ville (City Lights), le premier film sonore de Charles Chaplin. Bernard Eisenschitz passe en revue la distribution, et les personnages, notamment celui de Friede, dont « le visage de sainte » rappelle celui de Maria dans Metropolis, puis la vie et la carrière de Thea von Harbou. Le film précédent, Les Espions, est, selon lui, plus inventif et plus avancé dans l’utilisation du langage cinématographique. La Femme sur la Lune sortit en Allemagne en octobre 1929 au crépuscule de la République de Weimar. Le procès du tueur en série Peter Kürten va donner au cinéaste l’idée de son prochain film, M le maudit.
L’image (1080p, AVC) au ratio original de 1.33:1, après la restauration opérée en 2000 et la remasterisation de 2013, reste affectée par des taches, griffures, rayures verticales et par une instabilité lumineuse. Cependant, la qualité irréprochable de certaines séquences, la fermeté des contrastes, le contrôle du dégradé de gris, entre blancs lumineux et noirs denses, laissent une assez bonne impression d’ensemble. On doit aussi saluer la préservation du grain du 35 mm, en dépit d’une irrégularité occasionnelle.
Le son DTS-HD Master Audio 2.0 stéréo de l’accompagnement musical au piano n’appelle aucune réserve, sinon sur le plan artistique. Composé, interprété et enregistré en 2005 par Javier Pérez de Azpeitia, un peu trop démonstratif et invasif, il fait regretter la composition originale unanimement saluée de Denis Levaillant interprétée par l’Ensemble Intercontemporain pour une projection du film au Louvre en 1995, après une première restauration.
Crédits images : © Fritz Lang-Film, Universum Film