Matewan

Matewan (1987) : le test complet du Blu-ray

Édition Limitée

Réalisé par John Sayles
Avec Chris Cooper, Mary McDonnell et Will Oldham

Édité par Intersections Films

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Le 19/09/2024
Critique

Encore inédit en numérique, un grand film indépendant américain extrait du jeune catalogue d’un nouvel éditeur, Intersections.

Matewan

Les mineurs de la petite ville de Matewan, West Virginia, révoltés par les conditions de travail léonines imposées par la Stone Mountain Coal Company, se sont mis en grève au printemps de 1920. Leur employeur, pour briser le mouvement, a embauché des Afro-américains et des immigrés italiens et donné à l’agence Baldwin-Felts Detectives mandat d’expulser une famille d’une des maisons appartenant à la compagnie. Le maire Cabell Testerman, le chef de police Sid Hatfield, et Joe Kenehan, dépêché par le syndicat United Mine Workers of America (UMWA), s’opposent à eux…

Matewan, sorti en 1987, sélectionné par la Quinzaine des réalisateurs et au Festival du cinéma américain de Deauville, est le quatrième long métrage de l’acteur, scénariste et cinéaste indépendant John Sayles, réalisateur d’une vingtaine de films. Né en 1950, diplômé de psychologie, il a choisi de tenir quelques postes d’ouvrier avant de devenir « script doctor » et d’écrire plusieurs scénarios pour Roger Corman, le premier, celui de Piranhas en 1978, puis ceux de nombreux films de genre, tel Hurlements (The Howling, Joe Dante, 1981) et aussi de séries, comme L’Aliéniste (The Alienist, 2018-2020, 18 épisodes).

Foncièrement indépendant, il réalise en 1979, avec 30 000 dollars, un premier long métrage, Return of the Secaucus 7, bien accueilli par la critique, suivi de Lianna (1983), l’histoire d’une épouse insatisfaite tombant amoureuse d’une femme, de Baby It’s You (1983), la première histoire d’amour de deux lycéens, et de Brother : The Brother from Another Planet (1984), la découverte de Harlem par un extra-terrestre noir. Auteur de plusieurs romans, dont Union Dues, en 1977, sur le thème du syndicalisme, John Sayles écrira aussi en 1987 Thinking in Pictures: The Making of the Movie Matewan.

Avec une reconstitution fidèle des événements et l’attribution aux personnages principaux du nom des protagonistes de ce qu’on appellera le « massacre de Matewan », John Sayles fait passer un message : les différences ethniques et culturelles doivent s’effacer devant le sentiment d’appartenance à une même classe sociale, celle des ouvriers. Un message notamment transmis, au-delà des mots, par la scène où, dans le camp de toile des immigrés italiens, se joignent à la mandoline, le violon, puis l’harmonica pour symboliser l’union des Américains blancs et de ceux qu’ils voyaient comme des « jaunes » (scabs) : les immigrés italiens et les Afro-américains.

Matewan appuie sa crédibilité par le choix des lieux de tournage, tous situés dans l’état de West Virginia, principalement dans le village de Thurmond, aujourd’hui quasi-abandonné, mais encore traversé par des trains convoyant le charbon d’autres mines, ainsi que par une figuration essentiellement composée d’habitants du village et l’attention portée aux costumes et accessoires. Le réalisateur a également confié le rôle principal, celui de John Kenehan, à un inconnu, Chris Cooper qui, après une courte expérience du théâtre et une apparition dans deux séries, tient là son premier rôle au cinéma. À ses côtés, célèbre pour près de 200 apparitions sur les écrans, James Earl Jones, qui partagea avec Kevin Costner l’affiche de Jusqu’au bout du rêve (Field of Dreams, Phil Alden Robinson, 1989) et fut la voix de Darth Vader tout au long de la saga Star Wars. Nous avons appris sa disparition en écrivant ces lignes, le 9 septembre 2024.

Le réalisme de Matewan est encore renforcé par une mise en scène sans recherche d’effets et par la photographie naturaliste de Haskell Wexler, nommée pour l’Oscar de la meilleure photographie en 1988. Son talent avait été salué par deux Oscars, l’un en 1967 pour Qui a peur de Virginia Woolf ? (Who’s Afraid of Virginia Woolf? , Mike Nichols), l’autre en 1977 pour En route pour la gloire (Bound for Glory, Hal Ashby).

On ne pourra qu’applaudir l’initiative d’Intersections, une société indépendante d’édition vidéo créée en 2022, d’inscrire parmi les tous premiers titres de son jeune catalogue deux grands films encore inédits en vidéo numérique, Maria’s Lovers (Andrei Konchalovsky, 1984) et Matewan, tous les deux accompagnés de bonus exclusifs.

Matewan

Présentation - 3,5 / 5

Matewan (133 minutes) et ses généreux suppléments (139 minutes, sans compter le commentaire audio) tiennent sur un Blu-ray BD-50 logé dans un boîtier épais de 14 mm, glissé dans un étui.

Le film est proposé dans ses langues d’origine, l’anglais et l’italien, avec sous-titres optionnels, et dans un doublage en français, les deux au format audio DTS-HD Master Audio 1.0.

Un livret de 22 pages, illustré de photos en noir et blanc, contient Une hérésie américaine, le regard de Damien Bonelli (Cahiers du cinéma, Critikat) sur un film qui « subvertit les codes du western (…) une variation intimiste sur La Porte du paradis », une histoire « d’héroïsme sans héros » où l’union syndicale apparaît comme « une hérésie au regard du dogme individualiste sur lequel s’arc-boutent les États-Unis ». « Un matérialisme historique admirablement traduit par une mise en scène, cette grande oubliée des films de Sayles, parfois décriés comme ceux d’un romancier passé derrière la caméra »… Suivent le facsimile de quelques pages du scénario et du storyboard et une note sur la restauration.

Bonus - 5,0 / 5

Commentaire audio de John Sayles & Haskell Wexler (anglais, sous-titré). Le réalisateur et le chef-opérateur, après avoir indiqué que certaines scènes furent tournées dans la mine de charbon de Beckley devenue un musée, rappellent les conditions de travail des mineurs, les grèves soutenues par le syndicat UMW, leur résistance, particulièrement à Matewan en 1920. Ils fournissent, de plus, des informations détaillées sur la réalisation, les éclairages, les costumes et accessoires (dont un train à vapeur), les lieux de tournage… ainsi que sur les acteurs, la participation d’habitants de Thurmond dans la figuration… Tout en respectant la vérité historique, John Sayles dit avoir voulu mettre en avant les hommes et les femmes.

Introduction à l’édition française film par John Sayles et Maggie Renzi (41”).

Entretien avec John Sayles (63’, anglais, sous-titré, 2023, Intersections). Les grévistes de Matewan savaient qu’ils n’avaient aucune chance de s’en sortir s’ils ne restaient pas soudés. Impossible d’oublier la religion dans les régions minières de West Virginia et du Kentucky « où il y avait autant d’églises que de cafés », avec des pasteurs souvent payés par les compagnies minières, soutenant généralement l’ordre établi, rarement sa remise en cause. Il s’est profondément documenté sur Joe Kenehan, « un personnage complexe (…) un pacifiste concerné par les ouvriers les moins qualifiés » qui lui a donné l’envie du film. Il rappelle le choix de Chris Cooper, le repérage de la quinzaine de lieux de tournage, la contribution de Haskell Wexler, photographe expérimenté habitué à travailler sous pression, le délicat planning des prises visant à assurer la cohérence de la lumière d’un lieu à l’autre, le souci d’aller vite pour rester dans un budget serré, son obsession de « diriger le talent des acteurs » pour qu’ils soient crédibles, la difficulté des prises de nuit, la postproduction, le montage de l’image et le mixage du son… Il reconnaît l’influence de westerns, notamment de L’Homme des vallées perdues (Shane, George Stevens, 1953) et Les Affameurs (Bend of the River, Anthony Mann, 1952) et, aussi, pour la fusillade finale, de La Nuit de San Lorenzo (La Notte di San Lorenzo, Paolo et Vittorio Taviani, 1982).

Entretien avec Maggie Renzi (26’, anglais, sous-titré). Matewan fut un défi ambitieux lancé par un jeune couple, un film en costumes en terre inconnue, dans une région délaissée, contrarié par un faux départ, la banque ayant dénoncé son accord d’un prêt. Une fois le financement assuré, John Sayles eut les coudées franches et la coopération de la communauté locale, reconnaissante qu’on s’intéresse à son histoire. Elle se souvient de son interprétation de Rosaria, alors qu’elle ne parlait pas l’italien, de l’invitation du film à la Quinzaine des réalisateurs où le film fut projeté avec une erreur dans l’ordre des bobines. Elle voit John Sayles comme « un défricheur têtu et passionné »…

Le cinéma de John Sayles, par Murielle Joudet (24’), critique (Le Monde), lauréate en 2023 du Prix du meilleur ouvrage français sur le cinéma du SFCC pour l’ouvrage Catherine Breillat - Je ne crois qu’en moi (Capricci). Dès l’écriture du scénario de Du rouge pour un truand (The Lady in Red, Lewis Teague, 1979), apparaît l’intérêt de John Sayles pour la lutte des classes, « le prisme au travers duquel il observe l’histoire de son pays (…) qu’il raconte du point de vue des lapins plutôt que des chasseurs » conscient que son cinéma, touchant à tous les genres, restera marginal. Ethnographe, il « exhume » des histoires chorales dans lesquelles le personnage principal est « plus un témoin qu’un héros » et les autres conscients que leurs différences doivent être « surmontées pour arriver à une solidarité de classe ».

Matewan et la contre-histoire, par Nathan Reneaud (23’), enseignant et journaliste cinéma. On trouve dans Union Dues la problématique de Matewan, précédemment l’objet d’un court métrage produit par le syndicat UMW, vite mis sous le boisseau, les éléments de Le Sel de la terre (Salt of the Earth, Herbert J. Biberman, 1954) sur la lutte des classes, un thème violemment rejeté par Hollywood au temps du maccarthysme. Matewan reprend, avec les codes du western, « l’histoire par le bas », celle vécue par les communautés populaires, identifiées dans le film par les instruments de musique et les chants, ce qui le rapproche de Heaven’s Gate. On y décèle l’influence du cinéma italien des années 60 et 70, comme Les Camarades (I Compagni, Mario Monicelli, 1963) ou La Nuit de San Lorenzo, avec une sorte de convergence entre religion et marxisme.

Une remarquable suite de quatre entretiens exclusifs produits et conduits par Gwendal Padovan, fondateur et dirigeant d’Intersections !

Bande-annonce (1’47”).

Matewan

Image - 5,0 / 5

L’image, au ratio d’origine de 1.85:1, après une restauration opérée à partir d’un scan 4K du négatif original 35 mm, celle utilisée pour l’édition Criterion de 2019, débarrassée de toute marque de dégradation de la pellicule, réencodée au standard 1080p, AVC, stable, agréablement contrastée, déploie une palette de couleurs délibérément froide avec une dominante de tons verts, une option qui doit répondre aux intentions du chef-opérateur qui a supervisé l’étalonnage, approuvé par le réalisateur. Un choix soutenant le réalisme du film, avec des scènes de nuit bien noire, sans la flatteuse dominante bleutée des filtres utilisés pour les nuits américaines.

Matewan

Son - 5,0 / 5

Le son mono d’origine, récupéré sur le négatif original, proposé au format DTS-HD Master Audio 1.0 (mentionné 2.0 sur la jaquette), très propre lui aussi, restitue avec clarté dialogues et musique dans un bon équilibre avec l’ambiance dont la présence est soutenue par une bonne dynamique.

Ce constat vaut aussi pour le doublage en français, assez pauvre en graves, réencodé au même format, à partir du master utilisé pour la VHS distribuée en France par Film Office.

Crédits images : © Cinecom Entertainment Group, Film Gallery., Goldcrest Films International, Red Dog Films, Winwood Productions

Configuration de test
  • Vidéo projecteur SONY VPL-VW790ES
  • Sony UBP-X800M2
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • Diagonale image 275 cm
Note du disque
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Philippe Gautreau
Le 23 septembre 2024
Intersections, un nouvel éditeur, nous propose le récit fidèle de la révolte, en 1920, de mineurs américains contre des conditions de travail léonines, un film majeur, encore inédit en vidéo numérique, du cinéaste indépendant John Sayles. À découvrir !

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