Réalisé par Andrei Konchalovsky
Avec
Nastassja Kinski, John Savage et Robert Mitchum
Édité par Intersections Films
Printemps 1946. Après être resté trois ans prisonnier dans un camp japonais, Ivan ne pense qu’à retrouver Maria, son amour de jeunesse dont le souvenir idéalisé lui a permis de survivre aux horreurs de la guerre. De retour chez lui, dans une petite ville industrielle de Pennsylvanie, il réalise que Maria est devenue une femme épanouie, courtisée par les hommes de la région. Et pourtant, elle accepte la demande en mariage d’Ivan… pour le meilleur et pour le pire.
Maria’s Lovers, sorti en France en octobre 1984, aux USA en janvier 1985, sélectionné à Venise pour le Lion d’or (attribué à L’Année du soleil calme / Rok spokojnego slonca, Krzysztof Zanussi) est, sur un scénario coécrit avec le scénariste Gérard Brach, le premier des six films qu’Andrei Konchalovsky, né à Moscou en 1937, s’exilera de 1980 à 1991 aux USA où il réalisera cinq autres longs métrages, Runaway Train (1985), sur un scénario d’Akira Kurosawa, Duo pour une soliste (Duet for One, 1988), Le Bayou (Shy People, 1987), Homer and Eddie (1989) et Tango & Cash (1989), son plus gros succès commercial, un film qu’il déteste.
Andrei Konchalovsky s’est imposé comme un grand réalisateur indépendant. Pourtant, certains de ses films majeurs restent inexplicablement absents de nos catalogues vidéo, au premier rang desquels Sibériade (Sibiriada, 1979), Grand prix du jury à Cannes, une imposante fresque retraçant la vie dans un village sibérien au long du XXe siècle.
She lives in your dreams, not in your body
Maria’s Lovers s’ouvre sur des extraits d’un documentaire réalisé en 1946 par John Huston, Let There Be Light, sur les traumatismes subis par des anciens combattants de la seconde guerre mondiale, commissionné par l’armée américaine qui s’opposera à sa distribution. Cette introduction donne implicitement la clé du blocage psychologique qui paralyse les relations sexuelles d’Ivan avec Maria.
Tourné au milieu d’une communauté serbe à Brownsville, une petite ville de Pennsylvanie au sud de Pittsburgh, Maria’s Lovers a d’évidents points communs avec le chef-d’oeuvre de Michael Cimino sorti en 1978, Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter).
Maria’s Lovers fit près d’un million d’entrées en France, un succès dû à la subtilité de la direction des acteurs et à la beauté de la photo du chef-opérateur mexicain Juan Luiz Anchía (Comme un chien enragé / At Close Range, James Foley, 1986, Engrenages / House of Games, David Mamet, 1987…).
Un autre atout majeur du film est sa distribution. Nastassja Kinski, devenue une star internationale après Tess (Roman Polanski, 1979), salué par trois Oscars, et Paris, Texas (Wim Wenders, 1984), récompensé par la Palme d’or, alors au sommet de sa carrière, n’a peut-être jamais été aussi bien dirigée, tout comme John Savage dans son interprétation particulièrement émouvante d’Ivan.
On est étonné de découvrir, dans une production modeste (autour d’un million de dollars), une si exceptionnelle distribution des rôles secondaires : Robert Mitchum, John Goodman, alors au début d’une longue carrière d’acteur, Keith Carradine et Vincent Spano qui eut une courte liaison avec Nastassja Kinski de laquelle naquit un enfant, un mois après la présentation du film à Cannes en mai 1984.
Les moyens limités n’ont pas empêché une reconstitution convaincante du milieu des années 40 aux USA, soulignée par des standards musicaux comme Sentimental Journey, In the Mood, Begin the Beguine… La belle chanson Maria’s Eyes, interprétée par Keith Carradine, a été composée par Andrei Konchalovsky.
On regrette toujours l’absence dans nos catalogues vidéo de près de la moitié des films d’Andrei Konchalovsky, particulièrement de Sibériade, une imposante saga comparable à Heimat (Heimat - Eine deutsche Chronik, 1984), l’histoire d’un village de Rhénanie de 1919 à 1982 racontée par Edgar Reitz. On a, toutefois, pu voir deux de ses films récents, Michel-Ange (Il Peccato, 2019) et Chers camarades ! (Dorogie tovarishchi, 2020), une implacable dénonciation de la brutalité de la dictature soviétique et de ses manipulations de la vérité.
La première édition vidéo numérique en France de Maria’s Lovers, après une restauration opérée en 2017, utilisée pour l’édition Code Red distribuée par Kino Lorber en janvier 2022, est due à l’initiative d’un éditeur indépendant né en 2022, Intersections, qui, à l’heure où nous écrivons ces lignes, propose dans son catalogue trois autres films d’auteur, Mad Dog Morgan (Philippe Mora, 1976), Matewan (John Sayles, 1987), tous deux également inédits, et Dingo (Rolf de Heer, 1992) dont la ressortie était depuis longtemps attendue. Chacune de ces éditions est enrichie d’un livret et de bonus vidéo, certains exclusifs.
Maria’s Lovers (109 minutes) et ses généreux suppléments (87 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50 logé dans un boîtier de 14 mm d’épaisseur, glissé dans un étui.
Le film est proposé dans sa langue originale, l’anglais, avec sous-titres optionnels, et dans un doublage en français, les deux au format audio DTS-HD Master Audio 1.0 (le menu indique 2.0).
Un livret de 26 pages, illustré d’une douzaine de photos du film, s’ouvre sur Nastassja Kinski, 1875-1984 : une odyssée d’amour et de désir, la revue par Justin Kwedi (DvdClassik) de la « décennie glorieuse » de la carrière de l’actrice, encadrée par deux films de Wim Wenders, Faux mouvement (Falsche Bewegung, 1975) et Paris, Texas (1984), en passant par Tess (1979), Coup de coeur (One from the Heart, Francis Ford Coppola, 1981), La Féline (Cat People, Paul Schrader, 1982), La Lune dans le caniveau (Jean-Jacques Beineix, 1983)… Sa performance dans « Maria’s Lovers apparaît comme une synthèse parfaite de toutes les identités de Nastassja Kinski. » Dans La Genèse du projet, un entretien avec Andrei Konchalovsky recueilli en juin 2023, le réalisateur rappelle le temps passé à Paris, d’où rien n’est sorti, puis aux USA où il a accepté, « pour vivre », d’enseigner le cinéma. Le désir, né en 1970, d’adapter une nouvelle d’Andrei Platonov a abouti au scénario de Maria’s Lovers, coécrit avec Gérard Brach, initialement situé au sortir de la première guerre mondiale… Il évoque ensuite sa rencontre avec Nastassja Kinski, devenue « la reine de Hollywood », à laquelle il confie le rôle de Maria qu’avait refusé Isabelle Adjani, puis la proposition inespérée de Menahem Golan de financer la production du film, sa collaboration aisée avec le chef-opérateur Juan Luiz Anchía, le montage… L’entretien se termine sur un bref regard sur sa filmographie dans laquelle Maria’s Lovers compte après Runaway Train et Sibériade.
Trois suppléments repris de l’édition Code Red de 2022 et trois bonus exclusifs.
Entretien avec John Savage (Kino Lorber, 2021, 6’). Il accepta le rôle d’Ivan dès sa première rencontre avec Andrei Konchalovsky, sans avoir lu le scénario. Le tournage, sans heurts, fut précédé de répétitions…
Entretien avec Vincent Spano (Kino Lorber, 2021, 16’). Le réalisateur russe réussit à souder l’équipe comme une famille. Il se souvient du plaisir éprouvé à jouer, à 20 ans, aux côtés de Robert Mitchum et John Savage, d’une blessure au pied qui explique son refus de danser dans une scène du film…
Maria’s Lovers par Olivier Père (Intersections, 2023, 30’), directeur de l’Unité cinéma à ARTE France. Andrei Konchalovsky eut, dès 1967, l’idée d’un film sur le « complexe de Vénus », l’attrait d’un homme pour une femme, si fort qu’il l’empêche de lui faire l’amour, un thème impensable dans le contexte puritain du réalisme socialiste soviétique. Le projet est relancé par sa rencontre en 1982, à Cannes, avec Menahem Golan, à la tête de Cannon, qui produira trois autres de ses films. Maria’s Lovers, situé au sein d’une communauté serbe, ne rompt pas avec l’oeuvre antérieure de Konchalovsky. Une belle réussite qui doit au talent du réalisateur, notamment à la subtilité de sa direction des acteurs. John Savage, « une étoile filante du cinéma américain », est là dans son meilleur rôle après Voyage au bout de l’enfer…
Michel Ciment à propos d’Andrei Konchalovsky (Intersections, 2023, 30’), auteur de Andrei Konchalovsky : Ni dissident, ni partisan, ni courtisan (Actes Sud, 2019), un recueil de ses entretiens avec le réalisateur. « La carrière de Konchalovsky se divise en trois grandes périodes ». La période soviétique, allant de 1965 avec Le Premier maître (Pervyy uchitel, 1965), sélectionné à Venise, jusqu’en 1979 avec Sibériade, « une grande fresque » (parfois comparée au Novecento de Bertolucci) qui le fait remarquer par Cannon et marque le départ de sa période américaine, faite de six films. Le reste de sa carrière se déroule en Russie. Il reste difficile à cataloguer et relativement peu connu en raison de la diversité de son oeuvre. Maria’s Lovers souligne l’intérêt de Konchalovsky pour l’intimité familiale dans un contexte historique et social, un thème récurrent de son cinéma, dès le début de sa carrière : Le Bonheur d’Assia (Istoriya Asi Klyachinoy, kotoraya lyubila, da ne vyshla zamuzh, 1966), dénonçant la misère des kolkhoses, fut distribué confidentiellement et interdit à l’exportation. Le réalisateur se tourna alors vers les adaptations littéraires, avec La Romance des amoureux (Romans o vlyublyonnykh, 1976), son plus grand succès commercial. Le contexte politique des histoires que racontent presque tous ses films réapparaîtra dès le premier long métrage qu’il réalisera en 1991 après son départ des USA, Le Cercle des intimes (The Inner Circle)… Un passionnant complément, enregistré cinq mois avant la disparition de Michel Ciment.
Message téléphonique promotionnel d’époque (3’) conçu par UGC pour la sortie du film en France, lu par Macha Béranger, accompagné par la chanson Maria’s Eyes, interprété par Keith Carradine.
Bande-annonce (1’35”).
L’image, au ratio d’origine de 1.85:1, encodée au standard 1080p AVC, dans l’ensemble très propre, stable, lumineuse et agréablement contrastée, d’une certaine douceur imputable à la source utilisée, un interpositif, déploie un réétalonnage proposant une délicate palette de couleurs délibérément désaturées. Une transformation agréable de l’original, probablement approuvée par le réalisateur. Le grain du 35 mm a été respectueusement préservé.
Une qualité d’image sans commune mesure avec celle de l’édition DVD sortie par MGM en 2008.
Le son mono d’origine, réencodé au format DTS-HD Master Audio 1.0, très propre lui aussi, restitue les dialogues avec la clarté attendue. L’ambiance bénéficie d’une assez bonne dynamique, vérifiée à l’occasion de deux passages d’un train.
Ce constat vaut pour le doublage en français qui place, comme trop souvent, les dialogues un peu trop en avant.
Crédits images : © Golan-Globus Productions, The Cannon Group