Réalisé par Paolo Cavara
Avec
Rossano Brazzi, Yves Klein et Henning Skaarup
Édité par Potemkine Films
Ce coffret Mondo Movies regroupe dans un coffret quatre films, Mondo cane (1962), Africa addio (1966), L’Occhio selvaggio (1967) et The Killing of America (1981), emblématiques d’un genre, entre documentaire et fiction, qu’on appela Mondo et qui fit florès… et scandale, sur toute la planète, dans les années 60 et 70.
Mondo cane, coréalisé par Gualtiero Jacopetti, Paolo Cavara et Franco Prosperi, présenté à Cannes en 1962, est le film fondateur du genre imaginé par Jacopetti consistant à montrer des pratiques insolites, de préférence choquantes, enregistrées dans plusieurs pays. Une scène de gavage des oies à Strasbourg, suivie par l’engraissement de boeufs à Kobé, débouche sur des jeunes femmes de l’archipel Bismarck, nourries dans des cages jusqu’à ce que l’obésité les rende suffisamment désirables, voilà un enchaînement de séquences emblématiques du genre. On voit aussi des taureaux lâchés dans la foule au Portugal, un mouroir à Singapour, des hommes et des femmes ivres-morts dans les rues de Hambourg, un cimetière d’animaux à Malibu, des hommes qui s’autoflagellent à Nocera Terinese, un village de Calabre, etc.
Africa addio, coréalisé par Gualtiero Jacopetti et Franco Prosperi, sorti en 1966, interdit en France, a été filmé pendant trois ans, en Afrique, au moment de la décolonisation, quand commencèrent les sanglants affrontement entre ethnies, les massacres perpétrés par les Mau-Maus en Afrique de l’Est ou par les Simbas dans l’ex-Congo Belge… C’est, de loin, le plus intéressant et aussi le plus insoutenable des films du coffret, particulièrement avec l’exécution en direct d’un guerrier simba par des mercenaires à la solde de Moïse Tshombé. Une séquence qui valut à Jacopetti d’être jugé pour complicité de crime de guerre, mais relaxé. Pour faire bonne mesure, le film montre des dizaines de cadavres de musulmans abattus au Zanzibar, un tas de mains coupées en Ouganda, des éléphants ou des hippopotames hérissés de sagaies, le massacre d’éléphants pour l’ivoire… « L’homme, le plus nuisible des animaux », conclut le commentateur.
L’Occhio selvaggio, sorti en 1967, distribué dans nos salles sous le titre La Cible dans l’oeil, bien que l’oeuvre de Paolo Cavara, coréalisateur de Mondo cane, le film matriciel du Mondo, sape tous les fondements du genre qu’il dénigre en affirmant qu’on peut plus efficacement choquer le spectateur par la supercherie des trucages qu’en lui montrant la réalité. Il reprend, en les détournant, certaines scènes connues d’autres films, notamment la scène de l’exécution d’Africa addio de Jacopetti, implicitement représenté par Philippe Leroy, l’acteur principal. Le dénigrement du genre, dont il reprend pourtant les ficelles, est la seule originalité de ce médiocre film.
The Killing of America, sorti en 1981, un montage d’archives réalisé par Sheldon Renan avec des commentaires écrits pas Leonard Schrader, scénariste de Blue Collar, un film de son frère Paul Schrader, sorti en 1978, dénonce la violence qui causait alors aux USA une mort toutes les 20 minutes. Le film s’ouvre sur l’attentat contre Donald Reagan, survenu le 30 mars 1981, cinq mois avant sa sortie, se poursuit avec l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, capté par le fameux plan 313 d’une vidéo prise par un spectateur, Abraham Zapruder, puis avec les assassinats de Lee Oswald, de Bob Kennedy, eux aussi filmés en direct. Viennent les meurtres de masse souvent commis pour des raisons obscures, « pour combattre l’ennui », dira l’un des snipers, ou par des illuminés comme Charles Manson ou Jim Jones, responsable de la mort de 900 personnes qui l’avaient suivi jusqu’au Guyana. De courtes esquisses de tueurs en série sont dessinées, notamment celle de Ted Bundy (autour de 36 victimes) et d’Ed Kemper, condamné à perpétuité pour dix assassinats, que Leonard Schrader avait pu interroger en 1981. Doté d’un impressionnant Q.I., Ed Kemper aurait inspiré le personnage de Hannibal Lecter.
Avec ses compléments, un livre dense, épais de près de 400 pages et plus de 4h30 de bonus vidéo en bonne partie exclusifs, le Coffret Mondo Movies est une édition tout à fait exceptionnelle, tant pour la nature des films qu’elle propose que pour la richesse de son contenu.
Les quatre films du coffret Mondo Movies, d’une durée totale de 428 minutes) et leurs suppléments (275 minutes) tiennent sur quatre Blu-ray BD-50 logés dans quatre Digipacks à deux volets. Ils sont contenus, en compagnie d’un livre de 392 pages au format 24 x 17, de deux réductions d’affiches au format 90 x 41,5 et d’un vinyle 45 tours, dans un épais cartonnage 31,5 x 24,5 épais de 4 cm, le tout avoisinant le poids respectable de 2 kg.
Les films sont proposés dans leur langue originale, les trois premiers en italien, le quatrième en anglais, avec sous-titres optionnels, au format audio DTS-HD Master Audio 2.0 stéréo. Seul L’Occhio selvaggio propose un doublage en français.
Le livre de 392 pages, intitulé Mondo Movies, reflets dans un oeil mort, est l’édition revue, corrigée et augmentée par Potemkine Films du livre, initialement paru en 2010, coécrit par Sébastien Gayraud, enseignant, romancier et essayiste, notamment auteur de Joe D’amato - le réalisateur fantôme (Artus Films, 2015), et par Maxime Lachaud, réalisateur, journaliste et historien du cinéma, notamment auteur de Redneck Movies : ruralité et dégénérescence dans le cinéma américain (Rouge profond, 2020). Le livre est divisé en deux grandes parties, Une tentative d’historique et Le Mondo Movie : une esthétique de la confrontation. Les origines du « chocumentaire » remontent aux débuts du cinématographe : Méliès, en 1906, dans Les Incendiaires, montrait des exécutions feintes. Mais les véritables créateurs du genre sont Jacopetti et Prosperi, « les maîtres italiens du Mondo Movie », un genre qui fit tache d’huile aux USA, fut poursuivi en Italie par les frères Castiglioni, puis par Antonio Climati et Mario Morra, avant d’envahir le reste de la planète. La seconde partie propose une analyse fouillée du genre et de ses thèmes, sans tabou, ce que révèle le titre de certains chapitres : « Corps sans organes, organes sans corps », « Chair exposée et chair à vendre », « La mort en face : sacrifices d’animaux et festins de sang ». Le livre explore aussi la forme : « Au plus près : le gros plan et l’image-choc », « Stratégies de choc et art du décalage », « Avant-garde, fragmentation, décontextualisation, déterritorialisation », les commentaires en voice over, souvent moralisateurs, l’accompagnement musical… Trois annexes complètent l’ouvrage : Mondo frosto, par Éric Peretti (coauteur de la série d’ouvrages Darkness, censure et cinéma), une interview autour de Des morts du documentariste Thierry Zéno par Maxime Lachaud et Le Mondo et le Festival Extrême par Frédéric Thibaut et Franck Lubet.
En petits caractères, richement illustré, notamment d’affiches, Mondo Movies, reflets dans un oeil mort est une impressionnante somme d’informations sur le genre !
Mondo cane : présentation et analyse de séquence par Sébastien Gayraud (2024, 11’). Film matriciel du genre Mondo, il reprend les concepts d’un film sexy italien, Il Mondo di notte (Luigi Vanzi, 1960). Jacopetti, voltairien, plaque un commentaire misanthropique sur toutes les scènes de rituels. Avec un commentaire de deux séquences, celle des flagellants de Calabre et du cargo cult en Nouvelle Guinée.
Le salon des horreurs, visite guidée dans l’univers Mondo, par Maxime Lachaud (2024, 20’). Mondo cane a entraîné une vague de films dans les années 60 et 70. Les Derniers cris de la savane, un des succès du genre, fit scandale en montrant un touriste dévoré par un lion, en réalité une supercherie. Les réalisateurs firent appel à des grands compositeurs (à Ennio Morricone pour I Malamondo). Incontournable, Africa addio, tourné en trois ans, fit scandale pour une exécution qui aurait été commise pour les besoins du film. La quête d’images choquantes avait déjà inspiré à François Reichenbach en 1960 L’Amérique insolite. Le document fait une revue de VHS et d’affiches et de photos du tournage « sur les atrocités du monde modernes », sur le cannibalisme, la maltraitance animale…
Cette liberté de chien, un film de Daniel Gouyette (2007, 95’). Gualtiero Jacopetti rappelle sa jeunesse en Toscane, son expérience de journaliste cinéma, son besoin de communiquer ce qu’il a vu. Franco Prosperi évoque sa jeunesse à Rome, son goût pour les voyages et l’ethnologie, sa participation à des explorations. Les deux se sont rencontrés pour le projet de Mondo cane pour lequel ils mirent en commun leur expérience du journalisme et de l’ethnologie. Ils soulignent la contribution d’Antonio Climati pour la photo et le rôle complémentaire de la musique, de la parole et de l’image. Ils rappellent les difficultés de tournage, avec un équipement lourd transporté par quatre Land Rover, la découverte fortuite de certaines scènes, l’importance du montage « qui crée le spectacle », assuré par Jacopetti, le commentaire délibérément ironique et narquois des films. Ils évoquent le succès commercial de Mondo cane, plutôt bien reçu par la critique en Italie, les fausses accusations proférées sur le tournage d’Africa addio…
Africa addio : présentation et analyse de séquence par Sébastien Gayraud (2024, 15’). Quatrième long métrage de Jacopetti et Prosperi, film essentiel du genre Mondo et majeur dans l’histoire du cinéma, il fit scandale à la suite d’un article de Carlo Grigoretti dans L’Espresso, intitulé « La Guerre du Congo aux ordres de Jacopetti » sur l’exécution d’un guerrier Simba par des mercenaires à la solde de Moïse Tshombé qui valut à Jacopetti une mise en examen. Le plan de la mort par balles en direct aura sur le cinéma italien la même influence que celui de l’assassinat capté par Abraham Zapruder sur le cinéma américain. Et aussi sur Pier Paolo Pasolini pour Carnet de notes pour une Orestie africaine et sur Michelangelo Antonioni pur Profession : reporter.
Le cercle des assassins : la sombre histoire de la décolonisation et d’Adieu Afrique, par Mathieu Kleyebe Abonnenc (2023, 50’). Le chroniqueur s’est intéressé à la décolonisation avec la lecture de la revue cubaine Tricontinentale qui épingla Africa addio, vu comme « une caisse de résonnance du discours colonial ». Le film suscita des manifestations antiracistes, notamment à Berlin. Après un entretien avec Franco Prosperi, il estime que des doutes existent sur le comportement de Jacopetti pendant le tournage de la scène de l’exécution et il trouve choquant le caractère sadique d’un film qui enferme le spectateur « dans le cercle des assassins ».
Mal d’Afrique, film de Daniel Gouyette (2007, 40’). Africa addio (1966) et Addio zio Tom (1971) révèlent, chez Jacopetti et Prosperi, la nostalgie d’une Afrique paradisiaque, d’une terre d’aventures et de liberté, qui sera ensuite déchirée par des rancoeurs entre ethnies qui firent des millions de morts, par une urbanisation excessive… Ils ont pu filmer, dans des conditions périlleuses, en capturant les rares images qui existent sur les drames qu’ont vécus des populations abandonnées par les nations qui les avaient colonisées. Ils sont restés choqués par les attaques contre le film, par les modifications des commentaires faites aux USA sans leur accord, par l’interdiction du film en France. Ils évoquent le tournage d’Addio zio Tom en Haïti à un moment où le pays tombait en ruines…
L’Afrique des rites : entretien avec les frères Angelo et Alfredo Castiglioni (2009, 20’). Sébastien Gayraud et Maxime Lachaud ont rencontré les frères Castiglioni, nés en 1937, aujourd’hui décédés, deux cinéastes importants du genre Mondo. Attirés par l’Afrique, ils ont rencontré Léopold Senghor qui leur a suggéré de rencontrer des griots, passeurs des traditions. Ils commentent une scène montrant, pendant la guerre entre deux villages, le meurtre d’un homme et le démembrement du cadavre. Ils évoquent le cannibalisme censé permettre l’appropriation des qualités du défunt… Avec des extraits de Africa ama, Magia nuda et Addio ultimo uomo.
L’Occhio selvaggio : présentation et analyse de séquence par Sébastien Gayraud (2024, 13’). Paolo Cavara, coréalisateur de Mondo cane, fait « une critique sombre de l’univers du Mondo (…) et de ses dérives », dont il reprend des scènes, notamment la scène d’exécution d’Africa addio. Le personnage principal, interprété par Philippe Leroy, abonné aux rôles de méchants, représente Gualtiero Jacopetti, et l’autre, incarné par Gabriele Tinti, le chef-opérateur Antonio Climati. L’Occhio selvaggio apporte une innovation au genre : il dévoile le hors-champ pour révéler l’effet traumatique des scènes sur le chef-opérateur, un « reaction shot » aujourd’hui fréquent dans les vidéos diffusées sur l’Internet.
Killing of America : présentation et analyse de séquence par Sébastien Gayraud (2024, 11’). Film assez méconnu de la vague tardive des Mondo, cette production japonaise, montre des morts en direct, dénonce la violence et profusion des armes à feu, avec une analyse de l’assassinat de JFK filmé par Zapruder.
Bonus caché.
L’image, au ratio originel de 1.33:1 pour The Killing of America, 1.37:1 pour Mondo cane, 2.35:1 pour Africa addio et L’Occhio selvaggio, réencodée au standard 1080p, AVC, restaurée, nous précise-t-on (et ça se vérifie !), stable, est d’une définition très acceptable, légèrement plus piquée dans le premier film que dans les deux suivants, lumineuse et fermement contrastée avec des noirs denses (qui ont tendance à occasionnellement se boucher dans L’Occhio selvaggio). L’image de The Killing of America, composé d’archives, varie selon la qualité des sources utilisées.
Le son mono d’origine, remasterisé au format DTS-HD Master Audio 2.0 stéréo, très propre lui aussi, assure la clarté des commentaires et des dialogues et délivre agréablement l’accompagnement musical, notamment les partitions symphoniques, avec toutefois quelques saturations pour L’Occhio selvaggio.
Crédits images : © Potemkine