Réalisé par Jean Renoir
Avec
Roland Toutain, Nora Gregor et Marcel Dalio
Édité par ESC Editions
L’aviateur André Jurieux vient de traverser l’Atlantique en solitaire pour conquérir le coeur de Christine, son amour éternel, qui a épousé le marquis de La Cheyniest, un aristocrate parisien. Celle-ci se montrant indifférente à l’exploit, Jurieux tente de se suicider. Son ami Octave le fait alors inviter chez Christine et son riche époux, pour une partie de chasse en Sologne…
La Règle du jeu, sorti à peine un mois avant la déclaration de la seconde guerre mondiale, est probablement l’oeuvre la plus personnelle de Jean Renoir, auréolé par la renommée mondiale de La Grande illusion (1937) qui lui ouvrira, dès 1941, les portes de Hollywood où il réalisera six longs métrages, dont deux films majeurs, L’Homme du Sud (The Southerner) en 1945 et Le Journal d’une femme de chambre (The Diary of a Chambermaid) en 1946, maintenant disponible dans une remarquable réédition.
La photographie de Jean Bachelet qui contribua à une douzaine de films de Jean Renoir jusqu’en 1939, dont Le Crime de Monsieur Lange et Les Bas-fonds en 1936, l’époustouflante virtuosité de la mise en scène, l’étourdissant déplacement des nombreux acteurs dans les décors du château, la fluidité des mouvements de caméra continuent d’étonner, à chaque nouveau visionnage.
Jean Renoir, auteur du scénario et des dialogues, producteur du film, incarne Octave, personnage pivot. On ne le verra que dans des emplois secondaires de deux autres de ses films, La Bête humaine (1946) et Une Partie de campagne (1946). Le scénario nous immerge dans la bourgeoisie aisée, le milieu dont est issu le réalisateur, un choix qui contribuera au dénigrement du film par la critique de gauche et aux réticences de celle de droite, dues aux sympathies qu’il affichait vis-à-vis du Parti communiste. Parallèlement, le scénario donne une large place au chassé-croisé amoureux parmi les domestiques.
La Règle du jeu réunit une riche distribution : Marcel Dalio dans le rôle du marquis, Gaston Modot, l’Homme de L’Âge d’Or de Luis Buñuel, Julien Carette retrouvant Jean Renoir après La Grande illusion et La Marseillaise, Roland Toutain, popularisé par son interprétation de Rouletabille dans deux films de Marcel L’Herbier, Le Mystère de la chambre jaune et Le Parfum de la Dame en noir, Mila Parély, la soeur de Belle dans La Belle et la Bête de Jean Cocteau, Paulette Dubost, dans un de ses premiers emplois de soubrette (dans une robe de Chanel !). Le rôle de Christine est tenu par Nora Gregor, une diva de l’opérette et l’épouse d’un prince autrichien.
La Règle du jeu, mal reçu par le public, avec des fauteuils cassés lors de la première le 8 juillet 1939, divisa la critique, fut amputé de 40 minutes, avant que sa valeur ne fût universellement reconnue après une reconstitution du montage originel en 1958. Ce « film cohérent tourné dans une panique totale » démontre l’inventivité de Jean Renoir, avec des déplacements complexes de personnages dans le cadre, des mouvements de caméra virtuoses et une qualité de dialogues symbolisée par l’inoubliable marque de reconnaissance adressée par le braconnier Marceau au marquis de La Cheyniest : « Monsieur a bien voulu m’élever en faisant de moi un domestique ».
Les cinéphiles apprécieront que le support UHD commence à accueillir, dans son catalogue de près d’un millier de titres, des films de patrimoine, tels (en vrac) que Le Charme discret de la bourgeoisie de Luis Buñuel, L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford, Citizen Kane d’Orson Welles, Chantons sous la pluie de Gene Kelly, Sexe, mensonges et vidéo et L’Anglais de Steven Soderbergh, La Double vie de Véronique de Krzysztof Kieślowski, The Servant de Joseph Losey, Ran d’Akira Kurosawa, Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville, À bout de souffle de Jean-Luc Godard, Les Affranchis de Martin Scorsese, La Vie est belle de Frank Capra… et de nombreux films d’Alfred Hitchcock et de Stanley Kubrick, et de quelques-uns de Ridley Scott et de François Truffaut.
La Règle du jeu (107 minutes) et son supplément (28 minutes) tiennent sur un disque 4K UHD logé, en compagnie d’un Blu-ray BD-50 avec le même contenu, dans un boîtier non fourni pour le test, effectué sur le seul disque UHD.
Le menu animé et musical propose le film au format audio DTS-HD Master Audio 2.0 mono.
Sous-titres anglais disponibles.
Jean Renoir, caméléon sur une couverture écossaise (1080p, ESC Éditions, 2022, 28’). Pascal Mérigeau, historien du cinéma, auteur de Jean Renoir (Flammarion, 2013), Prix Goncourt de la biographie, justifie le titre de son intervention par la capacité qu’avait Renoir, « un opportuniste génial (…) toujours avec ses personnages » à s’adapter à toute nouvelle situation, à innover, film après film : « il n’y a pas de méthode Renoir ». Fort du succès mondial de La Grande illusion, il réalise avec La Règle du jeu « un projet très personnel », un mélange de comédie et de drame, un marivaudage dépeignant son milieu, la bourgeoisie aisée. Il produit le film dans lequel il s’attribue le « rôle central » d’Octave. Le slogan de l’oeuvre, « un film qui ne ressemble à aucun autre », ne doit pas faire oublier que ce genre avait été utilisé à l’époque, par exemple par Yves Mirande en 1936 pour Sept hommes, une femme.
Un supplément intéressant, propre à cette édition 4K. Mais une offre de suppléments en retrait de celle de deux éditions Blu-ray sorties en 2011, l’une par les Éditions Montparnasse, l’autre par The Criterion Collection.
L’image (1.33:1, 4K HEVC 2160p - HR 10), restaurée en 2021par Hiventy, essentiellement à partir d’un contretype (le négatif original a été détruit par des bombardements pendant la seconde guerre mondiale), propose un gain sensible sur les éditions haute définition précédentes, celles sorties par Criterion en 2011 et par les Éditions Montparnasse en 2019.
Elle assure des contrastes fermes (peut-être un peu trop), avec des blancs lumineux et des noirs d’une densité que seule peut garantir l’UHD. Stable, elle a été débarrassée, dans le respect de la texture argentique, de toutes marques de dégradation de la pellicule, mais affiche un grain, parfois très grossier sur quelques aplats clairs, en particulier sur les fonds de ciels, par exemple lors de la rencontre de Marceau avec le marquis, à partir de 28 minutes. Ce défaut devrait pourtant pouvoir être corrigé pour une prochaine édition, par une réduction mesurée du grain pour approcher ce qu’on aurait pu obtenir à partir du négatif original.
Le son DTS-HD Master Audio 2.0 mono, restauré en 2021 par L.E. Diapason, très propre lui aussi, assure l’essentiel, la clarté des dialogues, occasionnellement étouffés. Les passages musicaux, dirigés par Roger Désormières, sont légèrement affectés par d’inévitables saturations.
Crédits images : © La Nouvelle Edition Française