Réalisé par Wim Wenders
Avec
Harry Dean Stanton, Nastassja Kinski et Dean Stockwell
Édité par Carlotta Films
En plein désert américain, près de la frontière du Mexique, un homme hagard s’avance, trébuchant dans la pierraille desséchée. Arrivé dans une station-service, il s’écroule, épuisé. Son frère le retrouve, après s’être demandé s’il n’était pas mort. Il avait, il y a quatre ans, disparu en abandonnant sa femme, Jane, et son petit garçon, Hunter…
Paris, Texas, sorti en 1984, une coproduction franco-allemande, fut tourné à Los Angeles et au Texas. Mais pas un plan n’a été pris à Paris, Texas, au grand désappointement des 25 000 habitants de ce village qui, avec une réplique de la tour Eiffel de 20 mètres de haut, coiffée par un chapeau de cow-boy rouge, se proclame « The second largest Paris in the world » !
Paris, Texas s’ouvre sur une scène insolite : vu des airs, un minuscule personnage se déplace lentement dans le Mojave Desert, à Big Bend, théâtre de nombreux westerns ; un aigle se pose sur un piton ; en se rapprochant du sol, la caméra révèle, posée comme le point sur un « i », une casquette rouge (presque chaque scène contient au moins un objet rouge vif), portée par un homme hagard, engoncé dans un sombre costume poussiéreux. Sous un soleil écrasant, il boit les dernières gouttes d’eau d’un bidon en plastique… Les attaques abruptes de la guitare électrique et les longs glissandi de la musique originale de Ry Cooder ajoutent à l’étrangeté de cette découverte d’un personnage que la caméra ne quittera plus.
Is four years a long time?
Il faut du temps à Travis pour se recomposer, revenir peu à peu dans le monde des vivants (nous ne saurons jamais où l’ont conduit quatre années d’errance), redécouvrir et apprivoiser son fils, retrouver Jane. Le récit progresse lentement, dans une succession de longs plans, comme celui où Travis traverse le pont qui enjambe une autoroute. Et pourtant, pas un instant la tension dramatique ne se relâche.
Le scénario de cette histoire toute simple a été inspiré par Motel Chronicles, un recueil de nouvelles de Sam Shepard, écrivain, auteur dramatique et acteur dans plus de cinquante films, dont l’excellent Frances (Graeme Clifford, 1982), Brothers (Jim Sheridan, 2009)…
Wim Wenders nous entraîne avec Paris, Texas le long des routes rectilignes et désolées du Texas, bordées de hangars en tôle ondulée, de panneaux publicitaires, de carcasses de voitures d’un autre âge avant de nous transporter dans les paysages verts et vallonnés des abords de Los Angeles, détaillés sur une extraordinaire profondeur de champ, puis au milieu des gratte-ciel de Houston.
Ce road movie ménage aussi de longs huis clos, dont le plus remarquable est celui, d’une durée de plus de vingt minutes, de la seconde rencontre de Travis et de Jane, séparés par la glace sans tain d’un peep show, filmé du côté où se trouve Travis, puis de l’autre côté du miroir, là où Jane, dans l’envers du décor, ne peut voir que son reflet dans le miroir, jusqu’à ce que l’éclairage de son habitacle soit éteint et que les deux visages finissent par se superposer, fantomatiques. Un très grand moment de cinéma qui doit beaucoup à Robby Müller (1940-2018) qui fut le chef-opérateur de près d’une dizaine de films de Wim Wenders, mais collabora aussi avec Jim Jarmusch pour Dead Man (1995) et Ghost Dog - La voie du Samouraï (Ghost Dog: The Way of the Samurai, 1999), avec Lars von Trier pour Breaking the Waves (1996) et Dancer in the Dark (2000), avec William Friedkin pour Police fédérale, Los Angeles (To Live and Die in L.A., 1987), avec Barbet Schroeder pour Barfly (1987)…
Wim Wenders retrouve ici Nastassja Kinski à laquelle il avait donné son premier rôle, à 14 ans, dans Faux mouvement (Falsche Bewegung, 1975). Il eut aussi le flair d’accorder son plus grand rôle à Harry Dean Stanton (1926-2017), auquel rendra hommage le documentaire Lucky (John Carroll Lynch, 2017).
oeuvre remarquable, retenue en 2024 dans la sélection Cannes Classics, couronnée en 1984 par de nombreux prix, notamment à Cannes par la Palme d’or et le Prix FIPRESCI, à Londres par le BAFTA Award de la mise en scène, Paris, Texas nous revient après une splendide restauration par la Wim Wenders Stiftung, opérée en 2024 par Basis Berlin Postproduktion à partir d’un scan 4K par L’Immagine Ritrovata du négatif original, sous la supervision de Wim et Donata Wenders.
Paris, Texas est proposé, pour la première fois en 4K Ultra HD, dans le Mediabook n° 28 tiré à 3 000 exemplaires de la prestigieuse Collection Coffrets Ultra Collectors lancée par Carlotta Films en 2015 avec le Body Double de Brian De Palma et plusieurs fois récompensée par le jury DVD/Blu-ray du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision.
Avec cette édition, Carlotta Films poursuit une belle rétrospective Wim Wenders, entreprise en 2023, avec la ressortie de L’Ami américain, de la La Trilogie de la route - Trois films de Wim Wenders : Alice dans les villes + Faux mouvement + Au fil du temps / Alice in den Städten, 1974, Faux mouvement / Falsche Bewegung, 1975, et Au fil du temps / Im Lauf der Zeit, 1976), de Chambre 666, sur les questions qu’il a posées pendant le festival de Cannes de 1982 à plusieurs réalisateurs sur l’avenir du cinéma, et de Chambre 999 sur les réponses données à la même question par trente cinéastes, dont Wim Wenders, à la réalisatrice Lubna Playoust, et Les Ailes du désir (Der Himmel über Berlin, 1987), Mediabook n° 26 de la collection citée.
Paris, Texas (146 minutes) et ses suppléments (100 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-100 4K Ultra HD et sur un Blu-ray BD-50, glissés dans les couvertures d’un Mediabook.
Le film est proposé dans sa langue originale, l’anglais, avec sous-titres optionnels, le choix entre deux formats audio, DTS-HD Master Audio 5.1 ou 2.0, et dans un doublage en français au format DTS-HD Master Audio 1.0.
Piste d’audiodescription Dolby Digital 2.0.
Sous-titres pour malentendants.
Le livre de 200 pages, abondamment illustré, essentiellement de photos de tournage inédites, contient deux entretiens avec Wim Wenders, l’un par Bernard Eisenschitz à Paris, puis à Los Angeles en avril 1984, l’autre par Charlotte Pavard à Cannes en mai 2024. Quatre autres furent conduits par Bernard Eisenschitz en avril 1984, à Los Angeles avec Sam Shepard, Harry Dean Stanton et Dean Stockwell, puis à Rome avec Nastassja Kinski. Ces six entretiens forment un intéressant recueil d’informations sur la genèse et le tournage du film et sur l’approche du cinéma par Wim Wenders. Suivent, le scénario intégral traduit en français sur 108 pages, de courtes biographies de Robby Müller, de Sam Shepard, du monteur Peter Przygodda, du coscénariste L.M. Kit Carson, de Ry Cooder, de Claire Denis et des acteurs principaux. Le livre se referme sur la restauration et ceux qui y ont contribué, notamment le chef-étalonneur Philipp Orgassa, associé chez Basis Berlin Postproduktion.
Deux autres éditions sont disponibles, sans le livre, mais avec les mêmes bonus vidéo, l’une sur Blu-ray BD-50, l’autre sur Blu-ray 100 4K Ultra HD.
Introduction par Wim Wenders (2024, 2’44”), quarante ans après sa sortie à Cannes, le réalisateur invite à découvrir ou revoir cette chronique d’une famille typique du Far West. Elle doit son succès à toute une équipe, particulièrement à Sam Shepard, Robby Müller, Ry Cooder, Claire Denis, Harry Dean Stanton et Nastassja Kinski.
Entretien avec Wim Wenders (Wim Wenders Stiftung, 2022, 49’). C’est d’une rencontre avec Sam Shepard à San Francisco en 1978, qui lui avait remis son recueil de nouvelles Motel Chronicles, que lui vint l’idée d’un scénario en 1982, trop léger pour un long métrage. Une des scènes de cette ébauche fut le point de départ du scénario que Sam Shepard écrivit en six mois, en laissant la fin en suspens. Follement amoureux de Jessica Lange, Sam Shepard refusa d’incarner Travis et soutint le choix de Harry Dean Stanton, bien qu’il n’ait encore jamais tenu de premier rôle. Il fallait, pour une production franco-allemande, que les deux pays soient représentés dans la distribution, d’où la présence de Nastassja Kinski et de Bernhard Wicki pour l’Allemagne et d’Aurore Clément pour la France. Il suspendit la production après le tournage de la première partie à Los Angeles, pour réécrire en une nuit l’ébauche de la suite du récit, avec un peep-show découvert à Port Arthur lors des repérages avec Claire Denis, « un lieu où l’on peut voir sans être vu ». Sam Shepard, deux jours plus tard, lui dicta le scénario et les dialogues au téléphone. Ry Cooder, qui ne savait pas écrire la musique, composa l’accompagnement en visionnant une copie de travail. Pour éviter tout cliché sur l’Ouest américain, la mise en scène était improvisée chaque jour, sur le lieu de tournage, avec Robby Müller, dans une palette basée sur les couleurs du drapeau américain. Wim Wenders fut heureux de n’être « pas revenu les mains vides à la fin de son aventure américaine ». Paris, Texas n’est pas un film américain, mais « un film sur l’Amérique vue par un oeil européen ». Il a résisté aux pressions de 20th Century Fox, qui avait acheté le film, pour ajouter une scène finale montrant Travis faire un demi-tour sur la route.
Cannes 2024 : Entretien avec Wim Wenders (HD, 4’). Ce film lui a fait prendre conscience des exigences que le public allait maintenant attendre de lui. Il s’est demandé comment les jeunes allaient recevoir, quarante ans après, un film qui, comme les autres, « fixe des choses appelées à disparaître ».
Scènes coupées avec ou sans commentaire audio de Wim Wenders en 2004 (24’). Une bonne vingtaine de scènes, d’abord dans le désert du Big Bend, puis avec Bernhard Wicki…
Cinéma, Cinémas : Wim Wenders (INA, 1984, en français, 12’), un entretien avec Philippe Garnier, à bord d’une voiture dans les rues de Los Angeles, diffusé par Antenne 2 le 2 mai 1984. Le réalisateur dit sa passion pour le cinéma et le rock’n’roll. « La musique est un personnage central d’un film » : l’idée d’Alice dans les villes lui est venue d’une chanson. Il est heureux de pouvoir présenter à Cannes Paris, Texas « dans lequel j’ai mis tout ce que j’aimais », souligne-t-il.
Film Super 8 : Souvenirs de la famille Henderson (7’). Des scènes d’une sortie au bord de la mer de Travis, Jane, Hunter, Walt et Anne filmées avant le départ de Travis, différentes de celles montrées dans le montage final.
Bande-annonce de la restauration (HD, 1’39”)
L’image, au ratio d’origine de 1.66:1, réencodée au standard 2160p 4K HEVC - HDR10 (1080p, AVC sur le Blu-ray BD-50), d’une impeccable propreté, stable, lumineuse, agréablement contrastée avec des noirs denses, déploie une palette de couleurs délicatement ravivées. Une résolution pointue fait bon ménage avec la préservation du grain, fin et régulier, de la pellicule 35 mm.
Le son mono d’origine, réencodé au standard DTS-HD Master Audio 5.1, avec une alternative mono 2.0 (comme il l’avait été depuis la première édition DVD en 2001), très propre lui aussi, sans souffle, avec une dynamique et une largeur de la bande passante remarquables, délivre avec clarté et dans un bon équilibre les dialogues, l’ambiance et l’inoubliable accompagnement à la guitare. Le remixage multicanal a été suffisamment discret pour donner ampleur et aération à la bande-son, sans la polluer par des effets artificiels.
Une restauration exemplaire de l’image et du son !
Le doublage en français, limité au format DTS-HD Master Audio 1.0, également assez propre, malgré un léger souffle, est techniquement assez satisfaisant. Mais il fait perdre la diversité des accents. Il n’a pas été pris en compte pour l’attribution la note.
Crédits images : © 1984 ROAD MOVIES FILMPRODUKTION GMBH – ARGOS FILMS S.A.S. / © 2012 WIM WENDERS STIFTUNG – ARGOS FILMS S.A.S. Tous droits réservés.