Réalisé par Michael Radford
Avec
John Hurt, Richard Burton et Suzanna Hamilton
Édité par Rimini Editions
Manipulant et contrôlant les moindres détails de la vie de ses sujets, Big Brother est le chef spirituel d’un des trois États de la Terre, Oceania, dont la capitale est Londres. Le bureaucrate Winston Smith travaille dans l’un des services du gouvernement. Mais, un jour, il tombe amoureux de Julia, ce qui est un crime. Tous les deux vont tenter de s’échapper. Mais dans ce monde cauchemardesque, tout être qui se révolte est brisé.
1984 (Nineteen Eighty-Four), sorti en 1984, est une adaptation de la dernière oeuvre de George Orwell, publiée en 1949, six mois avant sa mort en janvier 1950, une dénonciation du totalitarisme qu’il avait précédemment faite dans son roman Animal Farm, paru en 1945, plusieurs fois adapté pour la grand et le petit écran, notamment par John Halas et Joy Batchelor en 1954 et par John Stephenson en 1999.
Nineteen Eighty-Four avait été précédemment adapté deux fois, pour la BBC dans un téléfilm diffusé en 1954 avec Peter Cushing dans le rôle de Winston Smith, puis au cinéma par Michael Anderson en 1956.
Who controls the past controls the future. Who controls the present controls the past.
Le parti intérieur, représenté par O’Brien, dévoile à Winston Smith, arrêté pour avoir bravé l’interdiction de toute relation amoureuse, les fondements du système gouvernant Oceania, l’institution d’un « thoughtcrime » (crime de la pensée), la répression de toute opinion divergeant de la pensée unique collective imposée par le parti. Tous les moyens sont bons pour consolider un pouvoir absolu : corriger le passé, refaire l’histoire, en effaçant toute trace de certains personnages, modifier les chiffres pour démontrer l’infaillibilité des prévisions du parti, supprimer du dictionnaire les mots qui pourraient être utilisés pour critiquer ses décisions…
The power is not a means, it’s an end
Le pouvoir n’est pas un moyen de conduire vers un meilleur futur, mais une fin garantissant l’exercice d’une autorité incontestable. 1984, une mise en garde contre les dérives du stalinisme et d’autres expériences totalitaires, reste utile au XXIème siècle quand, par exemple, utiliser le mot « guerre » et non « opérations spéciales » pour désigner l’invasion de l’Ukraine peut valoir quinze ans de prison !
1984 est le deuxième long métrage de fiction de Michael Radford, après Another Time, Another Place, sorti un an plus tôt, sur la romance entre une fermière écossaise et un prisonnier de guerre italien envoyé en réhabilitation. La mise en scène rigoureuse de 11984 a révélé le réalisateur qui donnera, dix ans plus tard, toute la mesure de son talent avec Le Facteur (Il Postino), un hommage à Pablo Neruda.
1984, outre sa fidélité à l’esprit du roman, a d’autres atouts. La photographie de Roger Deakins qui, après avoir été seize fois nommé aux Oscars, finira par en décrocher deux, pour Blade Runner 2049 (Denis Villeneuve, 2017) et pour 1917 (Sam Mendes, 2019). Et la performance de deux acteurs britanniques majeurs, John Hurt et Richard Burton, ici dans son dernier rôle : il allait mourir deux mois avant la sortie du film. Les deux s’opposent dans une scène inoubliable du film, une démonstration que la torture peut faire tout dire, par exemple que 2 et 2 font 5.
1984, indisponible depuis l’épuisement du Blu-ray sorti par MGM en 2015, nous revient enfin, grâce à Rimini Éditions, cette fois accompagné de suppléments, après une restauration opérée à partir du scan 4K du négatif original, sous la supervision du chef-opérateur Roger Deakins, utilisée par l’édition Criterion de 2019, retouchée en France par le laboratoire TCS, pour le compte de l’éditeur, en vue d’obtenir un gain de résolution.
1984 (110 minutes) tient sur un Blu-ray 4K Ultra-HD 66 et sur un Blu-ray BD-50. Les généreux suppléments (99 minutes) sont, à l’exception de la bande-annonce, uniquement supportés par le second disque.
Le film est proposé dans sa langue, l’anglais, avec sous-titres optionnels, et dans un doublage en français, les deux au format audio DTS-HD Master Audio 2.0 mono. La version originale offre la rareté d’un choix entre deux accompagnements musicaux, celui composé par Dominic Muldowney, voulu par le réalisateur, et celui d’Eurythmics, imposé par Virgin, seul disponible pour le doublage.
Un livret de 40 pages, George Orwell et 1984, propose des extraits de Le Point, Grandes biographies, Hors-Série Tome 32, consacré à George Orwell (décembre 2022). Deux articles de Laurence Moreau, Un écrivain politique, « le plus populaire des combattants du totalitarisme » qui se définissait comme un « Tory anarchist », et Un panthéon éclectique, sur ses auteurs préférés, Jonathan Swift, Charles Dickens, Mark Twain, William Somerset Maugham et Jack London. Suivent 1984 et l’anti-utopie, une analyse du roman par l’historien Michel Porret, professeur honoraire de l’Université de Genève : « avertissement plus que prophétie, la dystopie n’est pourtant pas qu’une oeuvre de fiction, c’est un genre qui féconde la pensée politique ». Sous le titre Faut-il opposer Orwell à Huxley ? , Romain Brethes (Sciences-Po Paris) compare Le Meilleur des mondes (A Brave New World) et Nineteen Eighty-Four. Puis, dans Les Tribulations de la novlangue, Marie Fisson dissèque le « Newspeak » qui, selon Orwell, « consistait à rendre impossible tous les autres modes de pensée ». Cet utile livret se referme sur le compte-rendu par Florence Colombani d’un Entretien avec David Ryan, historien du cinéma, auteur de George Orwell on Screen (McFarland, 2018).
Michael Radford raconte 1984 : Interview inédite enregistrée à Londres en décembre 2022 (Bubbelcom, Rimini Éditions, 35’). Dans un français un peu hésitant, le réalisateur rappelle qu’il décida, avec le soutien du producteur Simon Perry et de Roger Deakins, d’écrire à Paris le scénario, après avoir vite obtenu l’accord du détenteur des droits, un avocat de Chicago, ainsi que celui de John Hurt, Richard Burton et Suzanna Hamilton. Le film, en contradiction de certains augures, a bien été reçu, y compris par le jeune public. Ce n’est « pas une copie d’Orwell », mais une représentation, sans effets spéciaux, du monde qu’il aurait pu imaginer. Le film fut apprécié en Russie par les intellectuels, moins par le pouvoir, mais quand même projeté au parlement.
Retour en 1984, d’Alexandre Jousse (2024, 24’), avec Caroline Vié (20 Minutes), envoyée par L’Écran fantastique sur le tournage dans les « décors impressionnants » des studios de Twickenham. Elle garde de Michael Radford l’image d’un réalisateur « ferme et bienveillant », de John Hurt celle d’un homme « à la fois singulier et ordinaire ». Selon Laurent Aknin, auteur d’Ésotérisme et cinéma, Animal Farm et Nineteen Eighty-Four révèlent que George Orwell fut marqué par le nazisme et le stalinisme. Il revient sur les premières adaptations, celle de 1954, assez fidèle au roman, celle de 1956 avec une teinture de science-fiction et deux fins, une pour l’Angleterre, l’autre pour les USA. Il balaye la carrière de Michael Radford, venu du documentaire, souligne la bonne idée des couleurs désaturées obtenues par le procédé du « bleach bypass », une alternative au choix initial du noir et blanc, rejeté par Virgin. Le caractère uchronique du récit (temporalité alternative) et la résonnance de récents développements technologiques (notamment de la localisation à tout moment des smartphones) font que le film n’a pas vieilli.
Réflexions à propos de 1984 (2024, 38’), interview par Jean-Pierre Vasseur, fondateur de Rimini Éditions, de François Brune, auteur de Sous le soleil de Big Brother (Précis sur 1984 à l’usage des années 2000). Né en 1903, George Orwell, socialiste démocratique, dans ses deux livres, Animal Farm et Nineteen Eighty-Four, dénonce le totalitarisme, un système justifiant la privation des libertés individuelles, la légalisation des pires crimes d’état et imposant une « non-pensée collective » contre la promesse d’un meilleur avenir. Continûment surveillés par des écrans, ceux qui ne se conforment pas à la norme sont poursuivis, voire éliminés, « vaporisés ». Pour étouffer la pensée critique, on supprime les mots qui permettraient de l’exprimer. Pour modifier la perception du réel, on efface ou on corrige le passé.
Bande-annonce (2’22”, VO), avec les couleurs naturelles, non désaturées.
L’image, au ratio originel de 1.85:1, réencodée au standard 2160p, HDR 10 - Dolby Vision (1080p, AVC sur le Blu-ray BD-50), fermement contrastée avec des noirs denses, affiche une fine résolution permettant d’exploiter au mieux les possibilités de l’Ultra-HD, obtenue au prix d’une réduction du grain qui tend à empiéter sur la ligne jaune au-delà de laquelle on risque de dénaturer la texture du 35 mm. Un choix délicat, sur le fil du rasoir ! On retrouve les couleurs délibérément très désaturées, à la limite du noir et blanc, légèrement ravivées dans les quelques plans dans lesquels s’ouvre une porte sur des collines verdoyantes.
Le son mono d’origine, réencodé au standard DTS-HD Master Audio 2.0, très propre, sans souffle, avec une bande passante assez largement ouverte et une bonne dynamique, restitue clairement les dialogues, bien prioritisés, et donne à l’ambiance une présence réaliste.
Le doublage en français, très propre lui aussi, contraint dans le medium, manque un peu de naturel.
Crédits images : © Umbrella, Virgin