Werner Herzog - Vol. 1 : 1962-1974 (1962) : le test complet du DVD

Édition limitée version restaurée

Réalisé par Werner Herzog
Avec Klaus Kinski, Peter Brogle et Helmut Döring

Édité par Potemkine Films

Voir la fiche technique

Avatar Par
Le 16/12/2014
Critique

Retrouvez la première partie de l’oeuvre de Werner Herzog, le plus grand cinéaste allemand actuel. Folie, marginalité, destruction, exploit, mégalomanie… tels sont les thèmes qui parcourent sa filmographie. Cinéaste hors du commun, il traverse les genres, transcende les modes, et ne cesse de brouiller les pistes. Du documentaire expérimental au blockbuster hollywoodien, chaque film d’Herzog est une expérience intense. De la forêt amazonienne aux volcans en éruption, des sommets de l’Himalaya aux profondeurs des abysses, ses tournages sont de véritables aventures. A l’image d’un Francis Ford Coppola sur le tournage d’Apocalypse Now, Herzog pousse ses troupes jusqu’à la rupture. Mettre sa vie en jeu est pour le cinéaste la règle, un devoir même. Il capte ainsi les plus authentiques images du monde. Ses récits sont des contes sur l’homme et son appétit de conquête, sur sa vanité, aussi.

Ce coffret réunit les premiers films du cinéaste, réalisés entre 1962 et 1974. Trois autres volumes paraîtront en 2015 et rendront compte, chronologiquement et quasiment intégralement, de l’oeuvre du réalisateur.

DVD 1 : Herakles - documentaire (1962, 9’) :

Il s’agit ici du premier court-métrage et du premier film de Werner Herzog, réalisé à l’âge de 19 ans à partir de stockshots. Herzog s’amuse à dresser un parallèle entre des culturistes à l’oeuvre dans une salle de sport, symboles de la force, de la puissance et de la virilité, pour ne pas dire divinité - il est fait explicitement référence aux douze travaux d’Hercule - et des images d’un monde détruit par les hommes, des paysages postapocalyptiques, des accidents, des embouteillages, face auxquels la gonflette, l’esbroufe donc, de l’homme ne peut rien faire. Porté par une ironie grinçante et un humour noir, Herakles interroge sur la finitude de l’espèce humaine. Ce manifeste un peu fourre-tout - souvent propre au premier film - hésite déjà entre la fiction et le documentaire, une frontière toujours friable chez Herzog. « Surhomme » ou pas, nous sommes tous égaux face à la mort, et tôt ou tard la nature reprend ses droits.

Signes de vie - long métrage (87’, 1968, 87’) :

Seconde Guerre mondiale. Blessé au front, Stroszek, un jeune soldat allemand, est affecté en Crète à la garde d’un fort et d’un dépôt de munitions. Eloigné des combats, réduit à l’inaction, le conscrit s’astreint à effectuer des tâches inutiles mais nécessaires à son équilibre mental. Bientôt son comportement inquiète les îliens.

Né à Munich en 1972, Werner Herzog, de son vrai nom Werner Stipetic, grandit dans un petit village bavarois. Il passe son adolescence à Munich où il poursuit des études littéraires à l’Université Louis-et-Maximilien. Dès 1963, il crée sa propre maison de production, la Werner Herzog Filmproduktion et se lance en autodidacte dans le cinéma. Il signe quelques courts-métrages avant de se lancer en 1968 dans l’aventure du long métrage avec Signes de vie. Herzog n’est évidemment pas encore considéré comme un des représentants majeurs du nouveau cinéma allemand, mais Signes de vie va contribuer à le faire connaître, d’autant plus que ce premier long métrage remporte l’Ours d’Argent au Festival de Berlin l’année de sa sortie. Ce film curieux pose les bases de ce que sera le cinéma de Werner Herzog, ou comment l’homme se contamine lui-même par sa violence innée. L’homme est un ennemi pour lui-même et ses désirs de s’élever sont voués à l’échec.

Dans Signes de vie, il se focalise sur un petit groupe isolé de soldats de la Wehrmacht égarés en Grèce, qui faute de pouvoir combattre (ils ont été formés pour ça) sur le front, vont connaître l’ennui, la frustration (on repeint les volets, on hypnotise une poule), avant que l’un d’eux sombre définitivement dans la folie et devienne un véritable danger pour ses camarades, puis un véritable forcené qui se terre dans son « royaume » élevé sur des ruines, armé seulement de feux d’artifice.

Sur le fil ténu entre la fiction et le documentaire, Werner Herzog réalise un véritable coup de maître, d’une beauté plastique ahurissante. Si le rythme est parfois un peu lent, le cadre d’Herzog subjugue, tout comme la singularité de l’entreprise, du traitement des personnages, l’étrangeté constante qui se dégage du sublime N&B signé Thomas Mauch, chef opérateur d’Aguirre, la colère de Dieu, Fitzcarraldo, La Ballade de Bruno. La dimension documentaire du film prend forme quand Herzog se penche sur la vie quotidienne d’un port de pêche avec ses artisans, ses habitants, ses us et coutumes, sa chaleur écrasante (qui aura raison de la raison de Stroszek), jusqu’aux odeurs de poisson grillé. C’est là tout ce qui fera la force du cinéma à venir de Werner Herzog, parvenir à ancrer des personnages de fiction dans un monde réaliste, afin de mettre en relief leur désir de s’en extraire pour devenir une divinité.

DVD 2 : Les Nains aussi ont commencé petits - long métrage (1970, 92’) :

Un dénommé Hombre est interrogé dans un commissariat. Il raconte comment les pensionnaires de petite taille de sa maison de redressement se sont rebellés. Le directeur s’est réfugié dans son bureau et attend les renforts de la police tandis que les mutins se déchaînent dehors. Au départ, ils demandent la libération de Pépé, un leader du groupe retenu par le directeur, mais bientôt leur fronde se transforme en un déferlement de violence et d’anarchie.

Les Nains aussi ont commencé petits est le premier chef-d’oeuvre de Werner Herzog. Film singulier, inclassable, marqué par l’angoisse et la fatigue du cinéaste qui revenait alors d’un tournage chaotique et malmené en Afrique (Fata Morgana) durant lequel il a été emprisonné et extrêmement malade, ce superbe objet tourné en N&B (200.000 dollars de budget), avec uniquement des acteurs non professionnels (formidables) de petite taille, dans le décor volcanique ahurissant de Lanzarote (les îles Canaries) subjugue, interroge, choque, réjouit de la première à la dernière image.

Comme l’ensemble des films et documentaires de Werner Herzog, Les Nains aussi ont commencé petits est une véritable aventure doublée d’une farce, assez mortifère certes, grinçante assurément, qui a autant d’adorateurs à travers le monde que de farouches opposants qui traitent encore le cinéaste de fasciste. Herzog use de l’absurde et livre un véritable cauchemar éveillé, quasi-fantastique, sombre et pourtant toujours marqué par un humour noir (le mariage, la scène du lit), afin de mettre en relief une allégorie, non pas de la révolution à travers les habitants qui font sédition contre un énigmatique directeur d’une maison de redressement, mais sur l’échec inévitable des rébellions puisque les anciens opprimés finissent par s’opprimer entre eux, sans jamais tenter de s’échapper de cette « prison ».

Les Nains aussi ont commencé petits agit comme une séance d’hypnose. La beauté des images et la composition des plans s’impriment de manière indélébile sur nos rétines. Ce chef d’oeuvre qui met tous nos sens à contribution pour mieux les bouleverser, n’en finit pas de nous étourdir, à l’instar de cette voiture sans conducteur qui roule en cercle - leitmotiv du cinéma de Werner Herzog caractérisant la condition humaine - sans jamais s’arrêter, tandis que les menaces, la violence et le chaos s’exacerbent, que la folie s’empare de tout le monde, que les rires deviennent incontrôlables… et que les poules se bouffent entre elles. Glacial, mal aimable, nihiliste, politiquement incorrect, mais terriblement humain, doublé d’un fabuleux objet de cinéma, stylisé, magnétique, magnifique.

DVD 3 : Pays du silence et de l’obscurité - documentaire (1971, 81’) :

Fini Straubinger est une dame âgée, sourde et aveugle depuis son adolescence. Trente ans alitée, elle consacre ensuite toute sa vie à aider d’autres personnes atteintes de surdité et de cécité.

Un des thèmes de prédilection de Werner Herzog a toujours été la défiance à l’égard du langage, des mots, des signes, puisqu’ils ne reflètent en rien la véritable pensée de l’être humain. Pays du silence et de l’obscurité est un documentaire qui se focalise sur un sujet particulier, puisque ses principaux protagonistes ont perdu l’usage de la vue et de l’ouïe. Pour Herzog, ils apparaissent donc purifiés, protégés du monde extérieur puisqu’ils ne peuvent pas être ni contaminés ni corrompus par les mauvais desseins de leurs ambitieux semblables. Néanmoins, ces patients parviennent à communiquer entre eux grâce au toucher particulier et spécifique sur la paume de la main, un alphabet digital, pouvant ainsi faire passer un message de l’au-delà, une dimension pure puisque Herzog les traite en personnages quasi-mystiques, comme des messagers d’une divinité indéterminée.

Ainsi, Fini Straubinger voyage-t-elle à travers l’Allemagne, visitant des « frères et soeurs d’infortune » atteintes comme elle de surdicécité, les aidant à comprendre et accepter leur état, pour les aider à sortir de leur isolement et (ré)apprendre à vivre. C’est le cas bouleversant d’une femme aveugle et sourde, dont la mère vient de mourir, qui était son seul lien avec le monde. Enfermée dans un asile où elle n’a pas sa place, Fini Straubinger arrive à son chevet, communique avec elle, la sauve. Fasciné, Werner Herzog se place du côté de ces exclus, ces êtres absolus qui représentent l’espoir de l’humanité, qui isole et rend fou, et qui semblent même capables de communiquer avec la faune et la flore (la séquence finale de l’arbre est sublime), des représentants d’un autre monde.

Pays du silence et de l’obscurité foudroie avec cette leçon de courage ultime, sans pathos, avec dignité. La séquence montrant un jeune handicapé de 22 ans, sourd et aveugle de naissance, entrer pour la première fois en communication avec Fini Straubinger est d’une incommensurable beauté. En effleurant ses comédiens avec une caméra directement reliée aux sensations de ses protagonistes, Werner Herzog touche et restitue l’indicible.

DVD 4 : Fata Morgana - documentaire (1971, 73’) :

Tourné en Afrique, Fata Morgana est un poème en trois temps: la création, le paradis et l’âge d’or, soutenus par les textes sacrés du Popol-Vuh, livre Maya des Indiens Quichis.

Fata Morgana est le fruit d’un travail de longue haleine pour Werner Herzog et a même failli lui coûter la vie. En effet, il aura fallu plusieurs années au cinéaste pour mener à bien ce projet, braver une nouvelle fois des conditions de tournage souvent extrêmes, au point d’avoir été emprisonné lui et son équipe (pris pour des mercenaires), dans des conditions déplorables. Maltraités et gravement malades (paludisme), Herzog et ses techniciens sont restés marqués à vie par le tournage de Fata Morgana et une amertume se distille tout au long de ce film.

Ce superbe documentaire est né du désir de Werner Herzog de capturer des mirages (« Fata Morgana »), la substance du désert. Un mirage est un phénomène optique imputable à une superposition de couches d’air de températures différentes, mis en image dès la première séquence du film avec la répétition de l’atterrissage d’un avion sur le tarmac, qui progressivement semble se poser sur l’eau. Point d’illusions d’optique, ni une hallucination, même si on suppose que Werner Herzog a une fois de plus eu recours à quelques pirouettes afin de « restituer » certaines visions. Ce qui intéresse ici Werner Herzog est de démontrer qu’il existe une autre réalité, visible, donc palpable. Dans le cadre désertique africain où surgissent parfois des habitants hébétés, des carcasses d’avion, d’usines, des restes étranges de civilisation dans des paysages quasi-lunaires, et des cadavres d’animaux, reflétant à la fois la genèse et l’apocalypse du monde, Fata Morgana est une invitation au voyage marqué par le questionnement sans fin de la place de l’homme sur Terre et de sa communion (ou pas) avec la nature, le tout bercé par la musique de Mozart et Leonard Cohen. Une expérience poétique indispensable qui met les sens du spectateur à rude épreuve.

La Grande extase du sculpteur sur bois Steiner - documentaire (1973, 44’) :

Walter Steiner, sculpteur sur bois, est champion de saut à skis. Seul problème : il saute plus loin que les limites prévues et il lui faut sans cesse négocier avec les organisateurs de nouvelles mesures de sécurité.

La Grande extase du sculpteur sur bois Steiner n’est pas le portrait d’un champion, mais simplement celui d’un homme qui va toujours plus loin, dépassant sa condition d’être humain, en réalisant le rêve d’Icare pendant quelques secondes. Ce moyen métrage de Werner Herzog demeure mal connu dans son éclectique et très riche filmographie. Sans doute parce que certains spectateurs n’y voient qu’une succession de sauts à skis filmés les uns à la suite des autres. Pourtant, La Grande extase du sculpteur sur bois Steiner renvoie à la thématique récurrente de l’oeuvre d’Herzog, à savoir celle du dépassement de soi, du désir de s’élever afin de connaître l’extase (ici éponyme) de l’envol, de s’affranchir de cette prison qu’est le corps humain… jusqu’à l’inévitable retour sur le plancher des vaches.

Le cinéaste, qui a grandi dans les montagnes et qui a failli devenir lui-même skieur professionnel, apparaît pour la première fois devant la caméra et incarne le commentateur sportif, avec un humour toujours sous-jacent. Il souligne les exploits de Walter Steiner lors de championnats de vol à skis en 1972 en Slovénie, où il remporte la médaille d’or, loin devant ses adversaires, bien que Steiner n’ait jamais concouru pour les récompenses, uniquement pour ressentir l’indicible. Werner Herzog participe donc à cette légende du sport en imprimant sur pellicule quelques-unes de ses performances rentrées dans l’histoire.

Combo Blu-ray/DVD 5 : Aguirre, la colère de Dieu - long métrage (1972, 90’) :

En 1560, une troupe de conquistadors espagnols descend de la montagne à la recherche de l’Eldorado. Mais l’équipée s’enlise dans les marais. Une plus petite expédition est alors constituée, placée sous la conduite de Pedro de Ursua et de son second, Lope de Aguirre, qui devra reconnaître l’aval du fleuve sur des radeaux. Aguirre, aventurier ambitieux et brutal, manoeuvre habilement pour proposer à ses compagnons un nouveau chef, le falot Fernando de Guzman, promu solennellement « empereur du Pérou et de l’Eldorado »…

Aguirre, la colère de Dieu est le film qui a fait connaître Werner Herzog dans le monde entier et qui l’a définitivement installé sur la scène du cinéma international. C’est aussi la première collaboration mouvementée entre le réalisateur et le comédien Klaus Kinski, dont les relations à la fois houleuses et passionnelles allaient devenir mythiques au fil de leurs cinq expériences en commun, Aguirre, la colère de Dieu (1972), Nosferatu, fantôme de la nuit (1979), Woyzeck (1979), Fitzcarraldo (1982), Cobra Verde (1987).

Insupportable, hystérique et dangereux sur le plateau, au point d’ailleurs de tirer sur la tente des figurants avec une carabine Winchester, Klaus Kinski menaça un jour de quitter le tournage, déjà bien avancé. Afin de l’obliger à rester, Werner Herzog aurait menacé de mort Kinski en le visant avec un revolver. Une anecdote confirmée par le réalisateur des années plus tard. Il n’empêche que ce premier chef-d’oeuvre demeure réellement hypnotique, à tel point que l’on ressort littéralement en transe d’Aguirre, la colère de Dieu. Outre cette relation conflictuelle et les conditions de tournage extrêmes et périlleuses qui ont éprouvé physiquement, pour ne pas dire aussi mentalement, toute l’équipe, cette expérience sensorielle laisse pantois d’admiration.

Klaus Kinski demeure impérial et son charisme magnétique, jusque dans sa démarche de crabe, électrise de la première à la dernière image. Tourné pour un budget modeste de 360.000 dollars, dans les extraordinaires et grandioses décors naturels du Pérou, l’oeuvre de Werner Herzog happe le spectateur dès la première séquence avec cette descente à flanc de montagne, réalisée sans filets, de plus de 450 figurants. Une sensation d’étouffement nous prend alors à la gorge et ne se relâche jamais. Au contraire, l’emprise se resserre au fil du récit épuré, des scènes qui ne cessent de s’étirer, alors que la forêt amazonienne se referme sur ce microcosme, ces fourmis qui s’agitent, notamment Aguirre lui-même, lieutenant illuminé et mégalomane, qui souhaite s’élever de sa condition humaine et donc mortelle, mais qui doit se plier devant le gigantisme de Dame Nature, qui reprend ses droits sans ménagement.

Magnifiquement photographié par Thomas Mauch, fidèle chef opérateur de Werner Herzog, porté par la composition aérienne de Popol Vuh, Aguirre, la colère de Dieu s’insinue dans nos esprits et la dernière séquence plaçant Aguirre, seul survivant sur ce qui reste de son radeau, de son empire autoproclamé donc, entouré de singes, perdu dans ses délires - mis en relief par un travelling circulaire - n’en finit pas de triturer les méninges, sans doute à jamais. C’est absolument fascinant et furieusement poétique.

DVD 6 : L’Enigme de Kaspar Hauser - long métrage (1974, 105’) :

Le jour de la Pentecôte, en 1828, à Nuremberg, apparaît sur la grand-place un jeune homme muet et misérable. Personne ne le connaît. Il est à peine capable de prononcer son nom. C’est Kaspar Hauser. Un homme qui a passé sa vie reclus dans un cachot…

L’Enigme de Kaspar Hauser demeure l’un des films les plus célèbres de Werner Herzog. Egalement connu sous le titre Chacun pour soi et Dieu contre tous, ce chef-d’oeuvre du cinéma allemand des années 1970, Grand Prix au Festival de Cannes en 1975, s’inspire de l’histoire mystérieuse et pourtant véridique de Kaspar Hauser. Surnommé « l’orphelin de l’Europe », ce jeune de 16 ans est découvert un beau matin sur la place de Nuremberg en mai 1828. Ses traits et son costume font d’abord croire qu’il est issu d’une famille noble. Muet, immobile, hagard, tenant un missel dans une main et une lettre anonyme dans l’autre, il semble avoir été abandonné. Son origine demeurera incertaine, son apparition inexpliquée, tout comme son assassinat en 1833. Werner Herzog s’intéresse à une histoire très connue dans son pays et s’attache à dépeindre l’état brut de son personnage principal, son évolution, son intégration (ou non) au sein de la société.

Après avoir montré brièvement l’environnement dans lequel « vit » Kaspar, Herzog se focalise sur la réaction de la population à son égard. Le jeune homme est à nouveau emprisonné, première réaction des autorités qui ne savent pas quoi faire de ce visible fou, dont les réactions demeurent imprévisibles. Il est ensuite pris en charge par le maire de la ville et parvient à communiquer petit à petit avec lui. Kaspar apprend donc la vie, du moins celle qu’on lui présente comme telle. Herzog livre sa vision de l’enfant sauvage. Le langage se créer, mais Kaspar reste lui-même et rejette les institutions, le mode de pensée unique, les codes, les mesquineries et le mensonge. Bien qu’il puisse communiquer pour la première fois avec ses semblables, Kaspar n’a pas changé, reste un être pur, loin des corrompus de la vie qui l’entourent.

Alors qu’il se souvient de quelques éléments de sa vie passée - une sorte de cachot, sombre, remplit de paille, nourri durant son sommeil, enchaîné, seul un homme vêtu de noir venant lui apprendre à marcher et à écrire son nom - Kaspar est montré comme un freak, une bête de foire - au sens propre comme au figuré - que l’on expose avec d’autres phénomènes de la nature. Kapsar Hauser est interprété par Bruno, acteur et surtout musicien allemand, dont la vie ressemble étrangement à celle de son personnage. Ancien interné d’un asile psychiatrique, Bruno, de son vrai nom Bruno Schleinstein (1932-2010), est un enfant battu et abandonné par sa mère. Il passera 23 ans dans un asile. Attiré par l’art, il peint et apprend à jouer de l’accordéon, du piano et d’autres instruments de musique en autodidacte. Musicien de rue, il est découvert en 1970 par Werner Herzog dans un documentaire et désire l’engager comme acteur principal dans L’Enigme de Kaspar Hauser. Malgré son inexpérience, Bruno s’avère remarquable. Herzog « profite » du vécu de Bruno pour nourrir son personnage principal.

Qu’importent les propos et litanies des religieux et aristocrates qui l’entourent et veulent lui indiquer le droit chemin, l’enfermer à nouveau, Kaspar demeure fidèle à lui-même et donne son avis, tranché, instantané car vierge, tout en découvrant la nature, communiant avec elle, d’écrire son nom avec elle. Un chef-d’oeuvre intemporel.

Présentation - 4,0 / 5

Les tests ont malheureusement été réalisés sur des check-discs… nous ne sommes donc pas en mesure d’indiquer comment se présente ce coffret, qui paraît néanmoins superbe. Les menus principaux des disques sont animés et musicaux. Ce coffret contient également un livret de 100 pages rédigé par Emmanuel Burdeau et illustré de photos inédites.

Bonus - 4,0 / 5

Herakles (4’), Signes de vie (4’), Les Nains aussi ont commencé petits (5’), Fata Morgana (4’), La Grande extase du sculpteur sur bois Steiner (5’), Pays du silence et de l’obscurité (5’), Aguirre, la colère de Dieu (6’) et L’Enigme de Kaspar Hauser (6’) sont présentés par l’historien du cinéma Hervé Aubron. Notre interlocuteur replace ces oeuvres dans la carrière de Werner Herzog en revenant également sur les thèmes abordés et les conditions de tournage.

Les Nains aussi ont commencé petits, Fata Morgana, Aguirre, la colère de Dieu et L’Enigme de Kaspar Hauser sont disponibles avec les commentaires audio de Werner Herzog, menés par le journaliste Norman Hill et disponibles en version anglaise sous-titrée en français. Ces commentaires s’avèrent évidemment indispensables pour les cinéphiles passionnés par l’oeuvre du cinéaste. Le comédien Crispin Glover, qui venait de réaliser un film inspiré par le cinéma de Werner Herzog, est également présent sur Fata Morgana et Les Nains aussi ont commencé petits. Les échanges sont denses et informatifs. Le metteur en scène en dit long sur les conditions et les lieux de tournage, croise habilement le fond avec la forme, la genèse de ses oeuvres, le casting. Le tout sans cesse marqué par de nombreuses anecdotes de tournage.

D’autres films et documentaires de Werner Herzog sont également disponibles :

DVD 1 : La Défense sans pareil de la forteresse Deutschkreutz - court-métrage (1967, 15’ N&B) :
Quatre hommes dans un château abandonné. Ils y trouvent des armes et des uniformes militaires, restes de la guerre, et pour tromper leur ennui s’amusent à jouer aux soldats. Ils se prennent rapidement au jeu et attendent impatiemment qu’apparaisse enfin cet ennemi qu’ils appellent de leurs voeux. Ce que l’on sait, c’est que ce château avait été pillé par les russes pendant la guerre et qu’il s’agissait avant d’un asile psychiatrique. Comme si la folie des hommes ne pouvait pas mourir, mais au contraire, se transmettre, même par les lieux qui l’ont abrité.
Tourné sur la frontière hongroise, La Défense sans pareil de la forteresse Deutschkreutz est un film déroutant, ironique, montrant que la guerre et la violence sont innées chez l’être humain. Et qu’il doit se trouver un ennemi. A voir également comme une esquisse de Signes de vie que Werner Herzog tournera deux ans plus tard.

DVD 4 : Avenir handicapé - documentaire (1971, 42’) :
Werner Herzog part à la rencontre de jeunes handicapés, victimes d’un médicament, la thalidomide, vendu dans les années 1950-1960 pour éviter les nausées des femmes enceintes et qui a provoqué plusieurs milliers de dégénérescences des bras et des jambes chez leurs enfants, certains n’ayant pas survécu à leur première année. Le réalisateur, scénariste, producteur se livre ici à une véritable investigation puisqu’il n’hésite pas à interroger directement les personnes atteintes, leurs proches, tout en dévoilant les chances et moyens offerts et mis en oeuvre pour aider les 4,5 millions de personnes handicapées physiques en RFA à s’intégrer et sortir de leur isolement.
Hommes, femmes et même des enfants témoignent face-caméra sur leur situation, sur le regard pesant et le jugement des autres. Herzog dresse également un parallèle entre la situation des personnes handicapées en RFA, avec celles savamment prises en charge aux Etats-Unis, traitées comme des personnes normales. Moins une question de moyens que de mentalité. Autant dire que rien n’a changé plus de quarante ans après.

Dernières paroles - court métrage (1968, 13’) :
Sur l’île grecque de Spinalonga, un vieil homme a longtemps vécu seul. Arraché à son royaume, il refuse dorénavant de parler à quiconque. Les habitants du village témoignent. Ce court-métrage en N&B (magnifique d’ailleurs) basé sur la répétition (volontaire) a été tourné en Crête au moment de la réalisation de Signes de vie. Les témoignages des habitants de l’île sont entrecoupés de musique traditionnelle et le comique naît de la même scène répétée à satiété par les intervenants, notamment deux membres des forces de l’ordre qui s’expriment sur l’arrestation du « vieil homme de l’île ». Comme souvent dans le cinéma d’Herzog, celui que la majorité rejette et déclaré fou, s’avère finalement - grâce au montage et aux répétitions donc - celui qui n’a pas voulu suivre le mouvement de masses pour défendre sa singularité.

Mesures contre les fanatiques - court métrage (1969, 11’) :
Les employés d’un hippodrome de Munich témoignent face-caméra sur leur passion des chevaux qui semble leur avoir fait perdre la raison. Grâce au même procédé que Dernières paroles, Mesures contre les fanatiques use du montage et de la répétition pour mettre en relief la folie ordinaire de l’âme humaine. Ce film en couleurs marqué par une musique de carrousel - un manège circulaire donc - est totalement décalé, surtout lors de l’intervention d’un homme qui ne cesse de s’incruster en demandant à la personne interrogée de dégager, persuadé qu’il est le seul à savoir s’occuper des chevaux.

En ce qui concerne les autres suppléments :

DVD 2 :

Potemkine joint un échange avec des personnes de petite taille après la projection du film (9’). Comme le titre du module l’indique, les propos tenus par les spectateurs, parfois choqués, méritent qu’on s’y attarde, d’autant plus que certains témoignages comparent brillamment l’oeuvre de Werner Herzog au Tambour de Volker Schlöndorff.

DVD 3 :

Entretien avec Noël Simsolo - Herzog et le cinéma allemand (22’) : l’indispensable historien du cinéma et réalisateur indique dans un premier temps comment Werner Herzog s’est rendu célèbre, grâce à la présentation de ses premiers longs métrages dans les festivals de cinéma du monde entier, plus précisément à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. Noël Simsolo en vient ensuite aux thèmes récurrents de l’oeuvre de Werner Herzog et son appartenance au cinéma allemand.

Blu-ray/DVD 5 :

L’éditeur joint également un entretien passionnant avec Pierre-Henri Deleau (22’), co-fondateur et Délégué Général de la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes de 1969 à 1998. Notre interlocuteur dresse un portrait fascinant de Werner Herzog et se penche sur son cinéma fondé selon lui sur « la surréalité ». Pierre-Henri Deleau se souvient de la découverte des Nains aussi ont commencé petits, puis de sa rencontre avec le cinéaste devenu son ami. Les thèmes récurrents de l’oeuvre de Werner Herzog sont finement analysés avec une passion contagieuse, le tout marqué par de sensationnelles anecdotes de tournage.

Image - 4,0 / 5

Pour les films en N&B : Les copies demeurent impressionnantes avec un N&B lumineux et une propreté souvent sidérante. Les masters sont lisses (certains rechigneront sur le réducteur de bruit), stables, aucune scorie ne vient perturber le visionnage, les clairs-obscurs sont magnifiques, les blancs sont éclatants (un peu trop sur Signes de vie), les noirs denses et les gris riches (Les Nains aussi ont commencé petits), même si quelques séquences sombres peuvent parfois sembler un poil plus altérées (La Défense sans pareil de la forteresse Deutschkreutz) avec une compression parfois notable lors des déplacements de la caméra. Inhérents à l’âge des films, certains décrochages de l’étalonnage demeurent notables, mais le constat est indéniable, ces copies tiennent réellement du miracle et le piqué est ciselé. Seuls quelques stockshots (Herakles) demeurent évidemment griffées et tâchées.

Pour les films en couleur : Proposé dans leur format respecté, les masters sont clairs, propres, même si les définitions ne sont pas optimales et le piqué légèrement émoussé. La colorimétrie respecte les partis-pris originaux, les contrastes sont plutôt concis, le grain appréciable et la restauration offre aux spectateurs de très bonnes conditions de visionnage. Néanmoins, quelques fourmillements demeurent constatables sur les arrière-plans ainsi que divers moirages.

En ce qui concerne le Blu-ray d’Aguirre, la colère de Dieu : Le Blu-ray est au format 1080i. Néanmoins, la qualité de ce nouveau et superbe master restauré HD (format respecté 1.33) est plutôt exceptionnelle et le chef d’oeuvre de Werner Herzog renaît littéralement devant nos yeux ébahis. Les contrastes affichent d’emblée une gestion solide, la copie est stable, d’une propreté quasi-immaculée, le piqué souvent impressionnant sur les gros plans et les détails fourmillent surtout sur les costumes et les plans diurnes en extérieur qui sont à couper le souffle. Alors certes, tout n’est pas parfait, quelques flous sporadiques font leur apparition (imputables aux conditions de tournage), une ou deux séquences sont plus altérées, mais ces menus accrocs sont bien trop anecdotiques compte tenu de la clarté, des noirs concis, des blancs scintillants ou éthérés, du grain cinéma respecté, de la colorimétrie qui retrouve une nouvelle fraîcheur et du relief inattendu. Enfin, l’ensemble est consolidé par une compression AVC de haute tenue. Un lifting de premier ordre.

Son - 4,0 / 5

Le rendu acoustique est souvent inhérent aux diverses conditions de tournage, mais dans l’ensemble le confort est assuré. Les voix sont solidement délivrées, les effets annexes sont clairs et riches, la musique exsudée avec force. Quelques éléments de ces pistes Mono d’origine demeurent couverts, chuintants et parfois grinçants, rien de bien gênant ceci dit. L’Enigme de Kaspar Hauser est disponible en allemand et en français. Dans les deux cas, les craquements ne sont pas rares et un souffle se fait entendre tout du long, même si étonnamment la version française apparaît plus « aérée ».

Signalons que Signes de vie est disponible en 5.0. Cela profite surtout à la musique du film, joliment spatialisée.

En ce qui concerne le Blu-ray d’Aguirre, la colère de Dieu : Ce nouveau mixage DTS-HD Master Audio 5.1, frôle la perfection. En effet, à part quelques sensibles saturations dans les aigus, la magnifique partition de Popol Vuh trouve ici un coffre inédit, un nouvel écrin acoustique dynamique et même percutant (les coups de canon, soutenus par le caisson de basses), jamais entaché par un souffle quelconque. Ce mixage éclatant combine la musique et les dialogues avec une fluidité et une ampleur quasi-exemplaires. Les latérales soutiennent solidement l’ensemble et instaurent un vrai confort phonique avec de multiples ambiances naturelles qui participent réellement à la plongée dans le chef-d’oeuvre de Werner Herzog. La piste française Stéréo s’en tire également avec tous les honneurs, bien que plus altérée et moins homogène dans son rendu. Les sous-titres français ne sont pas imposés et le changement de langue non verrouillé à la volée.

Crédits images : © Potemkine

Configuration de test
  • Téléviseur 16/9 Sony LCD Bravia KDL-32W5710
  • Sony BDP-5350
  • Ampli Pioneer VSX-520
  • Kit enceintes/caisson Mosscade (configuration 5.1)
  • TEST EN RÉSOLUTION 1080p - Diagonale image 81 cm