Werner Herzog - Vol. 2 : 1976-1982 (1976) : le test complet du DVD

Édition limitée version restaurée

Réalisé par Werner Herzog
Avec Klaus Kinski, Isabelle Adjani et Claudia Cardinale

Édité par Potemkine Films

Voir la fiche technique

Avatar Par
Le 05/05/2015
Critique

Photo Werner Herzog Coffret 2

Ce coffret réunit la deuxième partie de l’oeuvre de Werner Herzog, le plus grand cinéaste allemand actuel. Folie, marginalité, destruction, exploit, mégalomanie… tels sont les thèmes qui parcourent sa filmographie. Cinéaste hors du commun, il traverse les genres, transcende les modes, et ne cesse de brouiller les pistes.

Du documentaire expérimental au blockbuster hollywoodien, chaque film d’Herzog est une expérience intense. De la forêt amazonienne aux volcans en éruption, des sommets de l’Himalaya aux profondeurs des abysses, ses tournages sont de véritables aventures. A l’image d’un Francis Ford Coppola sur le tournage d’Apocalypse Now, Herzog pousse ses troupes jusqu’à la rupture. Mettre sa vie en jeu est pour le cinéaste la règle, un devoir même. Il capte ainsi les plus authentiques images du monde. Ses récits sont des contes sur l’homme et son appétit de conquête, sur sa vanité, aussi.

Ce deuxième coffret réunit les films du cinéaste réalisés entre 1976 et 1982. deux autres volumes paraîtront en 2015 et rendront compte, chronologiquement et quasiment intégralement, de l’oeuvre du réalisateur.

A noter que Fitzcarraldo, en Blu-ray dans ce coffret, sera proposé en combo Blu-ray + DVD le 6 octobre, et comprendra Burden of Dreams, documentaire réalisé par Les Blank pendant le tournage du film (inclus dans le coffret), mais aussi un cahier photos de 16 pages et, en collaboration avec les éditions Capricci, Conquête de l’inutile, le journal de bord tenu par Werner Herzog pendant le tournage de Fitzcarraldo.

DVD 1 : Coeur de verre - long métrage (1976, 91’) :

Basse-Bavière, XVIIIe siècle, Mühlbeck, maître verrier, est mort en emportant avec lui le secret de fabrication du Verre-Rubis, laissant son village, dont la verrerie était la seule source de richesse, dans le désarroi. Afin de retrouver la recette du Verre-Rubis les travailleurs et le patron de l’usine font appel à Hias, une sorte d’oracle. Mais toutes les paroles de l’oracle annoncent l’Apocalypse. La technique de fabrication du Verre-Rubis demeure introuvable et des événements funestes se produisent entraînant le village dans la folie…

Photo Coeur de verre

Réalisé entre L’Énigme de Kaspar Hauser (1974) et La Ballade de Bruno (1977), Coeur de verre (1976) s’inspire d’une légende bavaroise (où a grandi Herzog), celle du berger au don de voyance. Ce film demeure célèbre dans la prolifique carrière de l’immense Werner Herzog puisque celui-ci aurait hypnotisé ses comédiens non professionnels - à l’exception du personnage principal de Hias et les véritables souffleurs de verre pour éviter les accidents - avant chaque prise, leurs regards dénués d’expression, semblant perdus, leurs démarches de zombie y compris les dialogues hésitants, éthérés, la plupart du temps improvisés, renforçant l’étrangeté de son histoire, tout en appuyant la transe collective des habitants du village à l’annonce de la prophétie.

Remarquable reconstitution du XVIII et tourné dans de splendides décors naturels, entre la Bavière et l’Irlande, en passant par les Etats-Unis et la Suisse, Coeur de verre convie le spectateur dans un monde à part, au-delà du cinéma, à mi-chemin entre le voyage dans le temps et un univers quasi-fantastique. La composition aérienne de Popul Vuh (Aguirre, la colère de Dieu, Nosferatu, fantôme de la nuit, Fitzcarraldo), l’extraordinaire photographie de Jörg Schmidt-Reitwein (Fata Morgana, Woyzeck) participent à cette incroyable expérience cinématographique et sensorielle, difficile d’accès certes, mais qui foudroie le spectateur, témoin malgré lui d’un monde au bord du chaos où les êtres humains, prisonniers de leur corps comme toujours chez Herzog, mais aussi ici de leur position géographique, semblent se résigner après la peur et attendent le Jugement dernier, puisque la mort ne sera qu’une délivrance… A moins que certains souhaitent aller au-delà du monde pour voir si la Terre est réellement plate… Comme Herzog qui s’aventure toujours plus loin, aux frontières du cinéma.

Photo Coeur de verre

DVD 2 : Personne ne veut jouer avec moi - court métrage (1976, 14’) :

Dans une classe de primaire, le petit Martin est ostracisé par ses camarades, jusqu’au jour où il se lie d’amitié avec une fillette.

La même année que Coeur de verre, Werner Herzog brouille les pistes avec Personne ne veut jouer avec moi. Fiction ? Documentaire ? On ne saurait trancher. Le cinéaste se focalise sur un petit garçon, Martin, caché au fond de la classe, seul, triste, pendant que ses camarades jouent, fond la ronde en parlant de lui, en lui disant qu’il est sale, le pointant du doigt puisqu’il n’a pas la télévision. Il ne mange que du popcorn pendant que sa mère, atteinte d’un cancer, reste au lit. Son seul compagnon et ami est un corbeau prénommé Max. Jusqu’au jour où une petite fille de sa classe décide de se faire sa propre opinion en allant le voir directement chez lui. Elle découvre alors son quotidien, y compris son père qui le bat.

Nous ne dirons pas que Personne ne veut jouer avec moi est un film à part dans la filmographie de Werner Herzog puisque tous les films du cinéaste le sont, mais ce court-métrage réalisé pour le compte de l’Institut allemand de la Jeunesse, soutenu par le Ministère de l’éducation et de la science pour l’unité didactique «  Enfance rejetée  » est d’une grande délicatesse, pudiquement filmée à hauteur d’enfants. Un manifeste pour le droit à la différence et pour lutter contre les préjugés.

Photo Personne ne veut jouer avec moi

How Much Wood Would a Woodchuck Chuck - documentaire (1976, 44’) :

En Pennsylvanie, les concours de vendeurs de bestiaux donnent lieu à d’étonnantes enchères scandées à l’ancienne.

Werner Herzog nous offre un documentaire totalement dingue et pittoresque. Le réalisateur nous invite à participer au 13e championnat du monde des commissaires-priseurs de vente de bétail, qui se déroule au sein d’une communauté Amish, chaque année en Pennsylvanie. Les confrères et concurrents s’enchaînent et doivent convaincre autant les jurés que les acheteurs potentiels qui réalisent de véritables ventes. How Much Wood Would a Woodchuck Chuck, l’équivalent anglais des «  chaussettes de l’archiduchesse…  » est le premier film de Werner Herzog tourné sur le sol américain. Fasciné par ce langage, qu’il appellera ensuite «  la poésie du capitalisme  » ou le «  langage de la propagande du système économique  », le cinéaste plante sa caméra, observe, commente sans aucune moquerie ni ironie ces concours d’élocution hors du commun, et part à la rencontre de certains des 53 participants (dont une femme), venus des quatre coins des USA et du Canada, qui expliquent comment leur est venu ce don. Cette «  observation d’une nouvelle langue  », qui s’apparente à quelques incantations yodlées passées en accéléré, est totalement bluffante, drôle, effrayante et même souvent vertigineuse.

Photo How Much Wood Would a Woodchuck Chuck

La Soufrière - documentaire (1977, 30’) :

En 1976, Herzog se rend en Guadeloupe alors que le volcan de La Soufrière, toujours en activité, menace d’entrer en éruption. D’après les sismographes, s’annonce une catastrophe inévitable dont la puissance pourrait être équivalente à celle de cinq bombes atomiques. 75 000 habitants sont alors évacués de Basse-Terre. Herzog part à la rencontre d’une poignée d’habitants qui ont choisi de rester, au péril de leur vie.

Photo La soufrière

Avez-vous déjà réellement assisté à la fin du monde ? C’est l’expérience à laquelle Werner Herzog propose de participer dans La Soufrière. Un matin de juillet 1976, le cinéaste apprend dans un article qu’une éruption massive du volcan guadeloupéen est prête à détruire une grande partie de l’Ile. Il décide de se rendre à Basse-Terre avec deux chefs opérateurs, trouve une ville désertée, fantomatique, noyée dans les gaz toxiques, et découvre ensuite quelques habitants qui ont refusé d’évacuer les lieux, en attendant la mort - si elle doit venir - avec sérénité et résignation. Ce n’est donc pas la fureur du volcan qui attire réellement Werner Herzog, mais plutôt de savoir pourquoi ces hommes, attachés à cette terre, préfèrent s’allonger et fermer les yeux, plutôt que de fuir cette catastrophe annoncée.

Herzog se met en scène, commente et filme les rues vidées de ses habitants (évacués vers Pointe-à-Pitre et Grande-Terre), les boutiques pillées, les chiens errants, certains morts de faim, d’autres suite aux inhalations des vapeurs toxiques provenant de cette montagne majestueuse. Je suis une légende, en vrai, sans aucun trucage ou mise en scène. Resté longtemps inédit, La Soufrière est un document exceptionnel tant par la nature de son sujet que par le portrait du cinéaste qui se dessine. Un homme fou, génial, baroudeur prêt à tout pour tester ses propres limites et celle de ses semblables. Pour reprendre ses propres mots, si La Soufrière est finalement  » un film sur une catastrophe inévitable qui n’a pas eu lieu « , Werner Herzog en a fait un merveilleux objet de cinéma.

Photo La soufrière

Fric et foi - documentaire (1980, 44’) :

Gene Scott, un télévangéliste californien, furieux prêcheur et collecteur de dons, roi du direct et du regard caméra, se révèle être un bonimenteur d’une intelligence diabolique.

«  L’homme de Dieu en colère  », tel est sous-titré Fric et foi, documentaire réalisé par Werner Herzog en 1980, juste après Woyzeck. Le réalisateur allemand jette son dévolu sur le «  Dr  » Gene Scott, prêcheur à la télévision américaine, qui présente près de dix émissions par jour en direct dans ses divers studios de télévision qui retransmettent ses émissions sur ses 3 chaînes câblées. Herzog semble fasciné par son sujet principal, le fixe avec attention dans son travail, l’observe exploser face caméra en insultant ses fidèles devant l’écran quand les dons s’avèrent insuffisants pour «  répandre la parole de Dieu  ». Il se tait et boude comme un gamin à qui on aurait confisqué un jouet, en attandant que les chiffres bougent à l’écran.

Self made man charismatique, Gene Scott se confie ensuite directement et sans embarras à Werner Herzog, se dit seul, désireux d’échapper à «  tout ce cirque mais il faut bien que quelqu’un fasse le boulot  », s’avoue stérile… Werner Herzog interroge cette facette singulière et ambiguë du rêve américain. Si Gene Scott s’égosille pour renflouer les caisses de son «  Dirigeant  », le bougre, bien qu’il se dise sans argent, n’oublie probablement pas d’en prélever une bonne part, ce qui lui permet d’avoir une grosse bagnole avec chauffeur, des beaux costumes et une montre de plusieurs kilos.

Dieu le Père et le Dieu de la finance sont donc liés sur le sol de l’Oncle Sam, même si en contrepartie le Dr Gene Scott affronte 70 procès intentés pour détournement d’argent, outrages, chantage et fraude fiscale. Au final, Fric et foi ne trompe pas. Werner Herzog nous dresse le portrait d’un mec immonde qui s’enrichit sur le dos des petites gens, en leur promettant une place au paradis, moyennant payant…

Photo Fric et foi

DVD 3 : La Ballade de Bruno - long métrage (1977, 104’) :

A peine sorti de prison où il vient de jurer au directeur de ne plus boire, Bruno S. entre dans un café boire une bière et s’attire immédiatement des ennuis. Marginal, musicien de rue, Bruno rencontre Eva, une jeune prostituée molestée par ses souteneurs. Menacés et cherchant à fuir leur condition, ils quittent Berlin avec l’aide de leur ami Scheitz, pour tenter l’aventure américaine. Arrivés sur place, ils ne tardent pas à rencontrer des difficultés financières, qui gangrènent alors le rêve américain si convoité.

Photo La Ballade de Bruno

Dans son chef-d’oeuvre L’Énigme de Kaspar Hauser (1974), le rôle-titre était interprété par Bruno, acteur et surtout musicien allemand, dont la vie ressemblait étrangement à celle de son personnage. Ancien interné d’un asile psychiatrique, Bruno, de son vrai nom Bruno Schleinstein (1932-2010), était un enfant non voulu, battu et abandonné par sa mère. Il passera 23 ans dans un asile. Attiré par l’art, il peint et apprend à jouer de l’accordéon, du piano et d’autres instruments de musique en autodidacte. Musicien de rue et ouvrier, il est découvert en 1970 par Werner Herzog dans un documentaire et désire l’engager comme acteur principal dans L’Enigme de Kaspar Hauser. Malgré son inexpérience, Bruno s’avère remarquable.

Désirant collaborer à nouveau avec Bruno, Werner Herzog lui écrit spécialement La Ballade de Bruno, pour lequel il s’inspire une fois de plus de sa véritable histoire. Le bonheur n’a pas de prix… et pourtant si. La Ballade de Bruno est un chef-d’oeuvre quasi-inclassable, oscillant entre mélodrame à la Fassbinder dans sa première partie, puis le film d’aventures, le western, la chronique sociale, toujours à la frontière du documentaire, à l’instar de cette séquence ébouriffante de beauté avec le bébé prématuré. On y retrouve même un des commissaires-priseurs de How Much Wood Would a Woodchuck Chuck, dans l’exercice de ses fonctions, quand Bruno voit partir le peu qui lui restait, jusqu’à son mobile-home qu’il regarde s’éloigner, restant seul sur le terrain vague, démuni, écrasé par le système capitaliste.

La Ballade de Bruno est un film sans concessions, qui démontre que les petites gens et les laissés-pour-compte ne cessent d’être malmenés, humiliés et broyés par la vie, malgré les rêves et espoirs, qui s’avèrent toujours déçus. A ce jour la seule fiction de Werner Herzog se déroulant dans l’Allemagne de son temps, La Ballade de Bruno jongle avec les genres, avec virtuosité, de la ville de Berlin, triste, grise, jusque dans le Wisconsin où Bruno (incroyable de justesse et terriblement attachant), son pote et sa compagne (excellente Eva Mattes) vont se heurter à la réalité américaine, impitoyable, finalement universelle.

Un mirage, un des thèmes de prédilection du cinéaste. Comme durant sa fin - sensationnelle - cyclique (un clin d’oeil aux Nains aussi ont commencé petits), procédé récurrent dans l’oeuvre de Werner Herzog, La Ballade de Bruno est une ritournelle qui n’a de cesse de triturer les méninges, encore et encore, sans fin, comme le stupide numéro musical des animaux enfermés dans leurs cages. Inoubliable.

Photo La Ballade de Bruno

DVD 4 : Nosferatu, fantôme de la nuit - long métrage (1979, 103’) :

Au XIXe siècle, Jonathan Harker se rend en Transylvanie pour vendre un manoir au comte Dracula. Sur la route, les villageois lui conseillent de rebrousser chemin mais le jeune homme refuse. Au moment de la signature, Dracula aperçoit un portrait de la fiancée de Harker, identique en tous points à sa défunte épouse. Jonathan est fait prisonnier et le comte se rend à Londres pour retrouver la jeune femme.

Photo Nosferatu

Nosferatu, fantôme de la nuit est le film de la filiation, un pont dressé par Werner Herzog entre deux rives, celle du cinéma expressionniste allemand et celle du nouveau cinéma allemand. Après La Ballade de Bruno, le réalisateur revient dans son pays et souhaite rendre hommage à l’un de ses maîtres reconnus, Friedrich Wilhelm Murnau, en réalisant non pas un remake, mais une nouvelle et personnelle interprétation de son chef-d’oeuvre, Nosferatu le vampire (1922). Herzog désire mettre cette histoire en couleurs et surtout lui apporter une «  voix  ». S’il lui est très fidèle, le cinéaste livre une oeuvre qui complète parfaitement celle de Murnau et peut compter sur un atout de taille en la personne de Klaus Kinski, qui s’empare avec délectation de ce rôle écrasant.

Nosferatu, fantôme de la nuit est une succession de tableaux magnifiquement cadrés, éclairés, peints pourrait-on dire. Chaque décor (naturel) est étudié avec la présence d’un architecte, chaque plan est une merveille, une oeuvre d’art devant laquelle on ne peut que s’extasier. La présence éthérée d’Isabelle Adjani, celle suintante de Roland Topor, sans oublier évidemment le jeu au bord de l’hyper ventilation de Bruno Ganz, participent à la plongée du spectateur dans un univers confiné, renfermé comme dans un cercueil, une poésie du macabre. Le visage fascinant, les mains griffées, les yeux tristes (renforçant l’humanité troublante et tragique du personnage) la silhouette longiligne de Klaus Kinski qui erre dans les rues infestées de rats, s’impriment durablement, pour ne pas dire de manière indélébile dans nos mémoires de cinéphile, tout comme la partition de Popol Vuh qui nous bercent jusqu’à l’hypnose.

Photo Nosferatu

DVD 5 : Woyzeck - long métrage (1979, 77’) :

Dans une petite ville de garnison au XIXe siècle, le soldat Woyzeck subit les brimades de sa hiérarchie, et découvre bientôt que sa femme Marie le trompe. C’est l’humiliation de trop et Woyzeck sombre dans la folie.

Photo Woyzeck

Immédiatement après Nosferatu, fantôme de la nuit, Werner Herzog enchaîne directement, autrement dit cinq jours après le clap final de son hommage à Murnau, avec un projet qui lui tient à coeur depuis de nombreuses années, l’adaptation de la pièce de théâtre fragmentaire de Georg Büchner (1813-1937), Woyzeck, écrite en 1837 et restée inachevée après la mort du dramaturge. Klaus Kinski ressort épuisé, complètement lessivé par le tournage de Nosferatu. Qu’à cela ne tienne, Werner Herzog lui confie le rôle-titre de Woyzeck et compte bien miser sur l’épuisement du comédien afin de faire ressortir tout le désarroi du personnage principal, en misant systématiquement sur une prise unique, d’où une durée de tournage réduite à seulement 18 jours.

Une fois de plus, Kinski est métamorphosé devant la caméra de Werner Herzog, mais pas seulement. Les yeux brouillés de larmes, les traits tirés, la tête basse, l’acteur paraît une fois de plus totalement habité par son personnage et semble réellement souffrir. On peut le dire, jamais Kinski n’a jamais été aussi attachant et émouvant. La séquence où Woyzeck perd complètement les pédales et s’en prend à sa femme, excellemment interprétée par Eva Mattes (Allemagne mère blafarde, Les Larmes amères de Petra von Kant, La Ballade de Bruno), récompensée par le Prix du meilleur second rôle féminin au Festival de Cannes en 1979, est probablement une des plus marquantes de toute la filmographie de Kinski. Il y est extraordinaire, magnétique, puissant.

Pourtant Woyzeck n’est pas un film austère et la photo (sublime) lumineuse contraste littéralement avec la noirceur du propos. De plus, le film n’est pas dénué d’humour, à l’instar du générique qui montre le soldat à l’oeuvre dans quelques exercices physiques accélérés, presque cartoonesques. Mais très vite, Herzog montre un monde qui broie les plus faibles. Les supérieurs de Woyzeck le méprisent, le médecin militaire le maltraite jusqu’à l’utiliser comme cobaye dans quelques expériences médicales non autorisées, ses camarades de garnison le traitent comme un moins que rien.

La tempête se lève sous ce calme apparent, sa santé mentale décline, jusqu’à l’explosion de violence. Angoissant. Sublime.

Photo Woyzeck

Disque 6 / Blu-ray : Fitzcarraldo - long-métrage (1982 , 150’) :

Brian Sweeney Fitzgerald, plus connu sous le nom de Fitzcarraldo, a un rêve : construire, au coeur de la forêt amazonienne, un opéra, que viendraient inaugurer le grand Caruso et la tragédienne Sarah Bernhardt. Afin de financer ce projet, il achète une concession de caoutchouc le long du fleuve Uycali, réputé inaccessible à cause de violents rapides. En quête de mécènes, il trouve un riche exploitant qui accepte de lui céder un vieux bateau : avec un équipage de fortune, il part rejoindre Iquitos, au coeur d’un territoire peuplé uniquement d’Indiens. Pour atteindre sa concession, Fitzcarraldo choisit de descendre le fleuve Pachitea, séparé de l’Uycali seulement par une montagne. Il devra hisser son bateau à vapeur en haut de la montagne pour basculer sur l’autre versant.

Photo Fitzcarraldo

Il y a des films dont on sait en les découvrant qu’ils resteront gravés à jamais dans nos mémoires. Fitzcarraldo de Werner Herzog est de ceux-là. Cet immense chef d’oeuvre est l’incarnation d’un rêve, celui du personnage principal, magnifiquement incarné par Klaus Kinski (pourtant odieux sur le plateau) et épaulé par la superbe Claudia Cardinale, prêt à soulever des montagnes - du moins à en gravir une avec un bateau à vapeur de plus de 300 tonnes - pour pouvoir réaliser le sien, mais aussi celui d’un metteur en scène qui décide d’aller au-delà de l’illusion, du mirage et du songe en réalisant cet exploit sans aucune tricherie, sur place, avec plus de 1000 véritables Indiens campas, sans artifices, par la seule force de la volonté.

Herzog ne veut pas se mentir à lui-même et encore moins mentir aux spectateurs. Fitzcarraldo est Herzog, Herzog est Fitzcarraldo, à tel point qu’il envisage un temps interpréter lui-même le rôle principal. Nous ne reviendrons pas sur le tournage aussi légendaire que chaotique et maudit qui s’est étalé de 1979 à 1984, nous en parlons dans la critique de Burden of Dreams, le documentaire réalisé par Les Blank sur le tournage du film, disponible en guise de supplément.

Photo Fitzcarraldo

Fitzcarraldo est le défi de l’impossible qui s’incarne. Avec ce chef-d’oeuvre, Prix de la Mise en Scène au Festival de Cannes en 1982, Werner Herzog fait éclater la frontière symbolique entre la réalité et la fiction. Si de nombreux films du réalisateur ont toujours su jouer sur cet équilibre à l’instar de La Ballade de Bruno, Fitzcarraldo va bien au-delà puisque le défi impossible est relevé à la fois par le personnage principal, moqué de toutes parts (on l’appelle le Conquistador de l’inutile) et qui s’est déjà relevé d’une première déconvenue qui l’a quasiment ruiné, et le cinéaste.

Werner Herzog a souvent dit qu’il ne rêvait pas, ou du moins qu’il ne se souvenait jamais de ses rêves. Une des raisons pour laquelle il est devenu réalisateur, un raconteur d’histoires hors pair - pour ne pas dire hors père puisqu’en tant qu’autodidacte Herzog ne revendique aucune filiation cinématographique, même s’il avoue admirer Murnau - qui souhaite vivre ses rêves et les faire partager aux spectateurs.

Dix ans après Aguirre, la colère de Dieu, Werner Herzog n’a pas fait que remporter son pari le plus fou, il est aussi parvenu à nous hypnotiser à travers ses images d’une beauté époustouflante, à nous faire traverser l’écran, à nous faire toucher l’immatériel, ce à quoi se rajoutent l’envoûtante et ensorcelante composition de Popol Vuh et la voix de Caruso qui apaise les tensions entre les êtres. Le rêve permet à l’homme de s’élever, d’oublier sa mortalité. Le cinéma permet de vivre ses rêves.

Photo Fitzcarraldo

Présentation - 5,0 / 5

Les tests ont malheureusement été réalisés sur des check-discs… nous ne sommes donc pas en mesure d’indiquer comment se présente ce coffret, qui paraît néanmoins superbe. Les menus principaux des disques sont animés et musicaux. Ce coffret contient également un livret de 100 pages rédigé par Hervé Aubron et illustré de photos inédites.

Bonus - 5,0 / 5

Photo Werner Herzog Coffret 2

Coeur de verre (3’), How Much Wood Would a Woodchuck Chuck (3’), La Soufrière (4’), Fric et foi (3’), La Ballade de Bruno (5’), Nosferatu, fantôme de la nuit (4’), Woyzeck (3’) et Fitzcarraldo (5’) sont présentés par les historiens du cinéma Olivier Bitoun et Hervé Aubron. Nos interlocuteurs replacent ces oeuvres dans la carrière de Werner Herzog en revenant également sur les thèmes abordés et les conditions de tournage.

Coeur de verre, La Ballade de Bruno, Nosferatu, fantôme de la nuit et Fitzcarraldo sont disponibles avec les commentaires audio de Werner Herzog, menés par le journaliste Norman Hill et disponibles en version anglaise sous-titrée en français. Le producteur Lucki Stipetic, frère de Werner Herzog, se joint aux deux hommes sur celui de Fitzcarraldo. Ces commentaires s’avèrent évidemment indispensables pour les cinéphiles passionnés par l’oeuvre du cinéaste. Les échanges sont denses et informatifs. Le metteur en scène en dit long sur les conditions et les lieux de tournage, croise habilement le fond avec la forme, la genèse de ses oeuvres, le casting. Le tout sans cesse marqué par de nombreuses anecdotes de tournage.

DVD 2 : Discussion avec Werner Herzog à la Cinémathèque française (26’), enregistrée le 17 novembre 2015. Ce dialogue autour de La Soufrière, animé par Serge Toubiana, regorge d’anecdotes liées au tournage et les conditions des prises de vue.

DVD 3 : Bruno S. - Estrangement is Death - documentaire (2003, 60’) :
Ce documentaire exceptionnel réalisé par Miron Zownir, suit le comédien Bruno S. - pour en savoir plus, référez-vous à notre critique de La Ballade de Bruno - alors âgé de 69 ans, dans sa vie de tous les jours, dans son appartement de Berlin, jouant de l’accordéon dans la rue ou dans les cours d’immeubles. Bruno S. évoque son enfance difficile, ses années d’internement dans un hôpital psychiatrique et ses rôles chez Werner Herzog. Cet hommage sincère, drôle et émouvant, permet d’en savoir plus sur cette figure aussi atypique qu’incontournable du cinéma allemand qu’était Bruno S., qui n’aura tourné en tout et pour tout que sept films.

DVD 5 : Werner Herzog Eats His Shoe - documentaire réalisé par Les Blank (1980, 19’) :
Pour honorer un pari, Werner Herzog mange sa chaussure, longuement préparée à la vapeur avec des épices et de l’ail, après une projection de Gates of Heaven d’Errol Morris. Il encourage les spectateurs à réaliser un film à n’importe quelles conditions, quitte à voler caméra et pellicule. Des propos restés célèbres. Ce happening montre Werner Herzog s’exprimer face caméra sur ce qui l’a poussé à se lancer dans un tel pari et évoque quelques aventures du même genre comme lorsqu’il s’est lancé nu dans un cactus sur le tournage des Nains aussi ont commencé petits.

Photo Werner Herzog Eats His Shoe

DISQUE 6 : Burden of Dreams - réalisé par Les Blank (1982, 95’, VOSTF) :
Attention, ce film est un événement. En 1981, au coeur de la jungle péruvienne, en plein conflit entre le Pérou et l’Equateur, Werner Herzog s’attaque à l’un de ses tournages plus périlleux de sa carrière. Il fait face aux pires difficultés, sa relation avec Klaus Kinski (que l’on voit exploser avant de se réfugier dans les bras de Herzog au moment de la descente des rapides) est plus houleuse que jamais et il nourrit pour ce film des ambitions folles, jusqu’à exiger le transport d’un bateau au sommet d’une montagne. Là se noue la légende qui entoure Fitzcarraldo.

Photo Burden of Dreams

Ces 93 minutes issues de 5 semaines de prises de vue, sont aussi extraordinaires que le film lui-même. Werner Herzog se confie devant la caméra de son ami Les Blank (1935-2013), revient sur la genèse du film et les défis à relever avec notamment le hissage du bateau. Le cinéaste n’est pas au bout de ses peines car quatre années séparent le premier jour de la préproduction au dernier jour de tournage. Ce making of, probablement un des plus sensationnels que vous pourrez voir dans votre vie, montre Werner Herzog à l’oeuvre avec ses comédiens, avec les 1100 Indiens et dévoile surtout quelques images du premier tournage avec Jason Robards (après le désistement de Jack Nicholson, puis le décès de Warren Oates) et Mick Jagger, avant que le premier ne tombe gravement malade. La production est donc interrompue à la fin de l’année 1979, Jason Robards ne reviendra pas et Mick Jagger doit ensuite se consacrer à l’enregistrement de l’album Tattoo You puis à la tournée qui s’ensuit avec les Rolling Stones. Le tournage ne reprendra qu’en janvier 1981 avec Klaus Kinski dans le rôle principal.

Ce témoignage d’un des tournages maudits de l’histoire du cinéma (maladies, conflits entre Indiens et compagnies pétrolières, conflit entre l’Équateur et le Pérou, pannes de matériel, ravitaillement difficile, conditions climatiques, colères de Kinski, épuisement de toute l’équipe) - on pense souvent à Heart of Darkness, le récit du tournage d’Apocalypse Now - est sidérant et demeure absolument indispensable. De plus, signalons que le film est disponible en 1080p, contrairement à >Fitzcarraldo, et que l’image est superbe !

Photo Burden of Dreams

Image - 4,5 / 5

Coeur de verre, 1.66, 16/9 
Personne ne veut jouer avec moi, 1.33, 4/3 
How Much Wood Would a Woodchuck Chuck, 1.33, 4/3 
La Soufrière, 1.33, 4/3 
Fric et foi, 1.33, 4/3 
La Ballade de Bruno, 1.66, 16/9 
Nosferatu, fantôme de la nuit, 1.85, 16/9 
Woyzeck, 1.66, 16/9 
Fitzcarraldo, 1.85, 16/9 

Point de film en N&B sur ce coffret. Proposés dans leur format respecté, les masters sont clairs, propres (une restauration de haut niveau), la définition est supérieure à celle des films disponibles sur le premier coffret, le piqué plus aiguisé, la stabilité indéniable et les contrastes mieux gérés. La colorimétrie respecte les sublimes partis pris originaux, le grain est appréciable et la restauration offre aux spectateurs de très bonnes, voire d’excellentes conditions de visionnage. Si quelques fourmillements demeurent constatables sur les arrière-plans ainsi que divers moirages et voiles granuleux (voir l’intro de Coeur de verre), découvrir et redécouvrir tous ces joyaux dans de telles conditions techniques - la propreté des copies est sidérante - demeure fort appréciable.

Photo Nosferatu

En ce qui concerne la copie de Nosferatu, fantôme de la nuit : Le chef-d’oeuvre de Werner Herzog avait connu une sortie en Blu-ray chez Gaumont en 2010. La copie présentée ici par Potemkine, en DVD, n’a souvent rien à envier à la précédente édition HD. L’image est ici clairement dépoussiérée et restitue magnifiquement les partis pris esthétiques du chef opérateur Jörg Schmidt-Reitwein (Fata Morgana, L’Enigme de Kaspar Hauser, Woyzeck), sans altérer le grain original. Dès le générique d’ouverture, la copie fait preuve d’une stabilité appréciable et le piqué s’avère très pointu. Les noirs sont denses, les contrastes sont très bien gérés. Toutefois, les séquences où apparaît Klaus Kinski semblent être les plus altérées du lot, le comédien demeurant souvent dans l’ombre ou dans des clairs-obscurs teintés d’un voile légèrement grumeleux. Le rendu des visages blafards des comédiens est superbe, surtout sur les séquences diurnes en extérieur comme lors du périple de Jonathan jusqu’à la demeure de Dracula où la palette colorimétrique brille par ses teintes froides à dominante bleue, et par ses blancs cassés. En revanche, les quelques plans mettant en valeur la chauve-souris sur fond gris semblent échapper d’un lot de stock-shots et ne s’accordent guère avec l’ensemble par une granulation exacerbée et une image floue. Les plus observateurs s’amuseront à détecter les raccords prosthétiques visibles sur le visage de Klaus Kinski, notamment sur le haut du front et les oreilles. En dehors de ces quelques petites sautes sur les arrière-plans, ce master s’avère flatteur pour les mirettes.

A l’instar d’Aguirre, la colère de Dieu, Fitzcarraldo est proposé en HD, dans un Blu-ray au format 1080i. Néanmoins, la qualité de ce nouveau et superbe master restauré HD (format respecté 1.85) est souvent exceptionnelle et le chef-d’oeuvre de Werner Herzog renaît littéralement devant nos yeux ébahis. Les contrastes affichent d’emblée une gestion solide, la copie est stable, d’une propreté quasi-immaculée, le piqué souvent impressionnant sur les gros plans et les détails fourmillent surtout sur les costumes et les plans diurnes en extérieur qui sont à couper le souffle. Alors certes, tout n’est pas parfait, quelques légers flous sporadiques font leur apparition (imputables aux conditions de tournage), une ou deux séquences sont plus altérées, mais ces menus accrocs sont bien trop anecdotiques compte tenu de la clarté, des noirs concis, des blancs scintillants ou éthérés, du grain cinéma respecté, de la colorimétrie qui retrouve une nouvelle fraîcheur et du relief inattendu. Enfin, l’ensemble est consolidé par une compression AVC de haute tenue. Un lifting de premier ordre.

Photo Fitzcarraldo

Son - 4,0 / 5

Coeur de verre, Mono, VOSTF et VF
Personne ne veut jouer avec moi, Mono, VOSTF
How Much Wood Would a Woodchuck Chuck, Mono, VOSTF
La Soufrière, Mono, VOSTF
Fric et foi, Mono, VOSTF
La Ballade de Bruno, Mono, VOSTF et VF
Nosferatu, fantôme de la nuit, version originale allemande mono et Dolby Digital 5.1 
Woyzeck, Mono, VOSTF
Fitzcarraldo, DTS-HD Master Audio 2.0 français et anglais sous-titré français

Le rendu acoustique est souvent inhérent aux diverses conditions de tournage, mais dans l’ensemble le confort est largement assuré. Les voix sont solidement délivrées, les effets annexes sont clairs et riches, la musique exsudée avec force. Quelques éléments de ces pistes Mono d’origine demeurent couverts, chuintants et parfois grinçants, rien de bien gênant ceci dit. Coeur de verre et La Ballade de Bruno sont disponibles en version originale et en français. Dans les deux cas, le souffle est limité, les versions françaises s’avèrent plus fortes avec des dialogues parfois mis trop à l’avant.

Le nouveau mixage Dolby Digital 5.1 de Nosferatu, fantôme de la nuit est satisfaisant. En effet, à part quelques sensibles saturations dans les aigus, la magnifique partition de Popol Vuh trouve ici une ampleur inédite, un nouvel écrin acoustique dynamique et même enivrant, jamais entaché par un souffle quelconque. Cette option acoustique combine la musique et les dialogues avec une belle fluidité et une ampleur inédite. Les latérales soutiennent l’ensemble sur les envolées musicales et instaurent une légère mais palpable spatialisation. Les puristes préféreront tout de même la piste Mono d’origine, largement suffisante.

Pour Fitzcarraldo, bien que notre dossier de presse indique un mixage DTS-HD Master 5.1, il n’en est rien. Les mixages anglais et français sont proposés DTS-HD Master Audio 2.0. Ces deux versions distillent parfaitement la musique de Popol Vuh. La piste anglaise manque peut-être un brin de dynamisme, mais se révèle nettement suffisante. Au jeu des différences, la version française, à la postsynchronisation médiocre, se focalise parfois trop sur les dialogues au détriment des ambiances et effets annexes, mais le rendu musical est élevé.

La piste originale, souvent exemplaire et limpide, s’accompagne d’un très léger souffle, le niveau des dialogues est aléatoire, certains échanges sont un peu pincés et le mixage manque parfois d’harmonie. Toutefois, cette version est évidemment celle à privilégier, le confort acoustique étant plus probant et les effets annexes plus riches.

Pour tous ces titres, les sous-titres français ne sont pas imposés et le changement de langue non verrouillé à la volée.

Photo Nosferatu

Crédits images : © Potemkine

Configuration de test
  • Téléviseur 16/9 Sony LCD Bravia KDL-32W5710
  • Sony BDP-5350
  • Ampli Pioneer VSX-520
  • Kit enceintes/caisson Mosscade (configuration 5.1)
  • TEST EN RÉSOLUTION 1080p - Diagonale image 81 cm
Note du disque
Avis

Moyenne

5,0
5
1
4
0
3
0
2
0
1
0

Je donne mon avis !

Avatar
Franck Brissard
Le 14 mai 2015
Coeur de verre + Personne ne veut jouer avec moi + How Much Wood Would a Woodchuck Chuck + La Ballade de Bruno + La Soufrière + Nosferatu, fantôme de la nuit + Woyzeck + Fric et foi + Fitzcarraldo = INDISPENSABLE !

Lire les avis »

Multimédia

Proposer une bande-annonce

Du même auteur
(publicité)

(publicité)