Réalisé par Jafar Panahi
Avec
Jafar Panahi et Nasrin Sotoudeh
Édité par Memento Films
Installé au volant de son taxi, Jafar Panahi sillonne les rues animées de Téhéran. Au gré des passagers qui se succèdent et se confient à lui, le réalisateur dresse le portrait de la société iranienne entre rires et émotions…
Le retour de Jafar. Panahi bien sûr ! Après avoir traité des inégalités et l’absence de liberté dans la société iranienne, de la condition des femmes dans la république islamique d’Iran, de la prostitution, d’un vétéran de la guerre avec l’Irak confronté à l’injustice sociale (Le Cercle, Sang et or, Hors jeu), Jafar Panahi a vu ses oeuvres interdites dans son propre pays, au cinéma et en DVD, même s’ils sont vendus sous le manteau. Tournant alors ses films en secret, il est ensuite arrêté à plusieurs reprises, notamment avec sa femme, sa fille et 15 autres personnes en mars 2010. Jafar Panahi est condamné à six ans de prison - pour participation à des rassemblements et pour propagande contre le régime - et il lui est interdit de réaliser des films, de répondre aux interviews ou de quitter le pays pendant vingt ans. Qu’à cela ne tienne, au nom de la liberté d’expression il coréalise Ceci n’est pas un film puis Pardé, le premier en collaboration avec Motjaba Mirtahsmab, le second avec Kambuzia Partovi. Il réitère cet exploit avec Taxi Téhéran, Ours d’Or au Festival de Berlin en 2015.
Tourné clandestinement avec trois caméras numériques cachées dans l’habitacle, Taxi Téhéran montre Jafar Panahi dans la peau d’un chauffeur de taxi, qui roule à travers les rues de la capitale de l’Iran et accueille quelques clients-passagers, qui représentent une facette spécifique de la ville, un portrait haut en couleurs. Sur le fil fragile tendu entre la fiction et le documentaire, Taxi Téhéran brave les interdits. Panahi utilise son taxi - qu’il voit comme un espace de liberté, où les opinions s’expriment spontanément - comme un vrai studio de cinéma exigu monté sur roues, et fait jouer non pas des personnes prises au hasard dans la rue, mais des comédiens amateurs, non professionnels, des membres de la famille du cinéaste, sa nièce, son avocate Nasrin Sotoudeg (elle-même condamnée à onze ans de prison pour atteinte à la sûreté de l’État, graciée, mais interdite d’exercer sa profession), quelques connaissances ou « connaissances de connaissances » - dont les noms n’apparaîtront pas à l’écran puisqu’il n’y a pas de générique de fin - jouant leur partition, certains ayant d’ailleurs accepté de travailler gratuitement.
Dans son siège, Jafar Panahi est le meneur, le directeur d’acteurs, mais aussi le cadreur, le preneur de son et l’acteur principal de sa nouvelle oeuvre. Il se place également également en tant que « témoin » de ses passagers, les écoute parler librement de la situation du pays. Grave, burlesque, drôle, engagé, intelligent, Taxi Téhéran est un acte de résistance, modeste dans la forme, mais infiniment courageux.
Le DVD de Taxi Téhéran, disponible chez Memento Films, repose dans un slim digipack très attractif. Le visuel reprend celui de l’affiche du film. Le menu principal est fixe et musical.
Outre la bande-annonce, l’éditeur joint la remise de l’Ours d’Or au Festival de Berlin en 2015 (3’). C’est la nièce de Jafar Panahi, qui joue son propre rôle dans Taxi Téhéran, qui monte sur scène pour recevoir la récompense, avant de s’écrouler en pleurs devant l’assistance. Très émouvant.
Taxi Téhéran a été tourné en catimini, avec trois petites caméras numériques dissimulées dans un habitacle de voiture, ainsi qu’à travers le prisme d’un appareil photo ou d’un téléphone. Cette patine « film amateur » est donc respectée et offre des conditions de visionnage limitées. La définition dépend des « conditions » de prises de vues. La colorimétrie est claire, tandis que la gestion des contrastes reste aléatoire. Le piqué est suffisamment mordant, les détails appréciables.
La version persane stéréo révèle une ardeur bienvenue. La balance gauche-droite est savamment dosée, les voix des comédiens fortes et distinctes, les ambiances annexes parviennent à percer, pour finalement offrir un mixage homogène, fluide et sans esbroufe inutile. Les pistes persane et française (!) Dolby Digital 5.1 ne servent principalement qu’à spatialiser la musique et exsuder quelques ambiances naturelles sur les arrières. Il est évident que la piste française (également disponible en Stéréo) est à oublier puisqu’elle manque de naturel, notamment au niveau du doublage de la nièce de Panahi. On croirait écouter une récitation. La version originale Stéréo est donc largement suffisante pour profiter pleinement de Taxi Téhéran.
Crédits images : © Jafar Panahi Film Productions