Réalisé par Nico Papatakis
Avec
Francine Bergé, Colette Bergé et Pascale de Boysson
Édité par Gaumont
Fondateur du cabaret théâtre parisien, « La Rose Rouge », producteur du premier film de John Cassavetes Shadows et de Un Chant d’amour de Jean Genet, dont il fut l’un des plus proches amis, Nico Papatakis se lance à 45 ans dans la réalisation de films subversifs, pour la première fois réunis dans une intégrale, en édition limitée et numérotée : 6 films, 7 DVD, 4 CD, 1 livret et plusieurs heures de suppléments exclusifs.
Le parcours de Nico Papatakis n’est pas commun : né en 1918 à Addis-Abeba d’un père grec et d’une mère éthiopienne, il suivit une scolarité au lycée français de Beyrouth, s’engagea dans l’armée du Négus pour s’opposer à l’invasion mussolinienne, puis s’installa à Paris en 1939, fréquenta l’intelligentsia et fonda, en 1947, le cabaret de La Rose Rouge sur la scène duquel débuteront, entre autres, Juliette Gréco et Les Frères Jacques.
C’est en 1962 qu’il réalise son premier film, Les Abysses (88’, 1.66:1, noir et blanc, VO en français), une adaptation de la pièce de Jean Genet, Les Bonnes, elle-même inspirée de l’histoire, bien réelle, des soeurs Papin qui assassinèrent leurs patronnes en 1933. L’intervention d’André Malraux fut nécessaire pour que le film, âpre, hystérique, inoubliable, soit présenté à Cannes où il fit scandale. Certains ont vu dans cette explosion de violence, douloureusement interprétée par Francine et Colette Bergé, une évocation de la guerre d’Algérie.
Suit Les Pâtres du désordre (1967, 116’, 1.66:1, noir et blanc, VO en grec sous-titré), une tragédie grecque que Papatakis a filmée en Grèce, au moment du coup d’état des colonels. L’histoire, celle d’une femme pauvre faisant tous ses efforts pour que Thanos, son fils berger, épouse Despina, la fille d’un riche propriétaire terrien, permet au réalisateur de mettre en images la brutalité des rapports sociaux et l’humiliation infligée aux plus démunis.
Vient ensuite un film dans le film, Gloria Mundi (1976, 111’, 1.66:1, couleurs, VO en français). Encore inédit sur disque optique, il raconte le tournage d’un film sur la torture utilisée pendant la guerre d’Algérie pour arracher des renseignements. En exergue, cette profession de foi : « À la recherche d’un cri qui traduirait toutes les souffrances, toute la révolte des torturés, des suppliciés de par le monde ». Gloria Mundi, nettement plus provocateur que Les Abysses, déclencha les passions à sa sortie, pour son thème, ainsi que pour des scènes difficilement supportables, estompées dans un nouveau montage que le réalisateur effectuera en 2004, réduisant la durée du film à 93 minutes.
La Photo (1986, 107’, 1.66:1, couleurs, encore inédit sur disque optique). Le scénario a été écrit par Nico Papatakis à partir d’une idée très originale : Ilias fuit la Grèce des colonels pour la France où il se fait héberger par Gerasimos, un lointain cousin, auquel il montre la photo, ramassée sur un trottoir, d’une vedette de la chanson qu’il fait passer pour sa soeur. Gerasimos a le coup de foudre. Pour ne pas le décevoir, Ilias lui fait envoyer une lettre par sa vraie soeur, loin de ressembler à la femme sur la photo. Une comédie noire montée comme un mécanisme d’horlogerie.
Les Équilibristes (1992, 114’, 1.66:1, couleurs), son dernier film et pas le meilleur, est une sorte de règlement de comptes de Nico Papatakis avec son ex-ami Jean Genet : Marcel Spadice (c’est le nom donné au personnage de Jean Genet, interprété par Michel Piccoli), un écrivain homosexuel, pousse Franz-Ali, son jeune amant d’origine algérienne, à prendre d’énormes risques pour devenir funambule, puis le laisse tomber pour un jeune qu’il veut engager dans la course automobile.
Nico Papatakis a créé un cinéma à part, provocateur, subversif, paroxystique. Son oeuvre, pour la première fois réunie dans cette intégrale, est examinée sous toutes ses coutures par différents regards.
Tous les films sont supportés par six DVD-9, chacun présenté dans un sobre digipack gris perle. Seule la version originale est proposée, en français ou en grec, avec sous-titres français, anglais ou grecs et français pour malentendants.
S’y ajoutent deux autres digipacks, l’un contenant des suppléments vidéo (durée totale : 130’), l’autre 4 CD audio avec près de trois heures d’entretiens entre Nico Papatakis et Michel Ciment.
Ces huit digipacks viennent s’insérer dans un solide boîtier cartonné avec couvercle aimanté où trouve aussi sa place un livret bilingue, en français et en anglais (132 pages dans chacune des langues) composé par Manuela Papatakis, la fille du réalisateur, comprenant plusieurs critiques ou hommages de Jean Genet, Jean-Paul Sartre, Jacques Prévert, Claude Lévi-Strauss, Michel Foucault, un long entretien avec Olga Karlatos, ex-épouse de Nico Papatakis et actrice de Gloria Mundi et Les Pâtres du désordre, deux débats de Nico Papatakis avec le public, aux Nouvelles rencontres de Montpellier, le 3 novembre 1987 et au Ciné-club Jean Vigo, le 4 novembre 1987, à l’occasion de la sortie de La Photo, etc.
Sort simultanément une version Blu-ray du même coffret de 11 disques, avec les films en haute définition.
Chaque film est accompagné de ses propres suppléments :
Les Abysses, par une présentation de Michel
Ciment (18’), un entretien avec Francine Bergé
(28’), avec Pierre Rissient (12’), avec Nico
Papatakis (Archives INA, 5’ et 4’).
Les Pâtres du désordre, par une présentation de
Michel Ciment (19’), un entretien avec Giorgos
Dialegmenos, acteur (15’) et Pierre Rissient (10’),
plus une bande-annonce.
Gloria Mundi, version 1976, par une présentation de
Michel Ciment (17’).
La Photo, par une présentation de Michel Ciment
(20’), un entretien avec Simon Simsi, distributeur du
film (6’) et avec Nico Papatakis, extrait de l’émission Grand
Écran du 3 novembre 1987 (4’).
Les Équilibristes, par une présentation de Michel
Ciment (17’), un entretien avec Patrick Mille,
interprète du rôle de Fredy (12’), avec Simon Simsi,
distributeur et coproducteur (5’), un reportage de
tournage extrait du JT de France 3 Nord Pas-de-Calais du
11 févier 1991 (3’).
Gloria Mundi, version 2004, par la bande-annonce.
À noter la remarquable qualité des présentations de Michel Ciment.
Un DVD entier regroupe d’autres suppléments :
Nico Papatakis, portrait d’un franc-tireur (43’),
réalisé en 2009 par Timon Koulmasis et Iro Siafliaki. Le
réalisateur raconte sa vie, les humiliations qu’il a subies
qui ont nourri la révolte contenue dans son cinéma, le
tournage de ses films…
Les yeux dans l’écran : Nico Papatakis (25’), réalisé
par Philippe Petit et diffusé par TV5 le 29 juin 2005,
sous-titré Humiliations et violences : Nico Papatakis.
Filmé autour de Saint-Germain-des-Prés, il parle de La Rose
Rouge et de ses spectacles parodiques, de son cinéma. S’y
ajoutent des entretiens avec ceux qui l’ont côtoyé, comme
Francine Bergé, Nick Cassavetes, dont il a coproduit le
premier film, Shadows…
Visages du cinéma : Nico Papatakis (32’), réalisé par
Jacques Nahum (Archives INA), diffusé par TV5 à l’occasion de
la sortie de la nouvelle version de Gloria Mundi en
2004 (et non en 1971, comme indiqué au dos du digipack). Le
réalisateur explique, notamment la raison du nouveau montage
du film avec l’addition d’une ou deux séquences tournées en
2004. Les autres films sont aussi évoqués, dont Les
Équilibristes, avec un entretien de Michel Piccoli…
Cinéma-vif : Nico Papatakis (30’), réalisé par François
Bardet, diffusé par RTS le 10 octobre 1967 à l’occasion de la
présentation à Cannes du film Les Pâtres du désordre.
Le réalisateur parle de son premier film, Les Abysses :
« un film doit être enfermé dans un carcan », dans une forme
stricte. Un film ne doit pas refléter la réalité. C’est un
parti pris artificiel, un choix esthétique qui doit être
propre à chaque réalisateur… Il parle aussi de la situation de
la Grèce après le coup d’état militaire.
Le format original 1.66:1 est respecté.
L’image a été débarrassée de tous les affronts du temps et restaurée avec goût, en préservant la structure argentique, au prix d’un inévitable fourmillement, assez discret pour se faire oublier. La plus belle image est celle des films en noir et blanc, avec un beau dégradé de gris, des blancs lumineux et des noirs assez denses, tendant toutefois à se boucher dans quelques scènes sombres.
Les films en couleurs ont été, eux aussi, correctement restaurés avec des teintes ravivées et de solides contrastes, à l’exception de Gloria Mundi, affecté par des noirs poreux et des couleurs délavées. D’autre part, les tons de peau de La Photo ne sont pas très stables.
Le son Dolby Digital 2.0 mono a été bien nettoyé avec une quasi-élimination du souffle. Il restitue clairement les dialogues et l’accompagnement musical, notamment de la partition originale de Pierre Barbaud pour Les Abysses.
Crédits images : © Gaumont