Feux dans la plaine (1959) : le test complet du DVD

En 1945, les soldats japonais postés aux Philippines n’ont plus aucune communication avec leur état-major depuis que les Américains ont remporté la bataille de Leyte, à la fin de 1944. Tamura, atteint de tuberculose, quitte ce qui reste de son unité, en pleine jungle, pour rejoindre l’hôpital. Arrivé là, il est refoulé : il n’y a plus de médicaments. Affamé, épuisé, il commence une longue marche, sous la menace des tirs américains, pour tenter de rejoindre Palompon, sur la côte occidentale de l’île han Samar. Sur sa route, des compagnons d’armes aussi désemparés que lui et de nombreux cadavres…

Feux dans la plaine (Nobi) fut réalisé par Kon Ichikawa en 1959 d’après un scénario de son épouse, Natto Wada, scénariste de ses films de 1949 à 1956. C’est une adaptation d’un roman de Shōhei Ōoka, publié en 1951, la compilation de carnets de souvenirs de ses années de guerre.

Feux dans la plaine reçut un accueil mitigé au Japon, probablement parce qu’il ravivait le sentiment, encore vivace, de la honte éprouvée par la défaite. Le film rappelle, à plusieurs reprises, le code de l’honneur qui limitait le choix du soldat à une alternative très simple : vaincre ou mourir. Se rendre aux Américains était alors une tentation à laquelle il était presqu’impensable de céder. Mieux valait le suicide.

Feux dans la plaine est un film de guerre, un des plus grands jamais réalisés. Mais pas un film commercial où l’action le dispute au spectacle. Et c’est là une explication complémentaire de l’échec commercial du film auprès du public nippon qui considérait le cinéma, avant tout, comme une distraction. Kon Ichikawa, au contraire, s’attacha à montrer, en emboîtant le pas de Tamura, la dure réalité de la guerre, l’abandon total des soldats vaincus, coupés de toute information, allant jusqu’à se demander si la guerre était ou non finie, titubant sous la pluie incessante, en guenilles, tellement affamés que certains en arrivèrent à s’entretuer pour se dévorer !

Pour faire revivre cette errance sans espoir, Kon Ichikawa a réussi à convaincre ses producteurs d’opter pour le noir et blanc qui rend, mieux que ne l’aurait fait la couleur, l’horreur absolue vécue par les soldats vaincus, angoissés, de plus, par les colonnes de fumée, dont ils cherchent en vain la signification, qui s’élèvent dans la campagne … ces Feux dans la plaine.

Un film cauchemardesque, hallucinant, inoubliable, d’une qualité comparable à l’extraordinaire fresque en trois volets de Masaki Kobayashi, La Condition de l’homme, éditée par Carlotta Films en 2006, aujourd’hui épuisée (à quand une réédition ?).

Feux dans la plaine, d’une durée de 100 minutes, sort sur un DVD-9, logé dans un keep case glissé dans un fourreau, avec une photo sépia emblématique de l’oeuvre. Le film est proposé en version originale avec sous-titres français imposés. Le menu animé et musical donne accès à un passionnant supplément inédit, un modèle du genre.

La sortie du DVD Feux dans la plaine met à l’abri de l’oubli un chef-d’oeuvre qui s’ajoute au catalogue très éclectique de Rimini Éditions, presqu’exclusivement composé de titres inédits ou épuisés.

Le film est présenté par Bastian Meiresonne, coauteur du Dictionnaire du cinéma asiatique (Nouveau Monde Éditions, 2008) et directeur artistique du Festival international des cinémas d’Asie de Vesoul.

Présenté avec clarté, cet exposé très dense de 43 minutes donne un aperçu très documenté sur la genèse du film (resitué dans la volumineuse filmographie de Kon Ichikawa qui avait déjà réalisé pas moins de 37 longs métrages avant d’entreprendre Feux dans la plaine), de la naissance du roman quasi-autobiographique de Shōhei Ōoka à l’écriture du scénario, puis au tournage dans des conditions éprouvantes destinées à mettre les acteurs dans l’ambiance.

Bastian Meiresonne rappelle la culture et les valeurs du Japon des années de guerre et d’après-guerre, donnant ainsi un éclairage indispensable à la compréhension du film et expliquant aussi la froideur de son accueil par la public japonais, parce qu’il brisait plusieurs tabous.

À voir de préférence avant le film. Garanti sans spoilers !

Nous saisissons l’opportunité de la sortie de Feux dans la plaine pour exprimer le souhait d’une réédition prochaine du coffret de Carlotta Films sorti en 2009, aujourd’hui épuisé, qui contenait trois autres films essentiels de Kon Ichikawa : Kon Ichikawa - Coffret - La harpe de Birmanie + Kokoro + Seul sur l’océan Pacifique.

L’image (noir et blanc, 2.35:1) a été soigneusement nettoyée (hormis une fugace griffure à 58’ qui a dû échapper à l’attention de l’équipe de restauration). La définition est à la hauteur de ce qu’on peut attendre avec un film de cet âge. Un excellent travail qui a réussi à préserver la texture argentique. Les contrastes sont fermes avec, toutefois, des noirs qui manquent un peu de densité.

Le son Dolby Digital 2.0 mono, lui aussi très propre, fait correctement son office avec une restitution claire des dialogues, de la musique et aussi de l’ambiance, notamment dans la scène où les tanks américains surgissent de la nuit et tirent au canon sur les soldats. Ce qu’on pouvait faire de mieux avec l’incontournable étroitesse du spectre original.

Crédits images : © Rimini Éditions