Réalisé par Shahram Mokri
Avec
Abed Abest, Mona Ahmadi et Ainaz Azarhoush
Édité par Damned Films
Dans le nord de l’Iran, quatre jeunes en voiture demandent leur chemin à deux hommes qui tiennent, au bord de la route, un restaurant crasseux. Ils cherchent à rejoindre un campement d’étudiants, au bord d’un étang, où doit se dérouler une compétition annuelle de cerfs-volants. L’un des hommes leur propose de s’arrêter pour déjeuner…
Fish & Cat (Mahi va gorbeh), sorti en 2013, salué par plusieurs prix à l’étranger, à Fribourg, à Lisbonne, à Venise où il reçut le Prix spécial Orrizzonti, nous arrive aujourd’hui directement en vidéo. C’est le deuxième long métrage de l’Iranien Shahram Mokri, après Ashkan, the Charmed Ring and Other Stories (Ashkan, angoshtar-e motebarek va dastan-haye digar), sorti en 2008. Le troisième, Invasion, montrant la Terre plongée en permanence dans l’obscurité par une éclipse de soleil et l’humanité contaminée par un virus inconnu, fut le premier à sortir dans nos salles, le 24 octobre dernier.
Avant la première image, un carton rappelle un fait divers : l’année précédente, dans le nord de l’Iran, un restaurant a été fermé pour infraction aux règles sanitaires. La rumeur courut qu’on y servait de la chair humaine, une possible explication de la disparition d’une étudiante.
Ce rappel met immédiatement le spectateur dans l’ambiance du genre « détour mortel » où des touristes égarés tombent droit dans le repaire de dégénérés, cannibales de surcroît. L’allure inquiétante des deux cuisiniers, dont l’un porte en bandoulière un sac contenant un énorme couteau, et l’étrangeté des quatre autres autochtones qui croiseront l’objectif de la caméra, suffisent à faite monter l’angoisse d’un cran. Plus étranges qu’inquiétants, des jumeaux manchots (des siamois séparés ?) en pantalon rouge vif, errent avec des oies suspendues à une branche.
Fish & Cat, bien qu’il dure la bagatelle de 140 minutes, n’est filmé qu’en un seul plan-séquence. Et un visionnage attentif permet de vérifier que la réalisateur n’a recouru à aucune des supercheries d’Alfred Hitchcock dans La Corde (Rope, 1948). La caméra suit un ou deux personnages dans un long travelling avant. À l’occasion de leur prochaine rencontre, elle peut pivoter pour cadrer d’autres personnages dont elle emboîtera les pas dans une direction opposée. Shahram Mokri s’est tenu au choix d’un plan unique pour son film suivant, Invasion.
Une dizaine de protagonistes vont et viennent dans une déambulation qui semble les obliger à rester sur un même espace, une sorte de bande de Moebius. Ils sont conduits, par une distorsion du temps, à répéter plusieurs fois la même scène, à quelques variantes près dans les dialogues ou les pensées exprimées en voix off. Un procédé qui exerce, sur le spectateur réceptif, une pression hypnotique, envoûtante.
Le dernier poisson a péri, la dernière branche s’est flétrie…
Sur un rythme de valse, une chanson à la tonalité apocalyptique conclut Fish & Cat en accompagnant l’envol des cerfs-volants. Une fin poétique, apaisée, mais peut-être annonciatrice d’une menace…
Une prouesse technique aboutie pour raconter une bien étrange histoire qui pourra agacer certains, mais fasciner d’autres.
Fish & Cat (140 minutes), tient sur un DVD-9 présenté dans un fin Digipack avec, marque de l’éditeur Damned, une citation du réalisateur au dos de la couverture : « Si tous les réalisateurs faisaient l’expérience de tourner un film en un plan unique, ils auraient du mal à retourner à leur pratique précédente ».
Le menu fixe muet propose le film dans sa version originale, sans aucune interactivité, bien que les sous-titres, placés trop haut sur l’image, puissent être désactivés.
L’absence de supplément est frustrante : on aurait apprécié que le réalisateur nous en dise un peu plus sur les raisons de son choix d’un unique plan-séquence et comment il a résolu, ou anticipé, les difficultés de mise en scène induites.
L’image (1.66 :1), aux couleurs délibérément désaturées, est bien contrastée sous la lumière blafarde de l’hiver, avec des noirs denses. Mais elle est affectée par un phénomène d’aliasing (crénelage) qui produit une vibration sur toutes les lignes horizontales, par exemple le bord des deux tables et des bancs du restaurant, au tout début du film, ou, plus durablement, sur les feuilles mortes qui tapissent le sol de la forêt.
Le son Dolby Digital 1.0, propre, assure une bonne clarté des dialogues et donne une ampleur suffisante à l’accompagnement musical régulièrement rythmé par un lancinant staccato de cordes.
Crédits images : © Damned