Réalisé par Ken Loach
Avec
Martin Compston, Annmarie Fulton et William Ruane
Édité par H2F
Pour tous les fans de Ken Loach, Sweet Sixteen est un
excellent cru. Pour tous ceux qui ne le connaissent pas
encore, c’est une fascinante entrée en matière. Issu lui-même
d’un milieu très défavorisée, le cinéaste s’est évertué de
films en films à dépeindre la misère et la spoliation des
couches les plus populaires. N’y suspectez aucun voyeurisme
malsain (façon Larry Clark), Loach (Kenneth de son prénom)
exorcise les démons qu’ont engendré nos sociétés. A la
manière d’un Zola, le cinéaste revisite sans cesse le thème
de la lutte des classes et de la survie lorsqu’on n’est pas
bien né. Son arme : le réalisme social. Son ambition :
emmener le spectateur dans le quotidien de ces oubliés de la
croissance, de ses gagne-petit, de tous ceux que Thatcher et
Blair ont exploité puis royalement ignoré. Quêter pour
rétablir la vérité ! Résolument opposé à toute vision
hollywoodienne des rapports humains, Ken Loach milite pour un
cinéma d’auteur (n’ayez pas peur, revenez… ici auteur n’est
pas synonyme d’ennuyeux) qui prend pour modèle l’humain sans
jamais le juger ou le magnifier.
Le cinéaste n’est adepte ni de l’émotion facile, ni des bons
sentiments. La vie de tous les jours, même si elle ne fait
pas rêver, recèle pour lui infiniment plus de nuances et
d’intensité. Ken Loach sait avec justesse et doigté tisser
ses scenarii autour des moments forts de la vie, la vraie.
Pour le cinésate, chaque film est l’occasion d’explorer un
thème actuel et d’interpeller le spectateur ; l’alcool, la
privatisation, la précarité, la lutte armée… Son univers,
remarquablement bien balisé, s’approprie ces zones délaissées
(voire interdites au cinéma) pour y puiser de fascinantes
histoires, pas toujours très heureux, mais si justes, si
réelles et si décomplexées qu’elles en deviennent
attachantes. A l’instar d’un Woody Allen, il théorise,
stigmatise, explore la complexité des rapports sociaux. Woody
c’est l’amour, Ken c’est la fracture sociale. Le pouvoir, la
cupidité, l’absence de valeurs, la rigidité des riches et des
nantis… autant d’obsessions qui lui sont chères et prennent
des accents lyriques entre ses mains expertes.
Sweet Sixteen ne déroge pas à la règle. Pour l’occasion, le
cinéaste a planté ses caméras dans la banlieue mal famée de
Glasgow où Liam (son héros ?) vit une misérable existence.
Comme tous les paumés de son âge, le jeune homme fuit
l’école, pense aux filles et développe une personnalité
vaguement combinarde. Flanqué d’un beau-père dealer et
violent ainsi que d’une mère taularde et toxico, le jeune
homme s’épanouit difficilement mais s’épanouit quand même.
Bientôt, lorsqu’il en aura assez de survivre grâce à l’argent
issu de la contrebande de cigarettes, il deviendra dealer à
son tour. Pourquoi ??? Mais parce qu’il veut réaliser ce rêve
qui lui tient à cur. Offrir une vie descente à sa famille et
devenir le roi du monde. Pas les bras en croix à l’avant d’un
bateau mais dans sa ville, parmi les gens qui l’ont vu naître
et grandir comme une revanche qu’il voudrait éclatante sur
tous ceux qui lui ont pourri l’existence. Vous êtes tentés de
vous apitoyer ? Evitez ! Il a choisi ! Pas de vivre dans ces
ghettos qui forment les délinquants mais de devenir lui-même
délinquant au mépris de tout respect pour la vie d’autrui. On
peut être pauvre, cela n’empêche pas d’être honnête !
Plaindre Liam équivaudrait à le déresponsabiliser ! Certes,
il n’a pas une vie facile. Son environnement est loin d’être
propice au travail, aux études ou à toutes autres sortes
d’activités légales et constructives. Ses fréquentations,
dont la situation familiale n’est guère plus enviable,
exercent inévitablement sur lui une mauvaise influence. Il
est donc compréhensible qu’il devienne ce qu’il va devenir
mais ce n’est pas une excuse !!! Ken Loach écarte de son
Sweet Sixteen boy toute image romantique du délinquant. Il
n’est ni héroïque, ni révolté. Son seul et unique souci est
lui-même (cf. la scène où Liam part en voiture sans son ami).
Il n’est qu’un rat, un parasite qui contribue largement à
dégrader le lieu de vie qu’est son quartier. Quand d’autres
ont choisi de s’en sortir en travaillant, lui deale ! Ses
victimes : des adolescents de son âge, des mères
célibataires, des filles désespérées. Oui, Liam a des rêves,
il est prêt à tout pour s’en sortir mais combien devront
payer pour qu’il soit exaucé.
A la manière d’un funambule, le cinéaste dresse le portait
d’une aimable crapule, d’un parasite aux circonstances
atténuantes. Il ne juge pas, il montre. A chacun d’en retirer
ce qu’il voudra. Excusable ??? Condamnable ??? De toute
façon, ce n’est pas le verdict mais le processus qui importe.
Ken Loach remonte habilement la mécanique de terrifiant
engrenage dans lequel sont pris Liam et ses amis. Qu’il soit
un bourreau aux airs de victime ou une victime devenu
bourreau, le résultat est le même. Mensonge, manipulation,
violence, terreur… il a trop vite grandi, endossé trop de
responsabilité et aujourd’hui se retrouve dans la position
d’un Arturo Ui (âgé de 15 ans et qui va fêter ses 16) dont la
société ne peut empêcher l’ascension (résistible ?). Cela
vous évoque quelque chose ? En tous cas cela devrait car, à
l’image du Tony de Scarface ou du Henry de Les Affranchis,
Liam est pourvu de cette rage destructrice. Cette même force
motrice qui meut les caïds de quartier et qui, parce qu’elle
est impossible à canaliser, les condamne à toujours
progresser, cogiter, ambitionner et fatalement à ne pas
savoir quand s’arrêter.
Qu’il soit adolescent nous attendrit et invoque une douce
(sweet) indulgence à son égard mais au vu de la violence et
de la cupidité qu’il développe avec une aisance et une
rapidité déconcertante, on ne peut qu’être fasciné et effrayé
par tant de pouvoir entre les mains de ce qui reste un
enfant. Sweet Sixteen évoque avec puissance la décadence da
notre monde qui s’appuie sur des valeurs essentiellement
matérialistes, instillant le vice, l’avidité et la corruption
dans nos jeunes esprits. Cette jeunesse, c’est avant tout
l’espoir d’un monde meilleur détruit par les turpitudes de la
bassesse humaine. La drogue prend alors des allures de
symbole puisqu’elle sert à enrichir les « forts » et avilir
« les faibles ». Un système bien huilé, transmis de générations
en générations (cf. la mère et le beau-père) et qui ne laisse
aucune place aux sentiments d’amour, de partage ou bien
encore de fraternité. C’est d’ailleurs cet amour pour sa mère
qui entraîne Liam dans cet engrenage et finit par le broyer.
Ken Loach signe avec Sweet Sixteen un polar dramatique
intense et brutal. Sans complaisance ni compromis, il dessine
les contours d’une société gangrenée par le vice, l’avidité
et la violence. Une uvre à la fois terrifiante, fascinante
et grandiose qui trouve un écho universel (cf. Favelas au
Brésil, banlieue aux Etats-Unis, en France… ).
Après Casino, Scarface et la Cité de Dieu, voici un autre
petit bijou du genre à découvrir sans tarder !…
Présentation soignée, image et son irréprochables, H2F
persiste et signe dans la retranscription fidèle et
respectueuse d’oeuvres cinématographiques en DVD. Espérons
que l’éditeur continue dans ce sens, compte tenu de son
catalogue vidéo riche en auteurs.
Seul bémol et non des moindres, Sweet Sixteen aurait mérité
un traitement de faveur en termes de suppléments. Pourquoi
l’avoir négligé ? C’est incompréhensible !!! Il y avait
pourtant matière à inclure une interview, des coulisses (à
l’instar de The Navigators), un sujet sur sa palme d’or du
meilleur scénario, un portrait du réalisateur et de ses
acteurs… enfin bref, il y avait de quoi faire une édition
double DVD. A la place, il faudra vous contenter d’un
commentaire audio. Certes, c’est mieux que rien mais avec Mon
Idole, l’éditeur nous avait habitué à beaucoup mieux. Cette
édition simple (trop simple pour une uvre aussi brillante et
complexe) frustre et déçoit
Hormis cela, le pressage de Sweet Sixteen offre au spectateur
des conditions optimales pour découvrir ou redécouvrir cette
époustouflante descente aux enfers en DVD.
On ne va pas s’y attarder pour éviter de s’attrister mais en
dehors d’un commentaire d’une platitude déconcertante et de
quelques bandesannonces sans grand intérêt, cette
édition n’apporte aucun élément concernant la genèse, la
fabrication ou la personnalité des artisans du film. En leur
temps, Scarface et Les Affranchis avaient subi la même
punition. Pour Scarface, l’affront a été lavé, pour Sweet
Sixteen et Les Affranchis, il faudra attendre !!!
Toutefois, si vous êtes véritablement accros du film (je ne
parle pas d’un vague bienveillance, je parle d’un rapport
passionnel avec l’oeuvre) et si vous êtes l’heureux
possesseur d’une liaison internet (indispensable à la quête),
vous aurez la possibilité de vous connecter au sites nombreux
sur Ken Loach. Vous pourrez alors frénétiquement grappiller,
tel un fan assidu, moult éléments qui viendront étancher
votre curiosité à propos du film et de son réalisateur. Dans
ce cas, armez-vous de patience, de courage… et bonne
exploration…
L’image est somptueusement restituée. Les nuances et la clarté
qui donnent à Sweet Sixteen des accents de documentaire filmé
sont éblouissantes de précision et de netteté. Regardez de
près l’image et vous constaterez l’absence de grain, y
compris dans les scènes délibérément surexposées par le
réalisateur. (cf. Les séquences à l’intérieur du club de sport
ou de l’appartement).
Le piège qui consisterait à écraser le contraste pour affadir
l’image a été évité. Ici la mer est verdâtre, le ciel est
bleu, les visages sont rosés… bref le travail sur la
restitution des contrastes et des dégradés est tout
simplement impressionnant. La photographie et la lumière
remarquables de finesse et de sensibilité peuvent ainsi
froidement ou chaleureusement (selon les scènes) souligner
les rapports entre les différents personnages. Quant à la
profondeur de champ, elle prend une dimension toute
particulière lors de plans panoramiques dévoilant le quartier
dans lequel évoluent Liam et ses amis. (cf. le plan ou le
beau-père et le grand-père planquent la drogue dans le
jardin).
Développée avec l’appui du CNC, l’édition DVD de Sweet
Sixteen a été particulièrement chouchoutée par H2F en termes
de transfert vidéo afin d’offrir au film une qualité optimale
lors de son visionnage. Exemplaire !!!
Même exemplarité en termes de son. Si vous aimez les
ambiances, la profondeur et les surrounds qui réagissent dès
qu’il se passe quelque chose, alors vous allez adorer Sweet
Sixteen. Essentiellement monopolisée par les voix et les
bruits, la bande-son retranscrit admirablement la musicalité
de l’accent et la brutalité de l’univers décrit (cf. la
séquence dans la prison). A la moindre action, les surrounds
se mettent en mouvement ; les pneus crissement, les voitures
s’écrasent, la basses s’affolent… bref de quoi réveiller les
voisins somnolents. La boîte de nuit sera également
l’occasion de sortir pattes d’éph et boules à facette dans
votre appartement… que du bon !!!
Alors pourquoi cette note de 4 ??? Parce qu’entre le choix
restreint (français 5.1 ou 2.0, VOST en 5.1) et l’absence
d’ergonomie (impossible de passer d’un choix à l’autre en
cours), arriver à concilier écoute et confort tient du
challenge. Autant le dire, côté menu sonore, c’est un peu
n’importe quoi !!! Pourquoi ne pas avoir carrément séparé
audio et sous-titrage ??? C’est quand même aberrant d’être
contraint et forcé de regarder un DVD en VO avec un
sous-titrage français, tout spécialement quand celui-ci vous
mange le tiers inférieur de l’écran… Certes, la pratique du
visionnage en VO sans sous-titrage n’est pas répandue mais
elle existe !!! Et oui, certains dévédénautes regardent même
les films en VF sous-titrée anglais voire même en VO
sous-titrée anglais. Ici, à l’instar des bonus, il faudra
s’en passer car l’éditeur n’a pas jugé bon d’inclure le
sous-titrage anglais.
Une fois oubliés les objets de fâcherie, vous saurez
apprécier l’excellence de la VF et de la VOST. Aucune
différence majeure entre l’une et l’autre excepté que si vous
choisissez la VF, vous perdrez inévitablement l’accent
écossais qui fait tout le charme du film. Toutefois, la piste
VF n’a pas a rougir de la comparaison puisque le doublage,
type banlieue parisienne, offre à Sweet Sixteen une lecture
fidèle et intéressante car proche de ce qui nous est familier
à nous français.
Bonne écoute, bon film, bon DVD !