Rendez-vous avec Pol Pot (2024) : le test complet du DVD

Un documentaire-fiction glaçant sur les derniers temps d’une dictature communiste qui assassina 1,7 million de Cambodgiens.

Cambodge, décembre 1978. Trois journalistes français ont été invités par les Khmers rouges à réaliser une interview exclusive du chef du régime, Pol Pot. Une visite sous étroite surveillance…

Rendez-vous avec Pol Pot, sorti en juin 2024, est l’adaptation par Rithy Panh et le scénariste Pierre Erwan Guillaume du récit d’Elizabeth Becker When the War Was Over: A Modern History of Cambodia and The Khmer Rouge Revolution, paru en 1986. Le cinéaste franco-cambodgien l’avait rencontrée dans les années 2000, lorsqu’elle était venue témoigner au procès des trois plus hauts dirigeants khmers rouges devant le tribunal international.

Elizabeth Becker, Malcolm Caldwell, un universitaire écossais sympathisant des khmers rouges, et Richard Dudman, un reporter photographe américain, avaient été invités par Pol Pot, « le Frère numéro 1 », quelques semaines avant le renversement du régime par le Viêt Nam, probablement avec l’arrière-pensée d’enjoliver l’image de la dictature communiste aux yeux de l’Occident. Tentative vaine : le régime des khmers rouges est aujourd’hui reconnu responsable de la mort de 1,7 million de citoyens, soit de plus de 20% de la population du Cambodge, essentiellement des intellectuels et des citadins.

Pol Pot s’est enfui en 1978, s’est remarié à 60 ans à une jeune femme de 22 ans et aurait coulé des jours paisibles dans une somptueuse villa en Thaïlande, jusqu’à son arrestation en 1997. Condamné à une peine de prison à perpétuité, il meurt le 15 avril 1998.

Rithy Panh, qui passa son enfance au Cambodge jusqu’à l’âge de 13 ans, a dédié une grande partie de sa filmographie à l’évocation de ces pages dramatiques de l’histoire de son pays, sous la forme de documentaires ou de fictions : Cambodia, entre guerre et paix (1991), Les Gens de la rizière (1994), Bophana, une tragédie cambodgienne (1996) et La Terre des âmes errantes (1999), deux films inclus dans le coffret Le Cinéma de Rithy Panh, Un soir après la guerre (1998), S21 - La machine de mort Khmere Rouge (2002), le récit des sept survivants des 20 000 prisonniers détenus dans un camp d’extermination, L’Image manquante (2013) et Les Tombeaux sans noms (2018).

Rendez-vous avec Pol Pot rappelle les précautions déployées par les khmers rouges pour cacher la vérité aux journalistes privés de toute liberté de mouvement, accompagnés par un interprète, sous la surveillance constante de soldats armés, ainsi que les mensonges sur la production de riz, les mêmes que proférait Mao Zedong pour dissimuler la famine dont mourait le peuple. Une histoire de plus confirmant que le rêve de Karl Marx d’une révolution vers une société égalitaire n’aura jamais été qu’un horrible cauchemar entraînant la mort de plus d’une centaine de millions d’hommes et de femmes jugés « non réformables ».

Rendez-vous avec Pol Pot prend une forme hybride, entre documentaire et fiction. Les trois journalistes sont devenus français et leur visite est mise en images par un assemblage de prises avec les acteurs, d’archives, parfois projetées sur des voilages ondulant dans le vent, et de cadres composés de figurines en bois sculpté. Un dispositif donnant une vision impressionniste des événements.

La photographie sous éclairages naturels d’Aymerick Pilarski (qui valut à Rendez-vous avec Pol Pot sa sélection au festival Camerimage) et la sobriété du jeu des trois acteurs principaux, Irène Jacob, Cyril Gueï et Grégoire Colin, renforcent la dimension documentaire du film.

La conjugaison de la gravité de son thème et de l’inventivité de sa forme range ce documentaire-fiction parmi ceux qui resteront durablement en mémoire. Il pourra également inciter à revoir, ou découvrir, l’impressionnant regard de Roland Joffé sur le même drame humanitaire dans son film La Déchirure (The Killing Fields, 1984).

Rendez-vous avec Pol Pot (108 minutes) et ses suppléments (56 minutes) tiennent sur un DVD-9, logé dans un boîtier épais de 14 mm, glissé dans un étui.

Le film est proposé dans ses langues originales, le français et le khmer, avec sous-titres optionnels et le choix entre deux formats audio, Dolby Digital 5.1 ou 2.0 stéréo.

Piste d’audiodescription Dolby Digital 2.0.

Sous-titres pour malentendants.

Entretien avec Rithy Panh (42’), conduit par Nicolas Billon. Le scénario reprend l’expérience vécue par Elizabeth Becker, un photographe américain et un universitaire écossais sympathisant d’une révolution qui, comme toutes les autres, « a dévoré ses enfants ». « On n’apprend rien de l’histoire ; on répète les mêmes erreurs ». Après avoir envisagé d’être menuisier, Rithy Panh a « appris le cinéma en le faisant », en réalisant des fictions, des documentaires, puis des films hybrides, comme S21, une forme qu’il affectionne. Il est retourné au Cambodge dix ans après l’avoir quitté, déterminé à oeuvrer pour qu’on n’oublie pas l’histoire de ce pays. Le tournage de trois semaines, avec peu d’argent, s’est déroulé dans des conditions spartiates. Il ne se soumet jamais entièrement aux contraintes d’un scénario, toujours adaptable. Le film a été bien reçu à l’étranger, mais il reste interloqué par la critique des Inrockuptibles lui reprochant de « privatiser le génocide et d’empêcher le travail sur la mémoire ». « Si j’étais critique, je chercherais à faire comprendre aux gens les films que j’aime »…

Entretien avec Irène Jacob (14’). Elle se souvient d’une longue conversation à Cannes avec Elizabeth Becker. Son récit relatait des événements si improbables qu’il a fallu des années pour qu’on admette qu’ils étaient vrais…

L’image numérique (caméra ARRI Alexa Mini), au ratio d’origine de 1.33:1 s’accordant à celui des archives insérées, est lumineuse, agréablement contrastée avec des noirs d’une bonne densité. L’addition en postproduction d’un léger grain lui donne une patine d’époque, sans trop affecter le piqué.

Le son Dolby Digital 5.1 (avec une alternative 2.0 stéréo) assure la clarté des dialogues. Une excellente dynamique et une judicieuse répartition du signal sur les cinq canaux créent une sensation réaliste d’immersion dans l’ambiance et mettent en valeur la partition originale de Marc Marder qui avait remporté en 2014 le Prix SACEM-France Musique de la musique de film pour L’Image manquante, un autre film de Rithy Panh.

Crédits images : © Dulac Distribution