WESTERN ! Open Range sur grand écran
Avant-première et premier regard à froid du western qui marque le grand (oui, Grand !) retour de Kevin Costner devant & derrière la caméra et Colt à la main
De temps à autre, notre collaborateur François Chollier vous propose des critiques
cinéma de films très frais voire pas encore démoulés, qui se rattrachent à l’actualité DVD (ou
vice-versa)…
Aujourd’hui, retour aux grands espaces avec « Open Range », le nouveau et très attendu western de
et avec Kevin Costner.
( Sortie le 25 février 2004 )
1876. Le capitaine Nathan Algren, sorti victorieux de la Guerre de Sécession, vit hanté par les
souvenirs du raid sanglant effectué à Little Big Horn contre les Indiens. Réfugié dans
l’alcool, Nathan n’est aujourd’hui plus qu’un phénomène de foire tout juste bon à vanter de
villes en villes les mérites d’armes à feu.
Au coeur de l’Ouest sauvage, 4 hommes convoient du bétail. Pour Charley Waite (Kevin Costner),
Boss Spearman (Robert Duvall), Button (Diego Luna) et Mose Harrison (Abraham Benrubi), il est
d’abord question de vivre libres et de fuir leur passé.
Sur des terres régies par les seules lois de la nature, les 4 cow-boys échappent à la violence
des villes et font régner entre eux l’honneur, la loyauté, la justice et l’amitié. Mais leur
arrivée à Harmonvile, une petite ville frontalière tombée sous la coupe du tyrannique Baxter,
va les forcer à passer à l’action.
La rencontre avec la belle Sue Barlow va pourtant bouleverser leurs perspectives et réveiller
en eux le désir d’affronter leurs propres démons. Alors que l’épreuve de force devient
inévitable, les 4 hommes s’apprêtent à reconquérir leur salut.
« Open Range » sonne le grand retour de Kevin Costner qui n’avait plus trouvé de rôle à sa
(dé)mesure depuis le très inspiré Danse avec les loups. Après une carrière en
dents de scie en tant qu’acteur, 2 essais dont un coup de maître comme réalisateur
(Danse avec les loups et Postman) et quelques tentatives injustement
infructueuses en tant que producteur (« Wyatt Earp », Treize jours…), Kevin Costner a
aujourd’hui de nouveau tout à prouver. Et pas seulement aux yeux des producteurs /
distributeurs mais également aux yeux de ceux qui lui sont demeurés fidèles malgré ses errances
; Waterworld, Une Bouteille à la mer, Postman et dans une moindre mesure
Tin Cup. Doué d’un talent hors norme et d’un charisme à faire pâlir Bronson en
personne, Kevin Costner a sans doute maintes fois cédé à la facilité, s’arrangeant à la manière
d’un Robert De Niro de petits rôles lucratifs censés le maintenir en haut de l’affiche.
Gâchant peu à peu son talent dans de pauvres caricatures motivées par les valeurs
traditionnelles chères aux américains, l’acteur de « Revenge », l’interprète de
Un Monde parfait, le héros de Silverado a muté en affairiste au grand coeur. La
famille, l’honneur, le drapeau sont subitement devenus ses violondingres et lui ont permis du
même coup à l’immense Kevin Costner de vendre VHS et DVD en se glissant dans la peau d’un
approximatif Mad Max (Waterworld), d’un papa poule instructeur
(A chacun sa guerre), à nouveau De Mad Max (Postman), d’un Golfeur nommé Rocky
(Balboa pour les intimes)… on en passe et des plus navrants. Le vague souvenir qu’un jour
Kevin Costner fit preuve d’un immense talent motivait les plus acharnés à inlassablement
acheter (les yeux fermés) ces historiettes affublées d’un nom. Mais restait la question. A
Quand ?
A quand le retour, le rôle, la véritable démonstration, l’indéniable et éclatant témoignage que
Costner ait l’étoffe d’un grand ? Quand aura-t-il enfin le bon goût de laisser tomber les
affaires au profit d’un personnage qui soit digne de son talent ? Fallait-il être naïf pour
(inalassablement on le rappelle) attendre qu’un jour un réalisateur hollywodien lui offre cette
opportunité. Sam Raimi s’y est essayé mais le la figure trop américaine du joueur de baseball
manquait de souffle et d’universalité. Roger Donaldson a également tenté de lui remettre le
pied à l’étriller mais en offrant à Costner un rôle de simple conseiller, il privilégie la
narration et dillue (à juste titre) son potentiel dramatique. Verdict : une interprétation
terriblement juste mais loin de l’exultant « come back » qu’on attendait. Non, aucun d’entre eux
ne lui amènera le scénario rêvé, bercé d’une épaisseur introspective laissant libre cours à la
performance subtile et charismatique d’un acteur de la trempe de Costner.
Et puis vient « Open Range ». Ultime effort pour relancer une carrière en panne qui réunit tous
les ingrédients pour reproduire le miracle. Le Western, genre de prédilection, héros maudit
torturé à l’idée d’être en société, parfait pour Costner, adepte du Talion, oeil pour oeil et
mâchoire pour dent, face à la stupidité de la tyrannie, chassez le naturel, il revient au
galop…et une réalisation signée Kevin Costner himself. Un soupçon de
Impitoyable, une pincée de Il était une fois dans l’Ouest et voilà
Costner parti pour un Danse avec les loups version 2004. Premier sursaut de
lucidité ; avoir su s’inspirer sans copier coller les influences clairement exprimées du
nouveau Western. Deuxième et non des moindres, avoir soigneusement su éviter tout effet
sensationnaliste qui aurait pu transformer « Open Range » en fête foraine.
Enfin… et c’est le clou du film… avoir su nous préserver de l’anémie scénaristique qui
touchent actuellement les productions hollywoodiennes. Solidement ancré au roman presque
éponyme de Lauran Paine « The Open Range Men », cette histoire simple recycle intelligemment les
thèmes du courage, de l’honneur, de l’amitié, de l’amour, de la justice, du respect avec une
légèreté et une pertinence assez inhabituelle. Simple sans être simpliste semble approprié pour
l’occasion. Pas de héros, ici on travail sur l’humain. Les têtes d’affiche partagent la vedette
et montrent des visages ridés, fatigués, rompus par la vie. Leur sensibilité les submergent et
leur fragilité nous touche. Costner en cow-boy rustaud, incapable d’aligner 3 mots sans piquer
un fard, au passé trouble et à la gâchette agitée n’a jamais été si réel, si profond. Face à
lui Duvall et Bening, sincères, déroutants, passés maîtres dans l’Art de la philosophie de
campagne, terriblement seuls et lassés de l’être. Peu de rôles marquant parmi les vilains
atitrés, excepté celui fort shakespearien de Michael Gambon dont on appréciera ici la violence
dramaturgique. Exit le classique tête à tête, émerge de ce scénario complexe comme la vie le
juste sentiment de voir les personnages affronter leurs démons les plus insidieusement enfouis.
« Open Range » s’approprie les codes du genre pour mieux les détourner comme l’auraient fait en
leur temps un Sturges, un Peckinpah ou bien un Sergio Leone… oui, « Open Range » est de ce
niveau-là.
A l’image de ces héros à l’écran, Costner-réalisateur-acteur a dû pourtant combattre ses démons
intérieurs. Costner n’est pas Eastwood mais rêve de lui ressembler. Exit la tempérence du vieux
routier de l’héroïsme pour faire place à la détermination acharnée de celui qui voulait ne pas
être oublié. Il veut tout et trop bien faire, organiser un retour éclatant, vibrant de son
image et de son charismatique ego. Il prend la caméra et filme l’Ouest comme on filme l’Arabie
Séoudite façon David Lean avec des plans qui frisent le ridicule grandiloquent. Du coup,
l’introduction dans cet univers devient longue et lassante. Rattrappé in extremis par les fils
intriguants d’une histoire inéxorablement captivante, il tente de s’appropier une fois encore
« Open Range » en multipliant les pauses Olympiennes et de phagocyter les plans. Pas de bol pour
lui et coup de chance pour nous, Robert Duvall (dont l’égo mesure 10 fois la taille du
continent américain) lui tient fermement tête et transcende son personnage, nous offrant l’un
des plus raffinés et des plus poignants faces à faces cinématographiques depuis
Les Grands espaces.
De cet affrontement inconscient jaillit une richesse visuelle qui porte l’opposition sur le
terrain de l’interprétation et oblige Duvall et Costner à sublimer leurs performances. La
caméra s’oblige à capter ce face à face intime, larvé, où s’affronte fougue et raison, justice
et vengeance, peur et courage… sortant de fait le film d’un ennuyeux classicisme dans lequel
il s’enfermait. D’illustrative au possible, la réalisation prend alors un autre sens,
accumulant les plans en déphasage complet avec les interprétations à l’écran. Le sauvetage du
chien, l’arrivée des 2 cow-boys chez le docteur, les scènes dans le bar, le décalage est total
fournissant un jubilatoire second degré. Le réalisateur se pique alors au jeu et profite de
l’opportunité pour sur-styliser la suite, offrant quelques un des plus jolis clichés que la
nostalgie du Western rend savoureux. « Open Range » fait ainsi partie de ces enfants terribles
issus d’une grossesse non désirée et qui s’impose comme des oeuvres incontournables malgré les
efforts castrateurs de ses parents présumés.
Sous ses airs de Western exhumé d’un passé glorieux, il livre une réflexion abyssale sur ce
courage qui pose problème à l’humanité. Dire non, s’opposer dans une juste mesure à ce que la
tyrannie décrète pour lui préférer liberté, amour et respect. La nouveauté n’est pas au rendez-
vous mais le rendu est terriblement exaltant avec un dénouement mâtiné d’anthologie. Les plans
se succèdent, les moments de grand cinéma aussi. Le duel Gambon / Duvall / Costner est
exceptionnellement fort…un modèle du genre qui rappellera à certains et dans un autre genre le
légendaire Heat. Kevin Costner y arrache un second souffle. Costner contre Costner,
duel au sommet… criant de sincérité. « Open Range » nous aura offert en ce début d’année un de
ces Western qu’on n’est pas prêt d’oublier.
Costner est mort, vive le nouveau Costner…
François Chollier