Deauville 2004 : La mort dans la peau
Après avoir ficelé un premier volet très encourageant, d’après une oeuvre originale de Robert Ludlum, la « nouvelle vague » du cinéma hollywoodien s’est attaqué au second volet des aventures de Jason Bourne…
Un film réalisé par Paul Greengrass
Depuis deux ans, l’ex-agent / tueur à gages de la CIA Jason Bourne et sa compagne Marie ont réussi à tromper leurs poursuivants au prix d’une vigilance sans faille. Ce paisible village de Goa aurait dû être leur dernier refuge. Vain espoir. Deux ans plus tôt, Jason avait juré de se venger de quiconque le relancerait. Il tiendra parole…
Après avoir ficelé un premier volet très encourageant, d’après une oeuvre originale de Robert Ludlum,
la « nouvelle vague » du cinéma hollywoodien s’est attaqué au second volet des aventures de Jason Bourne.
Là encore, pas question de ficeler un gros nanar bien lisse qui nous assomme avec de pitoyables séquences
formatées façon James Bond. L’ensemble doit sentir le vécu et transpirer la réalité. Quartiers délabrés,
espions mal rasés, protagonistes mal coiffés, lumière naturelle et cadres excentrés sont à nouveau au
menu. Un vent de modernité souffle désormais sur le film d’espionnage. Après xXx et ses acrobaties
grungies, la série des Jason Bourne fracasse une nouvelle fois le mythe Bondien pour s’imposer comme la
référence en matière d’espionnage.
Du moins c’est là son ambition car si La mémoire dans la peau promettait
beaucoup, « La Mort dans la Peau » satisfait sans aller au-delà de la voie tracée par le premier volet.
Certes le personnage de Bourne est toujours aussi bien dessiné. Certes, la réalisation de Paul Greengrass
(réalisateur émérite de Bloody Sunday) apporte à l’ouvrage rythme et nouveauté. Néanmoins cette
suite tant attendue pâtit d’une déconcertante linéarité. En cause, un scénario qui ne vole pas plus haut
qu’un bon épisode de « New York Police Blues ». Les ficelles sont évidentes, les rebondissements attendus,
le méchant prévisible… quant à la complexité et la crédibilité de l’intrigue, il ne faut pas en attendre
beaucoup. Demeure une réalisation empruntée au documentaire qui peine à se focaliser sur l’action et vide
dès le début son chargeur d’intensité. A vrai dire, « La Mort dans la Peau » est un divertissement réussi
mais on en attendait bien autre chose.
On attendait ici une franchise qui puisse rivaliser avec les plus grands films d’espionnage. Une franchise
avec des valeurs contemporaines. Une franchise à la narration révolutionnaire. En lieu et place, Jason Bourne
devient un personnage de film d’action qui répond scrupuleusement aux lois du genre : à savoir, plus d’émotion,
plus d’action, plus d’explosions et plus de décors. Enfoui sous un déballage d’effets visuels et pyrotechniques,
le héros devient ici moins humain. Et pourtant, c’est là son essence. Le choix de Matt Damon était ici parfait !
Acteur, scénariste et producteur indépendant, le voici propulsé à la tête d’une entreprise d’envergure. Le
voici enfin capable de changer les choses ; de modifier les règles du thriller, d’altérer notre conception
hollywoodienne de l’espion. La Guerre froide terminée, James Bond enterré, Jason Bourne devait tracer une
nouvelle voie : celle du « vivre et laisser vivre », celle de la non-agression, celle de la rédemption.
Il faut croire que les sirènes du profit auront corrompu les fondements de cette nouvelle franchise. La
structure narrative ne repose ici sur rien, l’évolution du personnage est bloquée. Enlevez deux scènes
d’action absolument délirantes (la poursuite dans les rues de Goa et par-dessus tout celle dans le tunnel)
et « La Mort dans la Peau » devient aussitôt insipide voire inepte. Ces deux scènes par leur intensité et leur
longueur relèvent immédiatement la tenue de l’intrigue. Deux scènes presque gratuites qui attestent du
savoir-faire technique impressionnant de Paul Greengrass. Celle dans le tunnel se révèle même infiniment
plus efficace que la scène de l’autoroute dans Matrix Reloaded. Les séquences filmées par Greengrass
font vrai. Celles de Matrix Reloaded n’ont pas cet avantage.
Mais une fois encore, enlevez ces deux scènes clés qu’accompagne une horripilante musique crescendo et
« La Mort dans la Peau » se retrouve bancal. Confusion des genres Thriller / Action, narration survolée,
personnage sans motivation claire et crédible… »La Mort dans la Peau » laisse un arrière goût de déjà vu
pas désagréable mais un poil décevant. On annonce déjà à grand renfort de conjectures la mise en chantier
d’un 3ème volet intitulé en anglais « The Bourne Ultimatum ». Ainsi que Matt Damon le faisait remarquer lors
de sa conférence de presse (voir notre article), il faudra un scénario solide à ce 3ème épisode (sans doute
le plus important de la série) pour très nettement concrétiser les ambitions de cette saga planétaire.
La révolution est en marche. Il lui faut un leader. Jason Bourne semble être tout désigné pour la mission :
bouleverser l’ordre hollywoodien établi en matière de Blockbuster. « La Mort dans la Peau » marque une pause
certes divertissante dans ce processus révolutionnaire. Il faudra attendre le 3ème volet pour statuer sur
la réussite ou non de cette prise de pouvoir à la fois visuelle et intellectuelle !