Deauville 2004 : Birth
Après le très remarqué et salué Sexy Beast, il a fallu un courage immense à Jonathan Glazer pour faire naître ce film. « Birth » n’est pas seulement un thriller fantastique. C’est également une histoire émouvante sur les racines de l’Amour et sur l’éternité du sentiment.
BIRTH
Un film réalisé par Jonathan Glazer
10 ans après la mort brutale de son mari Sean, Anna commence à reprendre goût à la vie. Alors
qu’elle est sur le point d’épouser Joseph, elle fait la rencontre d’un jeune garçon qui prétend
être la réincarnation de Sean…
Après le très remarqué et salué Sexy Beast, il a fallu un courage immense à Jonathan Glazer
pour faire naître ce film. « Birth » n’est pas seulement un thriller fantastique. C’est également
une histoire émouvante sur les racines de l’Amour et sur l’éternité du sentiment. Rien à voir
avec les thèmes développés par Sexy Beast. Rien à voir non plus avec la réalisation de Sexy Beast.
Jonathan Glazer veut explorer autre chose, aller plus avant dans l’expérimentation et se bâtir un
style. « Birth » est son second long-métrage et bénéficie de la présence de stars (Nicole Kidman
et Lauren Bacall) ce qui fait apparaître la chose comme risquée. Mieux vaut éviter le ratage pour
s’assurer un confortable matelas de spectateurs et, fort de ces résultats, continuer son petit
bonhomme de chemin dans la réalisation de films.
C’est ce qu’aurait fait n’importe quel cinéaste en vogue. Mais pas Jonathan Glazer ! Lui, sûr de
tenir un sujet prometteur, tient à innover, à l’assortir d’une vision pour que « Birth » ne sombre
pas dans l’oubli après avoir diverti les foules un temps. Soyons clairs, Glazer vise le chef
d’oeuvre ! Dès les premières images, ça se respire et ça se sent. Travelling avant de 5 bonnes
minutes derrière un jogger qui court sur la neige. La séquence est somptueuse. On égrène le générique
puis le jogger tombe mort, vraisemblablement foudroyé par une crise cardiaque. On ne verra jamais
son visage. On ne fera que deviner son galbe. L’introduction est à la fois puissante et fascinante.
Par delà ce gigantesque manteau blanc, sous un pont, un homme vient de mourir. Avec lui son passé,
présent et avenir. Au même moment, un bébé vient de naître. Déjà la vie a repris le dessus. La plongée
s’élargit pour faire place à un plan d’ensemble. Les mains de la mère entrent dans le champ.
La réalisation, élégante, fait preuve d’une infinie délicatesse. On savait Jonathan Glazer doué.
On n’ignorait qu’il fût capable d’atteindre ce niveau de réalisation. C’est du grand, c’est du
très grand cinéma ! Glazer restitue à merveille ces ambiances feutrées, ces salons particuliers,
ces immeubles à concierge. Plan par plan, l’un après l’autre, le cinéaste prend le temps de nous
révéler les secrets que cachent ces endroits tout en installant une pesante atmosphère d’étrangeté.
Une fois le cadre posé, c’est au tour des personnages de se voir dénuder au sens propre et littéral.
Malgré les innombrables subterfuges utilisés par eux pour masquer la nature réelle de leurs sentiments,
Glazer les démasque un par un à coup de gros plans étirés et de focales courtes. Parmi ces plans, il
en est un qui entre d’ores et déjà dans la légende puisqu’il s’agit du plan de plus de 2 minutes et
demie sur le visage de Nicole Kidman tandis qu’elle peine à se concentrer sur le concert auquel elle
est en train d’assister.
Ce seul plan tient du génie. Kubrick lui-même en aurait été exalté. D’ailleurs, l’imagerie du film
emprunte beaucoup à la réalisation du maître. Exploitation de couleurs froides, personnages filmés
dans leur ensemble souvent dans leur nudité, plans fixes, montage cut et rythme contemplatif.
Difficile de surcroît de passer à côté du parallèle lorsqu’on retrouve traits pour traits certains
des cadrages de Nicole Kidman dans Eyes Wide Shut. L’inspiration est évidente. De la à dire qu’il
y a eu copie, c’est une autre histoire. Disons que ce film est un hommage appuyé d’un grand cinéaste
en devenir à un immense cinéaste. Un tribut offert sur l’autel de la création. La séquence de
l’interrogatoire, la bagarre devant l’orchestre de musique, la scène de la salle de bain sont autant
de moments intenses lors desquels Glazer, guidé par cette inspiration, s’élève pour nous offrir de
purs, d’intenses moments de cinéma.
Malheureusement, Glazer ne parvient pas à conserver ce rythme tout au long du film. Certaines scènes,
notamment celles confrontant l’enfant à Nicole Kidman, manquent de force. Jamais on ne parviendra à
être inquiété ou angoissé. Jamais on aura de doute sur la finalité. Pas un seul instant ! Et c’est
ce qui manque cruellement au film. De ce simple fait, « Birth » tourne quelque peu à vide et en rond.
Demeure l’attirance ambiguë de Kidman pour ce garçon âgé de 10 ans. Cet Amour aura choqué quelques
esprits chagrins. Tant pis pour eux ! Nous aurions aimé, bien au contraire, que cette histoire aille
beaucoup plus loin. Que la relation ambiguë soit poussée à son paroxysme. La nécessité d’éviter une
interdiction honteuse et la crainte de voir « Birth » amalgamé avec un film sur la pédophilie auront
(j’en ai bien peur) contribué à cette regrettable tiédeur des sentiments. Cette hésitation narrative
se refuse à rendre l’atmosphère du film étrange et malsaine. Glazer passe ainsi à côté d’un chef
d’oeuvre ! Il s’en est fallu de très peu !!!