DOSSIER EM - Interview avec Victoria Willis
Suite et fin de notre voyage chez Editions Montparnasse, avec une rencontre avec la responsable du département DVD, qui supervisa les premiers disques français, et qui songe maintenant aux prochaines déclinaisons du format
dvdfr- Vous avez été l’une des premières personnes en Europe à réaliser des DVD…
Victoria Willis - Les Enfants de Lumière a été le tout premier DVD français.
Il n’a pas été évident à réaliser, mais ce contact avec le DVD a surtout été très
rigolo. Rétrospectivement, le graphisme n’est peut-être plus contemporain, mais
Les Enfants de Lumière bénéficie de prouesses techniques qui n’ont pas été
répétées depuis. Nous avons inclus 350 mini-fiches accessibles pendant le programme,
pour chacun des films cités dans ce document. Nous nous sommes heurtés aux limites
techniques du format : en effet, le flux vidéo du DVD n’autorise pas d’avoir plus
de 99 liens simultanés. Nous avons dû recourir à de petits artifices pour
contourner ce problème…
dvdfr- Comme vous avez été les premiers, vous avez eu le temps de bien
travailler sur les possibilités du système…
Victoria Willis - Tout à fait, mais ce n’est pas forcément visible. L’an
dernier, tout le monde s’extasiait devant le « seamless branching » du Le Masque de Zorro…
mais nous l’avions déjà fait avant avec Versailles, la visite, qui offre le choix
entre 6 génériques selon la langue choisie !
Notre sujet actuel de préoccupation est de garantir la qualité de l’image sur les
films anciens, avec un bon bitrate vidéo. Par exemple, nous allons bientôt sortir
« Fort Apache », un autre film où il y a deux montages différents. Nous avons opté
de faire un disque double face pour offrir les 2 versions, car un DVD-10 offre
plus de place qu’un DVD-9 (9,4 Go contre 8,5 Go - NdlR). Comme il s’agit d’un
film un peu long, cette place supplémentaire nous permet d’offrir un débit
vidéo plus confortable.
dvdfr- « Fort Apache » est le 3ème film classique qui présente deux montages
différents. On peut comprendre les raisons d’un King Kong. Mais
pourquoi il y a de telles différences sur un Le Danseur du dessus et « Fort Apache » ?
Victoria Willis - Allez savoir. Il suffisait que les distributeurs de
l’époque reçoivent une version incomplète, ils faisaient le doublage, et à
partir de là, c’est impossible à rattraper. Nous avons la chance de travailler
avec Serge Bromberg, qui connaît fort bien l’histoire de ces pellicules. Et
lorsqu’on se trouve face à ces incongruités, nous optons pour présenter les
deux versions.
dvdfr- Les films de la RKO bénéficient d’un travail de restauration.
Qu’entendez-vous par restauration ? Est-ce que vous refaites le télécinéma ?
Victoria Willis - Nous effectuons de gros travaux de réfection au niveau
de l’image et notamment du son. C’est une tâche assez minutieuse et chère, de
l’ordre de 30.000 francs par titre. Pour justifier un nouveau télécinéma, il
faut que le master d’origine soit en mauvais état, ou que le transfert soit
vétuste. En général, les télécinéma réalisés au cours des derniers 5 ou 6 ans,
sont de bonne qualité.
En ce qui concerne les RKO, nous recevons les masters des Etats-Unis. Mais on
procède tout de même à nos travaux de restauration. La Règle du jeu est
un film qui a nécessité de procéder à un nouveau télécinéma. Nous avions trouvé
un master qui avait été conçu pour une diffusion TV sur Arte, et qui n’était pas
très bon.
En revanche, les vraies restaurations au niveau de la pellicule, nécessitent des
investissements de l’ordre de 2 millions de francs, bien au-dessus des possibilités
des distributeurs. Il n’y a que le ministère de la Culture qui peut financer ça.
« Les enfants du paradis » avait bénéficié d’un tel travail. Hélas, nous n’avons
plus les droits, mais j’ai hâte de voir le DVD…
dvdfr- Parlons des coûts. Quel est le prix actuel pour fabriquer un DVD, par
exemple un titre de la RKO ?
Victoria Willis - Cela varie de titre en titre. Et à partir du moment où
on réalise une série de disques dans une collection, on peut avoir un prix sur
l’ensemble…
dvdfr- …hmm, les RKO ne sont finalement pas le bon exemple…
Ils le sont, car ils nécessitent en plus des frais de restauration. Un DVD
RKO coûte en moyenne entre 30 et 35.000 francs, auxquels il faut ajouter les
25/30.000 pour la restauration. On arrive donc à un budget de 60-65.000 francs.
Bien entendu, ce chiffre ne comprends pas ni les coûts du pressage, ni ceux de
la structure de production (salaires, piges, etc.). Mais les coûts peuvent varier.
dvdfr- Par exemple, quel a été le budget d’Himalaya, l’enfance d’un chef ?
Victoria Willis - 200.000 francs environ.
dvdfr- A propos de la Collection Fantastique, je dois adresser un petit
grief de la part de certains de nos lecteurs : L’Invasion des profanateurs de sépultures
commence en format respecté, mais après le générique, il devient pan&scan !
Victoria Willis - Ne m’en parlez pas ! Nous avons reçu le master des U.S.
dans ce format. On aurait dû réagir plus tôt… Nous sommes résolument en faveur
du format respecté, il s’agit juste d’un incident de parcours.
dvdfr- Est-ce que vous travaillez en flux tendu ?
Victoria Willis - Oh oui, on peut le dire ! Nous venons à peine de sortir
d’un cycle serré, où on a dû s’occuper d’une quinzaine de DVD en même temps, et
on va se plonger sur les sorties du printemps. A partir du moment où les décisions
ont été prises, la fabrication d’un DVD prend 4 mois. Cela peut être plus si le disque
est compliqué, ou moins si le projet est plus linéaire.
dvdfr- Parfois, les DVD les plus riches en matière de contenus, sont
paradoxalement les plus simples à faire. Est-ce que cela a été le cas
d’Himalaya, l’enfance d’un chef ?
Victoria Willis - Je ne dirais pas qu’il a été si simple, mais on peut
dire que le DVD n’a pas posé trop de problèmes techniques. Les choses sont plus
linéaires, à partir du moment où les compléments sont déjà disponibles. Je savais
qu’ils avaient fait de rushes pendant le tournage, et je leur ai donc demandé de
les monter, pour faire le making of.
Sur les films récents, on peut souvent bénéficier du soutien direct du réalisateur
et de l’équipe du tournage. Eric Valli, Bruno Coulais et Jacques Perrin (avec qui
nous avions travaillé sur Les Enfants de Lumière ) se sont beaucoup impliqués
dans le DVD, et ont enregistré le commentaire audio. L’ingénieur du son de Bruno
Coulais nous a remixé la chanson en 5.1. Cela devient plus simple, à partir du
moment où les gens s’impliquent dans un projet.
dvdfr- Même la cohabitation des pistes DD et DTS a été simple ?
Victoria Willis - Oh, pas du tout. En fait, comme il fallait effectuer
l’encodage par 2 décodeurs différents, nous avons réalisé qu’il est impossible
d’équilibrer les niveaux pour une raison technique spécifique. Nous nous sommes
trouvés avec une piste DTS à un niveau bien supérieur à celui du DD, et nous avons
été obligés de refaire l’encodage pour le DTS.
dvdfr- Est-ce que l’encodage de la piste DTS a été fait en France ?
Victoria Willis - Oui. Il y a 2 laboratoires qui permettent de le faire.
dvdfr- On commence à parler des prochaines évolutions du DVD. Que pensez-vous
du eDVD ?
Victoria Willis - Je suis totalement pour ! Nous allons tous vers cette
direction, et ils ont déjà commencé à explorer les possibilités aux U.S. Le
problème est que la technologie n’est pas encore au point. Mais l’intégration
du Net et les capacités d’évolution des lecteurs des prochaines générations,
sont très excitantes. Je veux aller vers cette direction. Il faut cependant
trouver le temps et les moyens pour étudier et développer dans ce sens. Mais
je suis convaincue qu’il va changer notre façon de travailler.
dvdfr- Il y a un dernier point qui attire souvent le mécontentement des
consommateurs : le sous-titres imposés, notamment au niveau des films qui ne
sont pas très récents. Les gens se demandent pourquoi les distributeurs n’achètent
pas aussi les droits VO non sous-titrée pour la France…
Victoria Willis - Mais cela ne s’achète pas ! Le producteur nous cède
les droits dans notre langue. Imaginons qu’on place aussi de sous-titres
allemands. Ce qui va se passer, est que lorsqu’il vendra les droits en Allemagne,
il ne pourra pas demander le même prix, car le distributeur allemand lui répondra
que notre DVD a déjà ces sous-titres, et donc il s’estimera lésé. Cela s’applique
aussi à l’anglais. Par exemple, pour le DVD de « Warriors », nous sommes obligés à
imposer les sous-titres français en VO. Vous le savez mieux que moi : ce n’est
pas la question du touriste qui s’achète un disque. Avec Internet, on peut acheter
n’importe où, et il y a la libre circulation des biens en Europe. Je peux comprendre
qu’il s’agit pour certains d’une source de mécontentement, mais il faut aussi
comprendre que ce système nous permet de protéger nos droits…
dvdfr- Nous sommes d’accord, mais en même temps les éditeurs indépendants
souffrent d’un complexe d’inégalité vis à vis des Majors : elles n’imposent pas
les sous-titres, car de toute façon elles détiennent les droits planétaires…
Victoria Willis - Tout à fait. Mais comme vous savez, il y a des éditeurs
indépendants européens qui essaient de créer un réseau, pour favoriser les synergies.
Si cela se met en place un jour, le problème ne se pose plus, car les langues principales
seront présentes sur le disque.