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Bonnes feuilles : Midi-Minuit Fantastique, tome 4

Par Francis Moury | Publié le | Mis à jour
Bonnes feuilles : Midi-Minuit Fantastique, tome 4

Le tome 4 Midi-Minuit Fantastique, tant attendu, est enfin arrivé ! C’est le tome final et dernier de cette nouvelle édition intégrale 2014-2021. Il comporte les n°18-19 (décembre 1967 – janvier 1968) à n°25-26 (été 1973).

Midi-Minuit Fantastique

Cet ouvrage de 752 pages est, comme les trois premiers tomes, un beau livre (reliure, papier glacé, grand format 26 x 22,5 cm). C'est une version entièrement restaurée et augmentée de l'intégrale de la revue Midi-Minuit Fantastique : texte ressaisi et homogénéisé, éléments graphiques de la maquette d'origine nettoyés (couvertures, titres, publicités d'époque), photos puisées aux meilleures sources HD - le tout dans le respect de la maquette originale.

Il est accompagné d'une rétrospective de classiques «midi-minuistes» (notamment des films majeurs de Terence Fisher, de Roy Ward Baker, de Henry Cass, de Mario Bava, de Roger Corman, de Robert S. Baker & Monty N. Berman, d'E. B. Schoedsak, de Michael Powell, de Seijun / Kyonori Suzuki, d'Alain Jessua, d'Harry Kümel ainsi que quelques rares courts et moyens-métrages français) au Forum des Images (Paris) du 15 décembre au 09 janvier 2022, et d'expositions. Certains films seront présentés par Nicolas Stanzick, le jeune maître d'oeuvre de cette restauration et de cette programmation.

Forum des images - Midi-Minuit Fantastique

Muni d'un DVD de 240 minutes (contenant un documentaire sur la revue ainsi que 8 courts et moyens métrages français rares tournés entre 1963 et 1972), ce tome 4 achève l'unification en un seul format des numéros de la première période petit format (édités de 1962 à 1966, n°1 au N°13) et des numéros de la seconde période grand format (édités de 1966 à 1971, n°14 au n°24, auquel on rajoute ici le mythique n°25-26 demeuré jusqu'alors inédit mais à présent intégralement reconstitué). Cette séparation de l'édition originale entre deux formats distincts, était assurément gênante pour l'unité d'une bibliothèque : cette nouvelle édition (depuis son tome 1 paru en février 2014 à ce tome 4 paru en décembre 2021) corrige très bien ce défaut de jeunesse auquel bien d'autres revues françaises de cinéma n'ont pas échappé : qu'on se souvienne par exemple des absurdes modifications de format de la Revue du cinéma - Image et son : trois ou quatre formats différents entre 1957 et 1995 ! On y découvre un certain nombre de documents photographiques en couleurs pour la première fois. Les documents photos ont été, pour un grand nombre d'entre eux, photographiés à la source : leur définition et leur précision sont donc nettement supérieures à celles de l'édition originale. Les couvertures originales sont soigneusement reproduites afin que les collectionneurs retrouvent immédiatement l'ordre de chaque numéro et son esthétique initiale au sein du tome, dans leur ordre de parution en y ajoutant pour la première fois le n°25-26.  Enfin, il y a des inédits : affiches en couleurs (par exemple celles de La Barrière de chair dans le n°18-19), textes (un article de Bernard Charnacé sur le livre de Jean-Marie Sabatier sur le cinéma fantastique, retrouvé manuscrit dans le dossier prévu pour le MMF n°25-26, dossier archivé dans la bibliothèque de Caen), photos (une photo couleurs de Le Jardin des tortures à la page 106 du n°18-19, encore lui, mais il y en a bien sûr d'autres dans les numéros suivants), des fragments de dossiers de presse, dessins qui n’avaient pas trouvé place à l’époque mais qui la trouvent à présent, en raison d’une rationalisation de l’espace, gain d’un travail acharné mené en collaboration entre Nicolas Stanzick (Dans les griffes de la Hammer, éditions BDL revue et mise à jour, Paris 2010), Michel Caen et Jean-Claude Romer, tous deux d'ailleurs décédés pendant cette nouvelle édition. Le dernier mais non le moindre de ces inédits est ce mythique double n° 25-26 daté été 1973, enfin restitué.

Midi-Minuit Fantastique - Intégrale volume 4

Un point doit être souligné : le passage au grand format en 1966 fut aussi le symbole d'une modification éditoriale à laquelle certains lecteurs furent sensibles en temps réel. La notion de fantastique s'élargissait (cinéma underground, expérimental) et l'érotisme graphique augmentait au fil des pages. Au point que certains enthousiastes du petit format initial se sentaient trahis. C'était le cas du jeune et intransigeant Jean-Pierre Dionnet qui écrivait, dans une savoureuse lettre publiée dans le courrier des lecteurs du n°18-19 (pages 107 et 108) :
«Votre évolution constante tendant à vous rapprocher de la maquette des Cahiers du cinéma et de l'esprit de Elle [sic] est sans doute un bien. Nous saurons enfin à quoi nous en tenir. Merci de nous avoir donné trois numéros éblouissant (le 1, le 2 et le 3 !) avant de disparaître. Un ancien lecteur.» !
En réalité, on s'en rend mieux compte avec le recul, in medio stat virtus : il y avait certes une ouverture à autre chose mais évidemment pas de fermeture à ce qui avait fait le coeur des premiers numéros puisque le cinéma fantastique était toujours traité en priorité : simplement, il n'était plus tout à fait seul à l'être ! La notion du fantastique s'élargissait dans ces n° MMF grand format : on y trouvait aussi des reportages sur des spectacles, des «happenings», des expositions de peinture et de dessins, des fragments de bandes-dessinées. En revanche, on peut ne pas regretter la non-parution des numéros «érotiques» des années 1975 (auxquels Michel Caen songeait très sérieusement : à ses yeux et à cette époque, le fantastique avait fait son temps sur le plan éditorial et l'érotisme devait prendre la relève) lorsqu'on voit leurs projets si hideux de couverture : là, oui, pour le coup, on aurait pu dire que MMF avait vécu. D'ailleurs chronologiquement et historiquement, MMF avait vécu dès 1971 même si son numéro fantôme de 1973 enfin révélé en 2021 nous prouve qu'il survécut encore deux ans au moins. Il s'agissait bien de survie puisqu'une partie de la rédaction de MMF était passée chez les éditions Publicness qui publiaient les versions françaises des revues américaines (bandes-dessinées d'horreur et d'épouvante, actualités et dossiers sur le cinéma fantastique) éditées par Warren Publishing Creepy (30 numéros publiés en France de mars 1969 à  octobre 1976), Eery (11 numéros publiés en France d'avril 1969 à décembre 1970) et Vampirella (25 numéros publiés en France de janvier 1971 à octobre 1976 sans oublier un mythique n°0).

Midi-Minuit Fantastique 1

Voici à présent une description succincte du contenu du tome 4 comportant 752 pages, 800 photos couleur et noir et blanc : 

  • Une préface du cinéaste américain John Landis qui lisait MMF sans en comprendre un mot : il aimait les photographies et les affiches publiées dedans.
  • « Inté-Graal», une présentation de Nicolas Stanzick expliquant notamment comment a été menée à bien la restauration et la recréation du numéro inédit 25-26.
  •  Les numéros 18-19 à 24 avec une iconographie enrichie + l'inédit n° 25-26 de Midi-Minuit Fantastique, reconstitué et présenté pour la première fois en exclusivité :
    - n° 18-19 (décembre 1967 janvier 1968) : entretien richement illustré de Roland Lethem avec Seijun Suzuki, Barbarella.
    - n°20 (octobre 1968) : Michael Powell, Roman Polanski, débuts de la programmation MMF au Studio de l'Etoile, très important entretien traduit en français de Roland Lethem avec le grand cinéaste Inoshiro Honda sur sa conception esthétique du cinéma fantastique japonais. Dans l'entretien annexe de Roland Lethem avec l'historien américain Donald Richie sur les monstres japonais, p.175, se trouve l'origine de la célèbre thèse sur la version japonaise ultra-violente des Hammer films anglais, version démentie par Terence Fisher. C'est presque le seul intérêt de ce second entretien (par ailleurs très bien illustré) dans lequel Richie s'avère d'un mépris sidérant pour le fantastique japonais et pour le fantastique anglais tout autant (lire son ahurissante remarque sur Terence Fisher à la p.173).
    - n°21 (avril 1970) : entretien illustré Caen et Lethem avec Koji Wakamatsu ; Le Studio de l'Etoile programme Roger Corman (florilège de critiques françaises citées, belles photos d'illustration notamment des couleurs inédites), Tod Browning, E.B. Schoedsack, Albert Zugsmith ; HorrorScope, Ciné-guide. Quelques images de films de Michael Reeves, Jean Rollin, Claude Mulot, Vernon Sewell, Yasuzo Masumura. Page 258 deux belles et inédites photos couleurs (de plateau ou exploitation détourées) d'un film de Mel Welles avec Kai Fisher et Cameron Mitchell. Maquillage de la planète des singes (version originale 1967). Page 274, Alain Schlokoff félicite MMF. Page 275, on observe que Pierre Charles était de ceux qui avaient trouvé la réponse à la question relative au film-mystère (ici l'image provenait évidemment d'un film de Freddie Francis). Entretien d'André Ruellan avec lui-même sous le pseudonyme de Kurt Steiner.
    - n°22 (été 1970) : Science-fiction au cinéma et en littérature, les films fantastiques de Bert I. Gordon, entretiens de Yvette Romi avec Barbara Steele. Stanley Kubrick, Salvador Dali, Rita Renoir ; La Science-fiction au cinéma et en littérature. Ciné-guide.
    - n°23 : (automne 1970) Gaston Leroux I par Jean Rollin avec quelques photos couleurs et N&B de films de Rollin. HorrorScope. Studio de l'Etoile. Extraits du découpage technique de Le Seuil du vide de Jean-François Davy. Le film retrouvé. Festivals. Photo-mystère. Dossiers. Bonnes feuilles (sur le livre de Gérard Lenne sur le cinéma fantastique et ses mythologies) et notes sur quelques livres édités dans les séries «Fantastique» et «Science-fiction» de la Bibliothèque Marabout : Georges Lenglet y justifie assez curieusement l'adaptation contemporaine du livre de Jacques Spitz, La Guerre des mouches, par les éditions Marabout mais cela permet de pouvoir observer l'une des belles illustrations de couvertures qui étaient l'un des charmes de cette si mignonne collection belge.
    - n°24 ((hiver 1970-1971) : une notice nécrologique émue sur la mort de Jean Boullet sous la table des matières de ce numéro qui comporte des articles sur Gaston Leroux II avec nombreuses photos de classiques du cinéma fantastique insérées au fil des pages, bibliographie inédite par Jean Rollin et filmographie par Francis Lacassin, une étude bio-filmographique sur Jean Rollin (avec reproduction de l'affiche 1969 de La Vampire nue), un HorrorScope riche (films de Roy Ward Baker, Jimmy Sangster, Freddie Francis, Jesus Franco, etc), des critiques de Gérard Lenne sur Une Messe pour Dracula (GB 1969) de Peter Sasdy (je l'avais affichée en photocopie agrandie et sur plusieurs pages à l'entrée du Midi-Minuit, ex-Bergère la première semaine d'octobre 1985 car la filiale parisienne de la Warner ne possédait plus aucun jeu de photos d'exploitation du film de Sasdy !) et sur Le Récupérateur de cadavres (USA 1945) de Robert Wise. Je le trouve un peu trop sévère pour le Wise mais je relis avec grand plaisir sa riche critique du Sasdy. Suit un article de J.-L. Degaudenzi sur le véritable Dracula historique, avec reproductions de manuscrits et de gravures d'époque. Chroniques de quelques éditions Marabout (Harry Dickson de Jean Ray, Histoires vénéneuses de Claude Seignolles) et aussi de l'édition Christian Bourgeois du classique recueil Dans l'épouvante de Hans-Heinz Ewers, dont le titre est aussi celui de la collection dans laquelle il paraît et qui réédita des textes rares d'auteurs tels que Bram Stoker et Arthur Machen.
    - Le numéro inédit 25-26 (daté «été 1973», illustré par une photo de Britt Nichols et Anne Libert dans La Fille de Dracula (1971) de Jesus Franco qu'il ne faut évidemment pas confondre avec La Fille de Dracula (USA 1936) de Lambert Hillyer, qui mériterait bien un paragraphe spécial et dédié.

L'Entr'acte du Midi-Minuit

  • Un chapitre illustré regroupant textes nouveaux 2021 ou plus anciens mais devenus difficilement accessibles, voire introuvables ou jusqu'à présent inédits :
    - L'actrice de cinéma-bis érotique et fantastique Joëlle Coeur, par Christophe Bier (2021, illustré par de belles photos de plateau des années 1970)
    - Entretien de Jesus Franco avec Michel Caen et Jacques Boivin (réédition, dotée de nouvelles illustrations, de l'entretien paru dans Vampirella n°3 de septembre 1971, donc le premier entretien avec Franco publié en France.
    - Hommage à Jean Rollin, par Nicolas Stanzick, article paru dans L'Écran fantastique n°317, janvier 1971.
    - Souvenirs sur Barbara Steele, par Geneviève Caen (2021)
    - L'érotisme dans le cinéma fantastique par Jean-Pierre Bouyxou (article paru dans L'Organe n°3, novembre-décembre 1985)
    - Essai de définition des catégories esthétiques du fantastique par Jean-Claude Romer (article paru en 1988 mais je signale à Nicolas qu'il en existe une version antérieure, sur une seule page parue vers 1970 dans Vampirella n°9 si j'ai bonne mémoire)
    - Les Rescapés du temps, par Raphaël-G. Marongiu (2021 pour la parution) bande-dessinée qui avait stylisé en temps réel les rédacteurs de MMF, en les intégrant dans une histoire fantastique.
    - un reportage photo sur Johnny Eck, par Jean-Claude Romer (juin 2020 : un des derniers travaux d'histoire du cinéma de Romer, sur l'un des plus célèbres acteurs du Freaks, la monstrueuse parade de Tod Browning).
  • Le DVD Les Frissons de Midi-Minuit (Soft-Prod., durée totale 242 minutes) contient un documentaire (environ 50 minutes) et 8 courts et moyens métrages rarissimes :

INSOMNIE
Un film de Pierre Étaix, (Fr. 1963, durée 15 mn).
Restauration HD supervisée par Pierre Étaix (Orange Studio, 2010).
Pierre Étaix s’est vite imposé comme l’un des héritiers de Chaplin et de Keaton. Mais, chose moins connue, il était aussi un fervent amateur de cinéma fantastique, un admirateur du Cauchemar de Dracula, des Proies du vampire, et un assidu des salles de quartier. Une passion partagée avec Jean-Claude Carrière, son co-scénariste sur Insomnie, dernier court métrage de l’auteur de Yoyo. Étaix y révèle la réversibilité du rire et de l’horreur, s’autorisant audaces formelles et virtuosité du découpage. MMF, dans son n° 17, célébra le film pour sa filiation évidente avec la grande tradition du genre, de Browning à Fisher : bref, comme une pépite rare de la filmographie des vampires.

Insomnie

LA MAISON DU JUGE
Un film de Serge Fouquet (Fr. 1963, durée 16 ou 26 min ?).
Numérisation HD à partir d’une copie 16 mm (Kinographik, 2021).
Le plus obscur de tous les films midi-minuistes, La Maison du juge est une adaptation de la nouvelle homonyme de Bram Stoker (l'auteur du roman Dracula), dont Fiction venait alors d’offrir la toute première traduction en 1963 avant qu'elle soit éditée par les éditions Opta puis rééditée par la André Gérard et la Bibliothèque Marabout en 1974. Sélectionné au «Festival du film libre» de 1965, La Maison du juge enthousiasma Jean Boullet (qui admirait en fin connaisseur l'ensemble de l'oeuvre littéraire fantastique de Bram Stoker) et toute la jeune garde midi-minuiste avant de tomber dans l’oubli, des décennies durant. Réalisé par un cinéaste alors âgé de vingt ans, tourné dans des conditions indépendantes, avec d'évidents défauts techniques (image sous-exposée, postsynchronisation approximative), La Maison du juge atteint néanmoins un niveau d’étrangeté et de peur digne du texte littéraire qu'il adapte.

ÈVES FUTURES
Un film de Jacques Baratier (Fr. 1964, durée 16 mn).
Numérisation SD d’une copie 35 mm (CNC, 2012)
« Un poète ne pense pas, mais s’exprime directement avec des mots, des couleurs, des sons », théorisait le cinéaste Jacques Baratier. Voilà résumé Eves futures qui, à partir de la confection des mannequins de vitrine, devient un poème fétichiste où se brouille la frontière entre la vie et l'artifice.

Èves futures

NOVICIAT
Un film de Noël Burch (Fr. 1965, durée 17 mn).
Numérisation HD d’une copie 16 mm (Kinographik, 2021).
Deuxième prix ex-aequo derrière Scorpio Rising de Kenneth Anger au Festival d’Évian en 1965, Noviciat traite d'une manière singulière la fascination d’un homme pour une femme qui le voit tomber en son pouvoir jusque dans les derniers retranchements de la servilité. La femme aperçue à la dérobée, Frédérique Franchini, tenait une école sous les fenêtres de l’appartement parisien du réalisateur Noël Burch.

Noviciat

DE MES AMOURS DÉCOMPOSÉES
Un film de Jacques Zimmer (Fr. 1970, durée 10 mn).
Restauration HD à partir du négatif 35 mm (CNC, 2021).
Midi-minuiste de l’extérieur (il m'avait gravement soutenu, lors d'une rencontre dans les bureaux de La Revue du cinéma-Images et sons, dans les années 1985, que le succès de MMF reposait sur un «malentendu», le même terme repris par Noël Simsolo dans le documentaire ) mais critique contemporain de Michel Caen, Jean-Claude Romer, Jean Boullet et Éric Losfeld, Jacques Zimmer réalise avec De mes amours décomposées un film assez personnel, uniquement conçu pour évoquer ses auteurs favoris (D.A.F. de Sade, Lautréamont, Charles Baudelaire, H.P. Lovecraft) et la bande dessinée fantastique des éditions Warren et des éditions du Terrain vague.

CHRONIQUE DE VOYAGE
Un film de Robert de Laroche  (Fr. 1971, durée 26 mn).
Numérisation HD d’une copie 35 mm (Le Chat qui fume, 2021).
Le passage à l’acte cinématographique d’un jeune lecteur de MMF, Robert de Laroche. Un peu à la manière de Fantasmagorie qui inventait une Transylvanie vald’oisiennne, le décor naturel d’Hellenvilliers offre l’insolite du château, du cimetière et de la brume hivernale qui sied à cette déclaration d’amour aux vampires. Le noir et blanc onirique, le rythme hypnotique, la musique minimaliste autorisent des fulgurances : ainsi  ce travelling arrière quand le voyageur passe les grilles du domaine, qui réinvente le célèbre intertitre : « Une fois franchi le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre. » Lotte Eisner, l'amie de Fritz Lang et la contemporaine de Murnau, s’enthousiasma pour ce lointain héritier des cauchemars expressionnistes.

Chronique de voyage

LIBERTA, AGENT SPATIAL ANTI-MYTHE
Un film de Jean-Noël Delamarre, (1971, durée 25 mn).
Restauration HD du négatif 35 mm et d’une copie positive (Cinémathèque de Toulouse, 2021).
Réalisé par Jean-Noël Delamarre, un fidèle de Jean Rollin, Liberta documente un trésor perdu inestimable : le décorum éphémère des salles de quartier parisiennes, toiles peintes réalisées par la firme Publi-Décor (dont le chant du cygne fut la façade revisitée du Bergère, et le visage troué de Barbara Steele, afin de le transformer en Midi-Minuit, ex-Bergère, à partir d'octobre 1985). Réalisé en banc-titres, le film transcende son objet en narrant les aventures de Liberta – nom générique de ces belles violentées ou insatiables tigresses récurrentes – confrontée aux grands monstres classiques. Dialogué par Loro et de Beketch (Pilote), le film navigue entre humour libertaire, situationnisme et psychédélisme. Miroir fascinant du cinéphile qui hésite entre deux devantures de cinéma et se crée ainsi des chimères filmiques, Liberta est la matérialisation des rêveries du midi-minuiste, ce promeneur solitaire sur le boulevard du crime et du plaisir.

Liberta, agent spatial anti-mythe

SEXANA
Un film de Hubert Lacoudre, (1972, durée 17 mn).
Numérisation HD d’une copie Super 8 (Kinographik, 2021).
Midi-minuisme tardif, clandestin et ouvertement licencieux ! Sexana, c’est Ellen Earl, prêtresse à la tête d’une armée d’amazones cuissardées et descendante fardée de Gloria Holden, la fille de Dracula. Face à elle, Joëlle Coeur – Tina la naufrageuse chez Rollin – semble une Alice au pays du SM. L’enjeu ? Un cérémonial tourné dans une champignonnière, nourri de la fascination langienne pour les mondes souterrains, de leur énergie tellurique et païenne. Derrière les ébats et sévices au dernières limites du soft, le film semble expliciter la lecture érotomane propre à MMF des mythes classiques du fantastique, des Chasses du comte Zaroff à La Nuit du loup-garou. Et l’on se dit que lorsque Caen, Romer et Boullet s’enflammaient dans de longs textes fantasmatiques pour Barbara Steele, Elsa Lanchester ou Maila Nurmi, sans doute rêvaient-ils déjà secrètement à des films tels que Sexana.

BONUS :

  • MMF, par les midi-minuistes (Fr. 2021, 58 min.)
    Excellent documentaire d’Erwan Le Gac et Nicolas Stanzick avec Michel Caen (depuis décédé), Geneviève Colange-Caen, Georges Lenglet, Gérard Lenne, Roland Lethem, Gille Menegaldo, Raphaël G. Marongiu (depuis décédé), Jean-Claude Romer (depuis décédé) et Noël Simsolo. Témoignages de première main et anecdotes peu connues, illustrées de photos parfois rares et de fragments de films S8mm.
  • Présentations des courts-métrages et moyens-métrages, par Nicolas Stanzick, montées par Daniel Gouyette, 2021, 32 mn.

Midi-Minuit Fantastique, tome 4 (revues n°18-19 à 25-26 + 1 DVD), éditions Rouge profond, octobre 2021, 752 pages, 800 photos couleurs + N&B., relié, papier glacé, format 26 x 22,5 cm, 70 €.

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