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JAPON SABREUR : Le Dernier Samouraï

Par Giuseppe Salza | Publié le
JAPON SABREUR : Le Dernier Samouraï

L’honneur, la gloire et le katana. Dans le très beau film d’Edward Zwick, Tom Cruise débarque au bout du monde, dans un Japon qui enterre le système féodal et s’ouvre à l’Occident



De temps à autre, notre collaborateur François Chollier vous propose des critiques cinéma de films très frais voire pas encore démoulés, qui se rattrachent à l’actualité DVD (ou vice-versa)…
Aujourd’hui, le Japon des samouraïs est à l’affiche sur le grand et le petit écran.

LE DERNIER SAMOURAI
( Sortie le 14 janvier 2004 )

Le Dernier Samouraï

1876. Le capitaine Nathan Algren, sorti victorieux de la Guerre de Sécession, vit hanté par les souvenirs du raid sanglant effectué à Little Big Horn contre les Indiens. Réfugié dans l’alcool, Nathan n’est aujourd’hui plus qu’un phénomène de foire tout juste bon à vanter de villes en villes les mérites d’armes à feu.

Le Dernier Samouraï

Fort de son expérience au combat, il est engagé par M. Omura et officie bientôt en tant qu’instructeur militaire pour le compte de l’Empereur japonais. Ce-dernier, soucieux d’ouvrir son pays aux traditions et au commerce occidentaux, lui confie alors la mission d’éliminer toute résistance et d’éradiquer l’ancienne caste guerrière des Samouraïs.

Contraint d’affronter ces guerriers pour qui il acquiert une estime grandissante, le capitaine Algren se trouve bientôt pris entre deux feux. Une nouvelle fois au coeur d’une confrontation fratricide, Nathan va devoir choisir son camp avec pour seul guide son sens de la justice, de l’honneur et un irrepréssible penchant pour l’auto-destruction. De l’issu du combat dépendra son avenir et celui du Japon.

Le Dernier Samouraï

Qualifier ce film de fresque historique est encore bien en dessous de la vérité. Le Dernier Samouraï outrepasse (bienheureusement) ses attributions d’origine, à savoir le divertissement labellisé Guerre / Aventure, pour nous offrir une troublante et sincère réflexion sur l’évolution socio-politique du monde. Les influences qui traversent le film sont nombreuses. On peut citer parmi d’autres Danse avec les loups, Little Big Man, Shogun, Le Dernier des Mohicans, Ran sans oublier Lawrence d’Arabie dont l’esprit « politiquement incorrect » ne cesse d’animer cette flamboyante épopée. Toutefois, aucune de ces œuvres, aussi brillantes soient-elles, n’occulte la personnalité du Dernier Samouraï. C’est d’ailleurs la force d’Edward Zwick ; s’inspirer des plus grands sans jamais copier. Déjà auteur des très remarqués Glory et Légendes d’automne, Zwick porte (à l’instar de David Lean) un regard anti-conformiste sur le monde. Etes-vous sûr qu’il fût américain ? Oui, preuve qu’on peut exister à Hollywood sans se Michael Bayiser : l’ampleur, l’originalité et l’audace qu’étale chacune de ses réalisations est ici pour en témoigner. Avec Glory, il fustige la discrimination raciale dans les rangs-même de l’armée Yankee. Avec Légendes d’automne, il prône la liberté au mépris de tous les ordres pré-établis, fussent-ils moraux ou religieux. Avec Le Dernier Samouraï, il dénigre la politique extérieure (lire impérialiste) des Etats-Unis et livre quelques pistes (fort pertinentes) sur les origines du colonialisme.

Le Dernier Samouraï

Pour oser, il fallait oser car au-delà des réflexions habituelles (pour ce genre de production) sur la guerre, le courage, l’honneur et le rapprochement des cultures point le thème bien moins exploité (et pour cause) de l’ingérence de l’Occident dans le « développement » de l’Orient. C’est là le coeur du film. Derrière les images somptueuses et les vibrants discours se cache le plus ardent des réquisitoires contre cette aculturation venue de l’Ouest s’appuyant sur la conquête effrénée de l’espace et la marchandisation de la vie humaine. Le Dernier Samouraï, fable philosophico-politique, prend racine en 1870, date à laquelle l’Empereur du Japon, sous la pression venue de l’étranger, est rétabli sur le trône et ouvre son pays au commerce ainsi qu’à la « modernisation ». C’est la fin de l’ère Edo sous laquelle les Shogun se disputaient les rênes de l’Empire ; en un mot la fin de la féodalité.

Le Dernier Samouraï

Toutefois, ce changement d’ère n’est pas le fruit d’une décision réfléchie des japonais eux-mêmes mais bien le fruit d’une coercition exercée par les raids successifs de la flotte étrangère (russe, britannique, française et bien sûr américaine). Leur seule et unique but : obliger les Japonais à commercer en passant un bon nombre d’entre eux par les armes s’il le faut. Tel est le contexte. La suite est brillamment introduite et subtilement mise en scène. Les américains sont les plus agressifs dans la colonisation déguisée du Japon et envoient conseillers politiques et militaires afin « d’assister » l’Empereur dans le processus de modernisation du pays. Processus qu’ils reproduiront quelques années plus tard au Vietnam (et ce après le sanglant passage des français). Ce faisant, l’Empereur sortira le Japon de l’obscurantisme et guidera son peuple vers un développement socio-économique équivalent à celui d’un pays développé. Ce sont les prémices de l’ère Meiji qui correspond en France à l’ère des Lumières et bouleverse les rites socio-religieux pour leur préférer la voie de la modernité incarnée par l’Occident.

Or, l’occidentalisation est-il synonyme de progrès ou de régression ? C’est bien là toute la question ! Comment ne pas s’émouvoir du véritable formatage d’un pays aux traditions ancestrales, aux rites et à la culture si riche d’enseignements, à la finesse d’esprit et aux codes si respectables. Faut-il accepter de troquer son identité contre la poursuite du bonheur, du plaisir furtif, de la jouissance immédiate ? Faut-il privilégier l’accumulation de biens (confortables pour le corps, avilissants pour l’esprit) et y emprisonner l’individu ? Quel prix accorde-t-on à l’honneur, à la droiture, aux savoirs dans ce cités soumises à la loi du commerce international ? En clair, que vaut la vie d’un homme dans ce sytème sans âme ?

Le Dernier Samouraï

Les réflexions que suscitent Le Dernier Samouraï sont nombreuses et mériteraient à elles seules de disserter durant des heures sur leur bien-fondé. Le film fait preuve sur le sujet d’une grande maîtrise et d’un certain courage qu’il faut saluer. Avoir su résister à la tentation de la langue de bois et du patriotisme échevelé (façon post-trauma du 11 septembre) si chers à Hollywood tient du miracle en ces temps troublés. Zwick persiste et signe, Tom Cruise (après Né un 4 juillet) récidive et forgent à eux deux ce saisissant kaléidoscope à grand spectacle sur le respect et la culture de la différence. Exit les plans cheap où l’on harangue des foules conquises à l’avance. Exit les interminables morceaux de bravoure de héros auxquels le spectateur est las de s’identifier. Exit enfin les insupportables ellipses pour s’engouffrer au cœur d’une action brutale, épileptique et pallier un scénario creux et niais. Le Dernier Samouraï prend le temps de dessiner les contours d’un fascinant univers, récréant tour-à-tour un monde veule et violent (San Francisco), opulent et raffiné (Tokyo). La transition de l’un à l’autre monde exhibe (avec délicatesse) le quotidien du Japon d’antan et nous fait apprécier des usages millénaires.

L’Histoire de cette extraordinaire civilisation contraste avec la turbulente jeunesse d’un « héros » incarnant la déchéance d’une société américaine embourbée dans un impérialisme qui prend des accents de fuite en avant. Le temps d’un voyage et d’une souhaitable captivité, Nathan Algren fait le long apprentissage d’ancestrales traditions, refuge contre l’obscurantisme matérialiste du pays dont il est le porte-drapeau. L’ouverture à cette autre culture l’invite à renaître de ses cendres. Morale d’une fresque sans morale apprente. Point d’orgue d’une épopée servie par un scénario habile et captivant. Entretemps, Zwick aura eu la bonne idée d’alterner instruction militaire, escarmouche dans la forêt (similaire à celle époustouflante de Glory), duels et bataille rangée. De quoi donner au film un goût d’inoubliable. Peu à peu, Tom Cruise a l’intelligence et le talent de s’effacer devant l’ampleur de la saga et suit ainsi l’exemple de son personnage dont l’autorité s’estompe devant l’enthousiasmante perspective d’une réunification du Japon. Ce faisant, il laisse les autres protagonistes exister et prendre assez de relief pour enrichir l’intrigue, autorisant même une confrontation fort savoureuse avec Ken Watanabe (considéré à raison comme le « Robert De Niro » japonais). Autour d’eux, le réalisateur alterne images sensuelles, vues nostalgiques, séquences esthétisantes et plans percutants. Le tout orchestré par l’enveloppante musique du brillantissime Hans Zimmer (Gladiator). Plans intimistes et affrontements légendaires s’enchaînent. Zwick construit avec logique et finesse son violent réquisitoire pour culminer en une gigantesque et fastueuse bataille finale qui stigmatise le choc inégal entre deux civilisations, deux époques, deux mondes (L’Occident et L’Orient). Le message est porteur d’espoir ! La modernité peut écraser physiquement les traditions sans toutefois parvenir à les anéantir dans le cœur de ceux qu’elles inspirent. Une perspective apaisante, un spectacle exaltant.

Le Dernier Samouraï

On en sort transformé, confiant en l’Avenir du Cinéma et de l’Humanité ! Le tandem Edward Zwick / Tom Cruise signe avec Le Dernier Samouraï sa première collaboration. Une œuvre forte, captivante et grandiose qui marquera les esprits en ce début d’année et entre d’ores et déjà dans la catégorie des chefs d’œuvre du 7ème Art. A ne manquer sous aucun pretexte !!!

François Chollier

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