Tex Avery censuré : suite !
C’était prévisible : la censure appliquée aux coffrets Tex Avery et Tex Avery ne vous a pas laissé indifférents. Nous revenons aujourd’hui plus en détails sur cette affaire avec la » réponse » de Warner Home Vidéo France et la discussion que nous avons eu l’honneur d’avoir avec Patrick Brion
La censure.
C’est une triste réalité : 7 courts métrages amputés d’un ou plusieurs plans
et 2 courts métrages totalement évincés ! Mais pourquoi ? Comme nous vous l’avions
précisé dans notre précédent article, il s’agissait ici pour la
MGM de ne pas s’attirer les foudres des communautés africaines et de ne pas
risquer un procès. Il a donc été décidé de prendre les devants en éliminant
purement et simplement « Half Pint Pygmy » et « Uncle Tom’s Cabaña » et en coupant
tous les plans présentant un personnage transformé en caricature d’africain
après une explosion. Voici la liste des films censurés dans les coffrets
actuellement vendus en France :
Henpecked Hoboes
Lucky Ducky
Garden Gopher
Daredevil Droopy
Droopy’s Good Deed
Blitz Wolf comporte également des censurés : l’écriteau de la maison des
cochons qui indiquait « interdit aux japs » est maintenant peinturluré en jaune
au niveau du mot « japs » et le plan où l’un des obus des cochons coule littéralement
le Japon a totallement disparu.
Le « mal » est fait.
Mais que penser ? S’incliner devant l’éventuel vexation de personnes qui ne
comprennent plus l’humour ? Effacer définitivement ces témoignages d’un temps
dont nous sommes peu fiers ? Le débat est ouvert. Qu’en pensez-vous ? C’est la
question que nous vous posions également la semaine dernière et voici quelques
extraits du nombreux courrier que nous avons reçu :
Un dessin animé, tout comme un film, est un reflet des mentalités de
l’époque qui l’a engendré. L’édulcorer par crainte de critiques c’est faire
preuve de lâcheté. Bel exemple pour les générations futures […] Warner a jugé bon
de « nettoyer » certains dessins animés. On peut, à l’extrême limite, l’admettre.
Mais, ce que je n’admets pas c’est qu’aucun avertissement n’ait été diffusé
quant à ces coupes. Cela frise la malhonnêteté, voire l’escroquerie. Warner
savait très bien que ce coffret était ardemment attendu par tous les
admirateurs de Tex Avery. Philippe L.
Sous couvert d’évolution des moeurs on flirtait bien souvent avec
l’hypocrisie totale. J’en veut pour signe premier le mot « Nègre » qui devint
petit à petit péjoratif (il ne l’était pas au départ, pensez à la Revue
Nègre de Joséphine Baker), et donc remplacé par le mot « Noir »… qui
aujourd’hui devient péjoratif à son tour, on le remplace de plus en plus
souvent par l’anglo-saxon « black » (ça doit être moins noir, donc moins
génant…) […] je me dis que si ces DVD doivent être vus par des enfants,
autant qu’on ne leur présente pas forcément les noirs comme des bons sauvages
ou des chanteurs de blues […] Qu’on le veuille ou non, les choses
se sont passées ainsi, protéger nos enfants aujourd’hui est une chose,
dissimuler un passé peu glorieux en est une autre […] En espérant que le
MLF ne fasse pas supprimer les épisodes avec la rousse et la SPA ceux avec le
loup… Christophe A.
Vous le voyez, ce n’est évident pour personne, mais le minimum aurait été de
prévenir le consommateur.
Moins une !
Cela va vous paraître encore plus fou, mais figurez-vous que nous l’avons tout
de même échappé belle par rapport aux américains qui regardent ces films à la
télévision où la censure est encore plus importante ! Toutes les scènes « violentes »,
présentant des armes à feux ou même celles où l’on voit des cigarettes sont
censurées ! Et malgré les coupes du coffret français, il subsiste tout de même
un ou deux plans par-ci par-là de « black » ou d’asiatique qui sont impitoyablement
éliminés aux Etats-Unis. Pour la forme, voici donc la liste des rescapés qui sont
intacts dans le coffret zone 2 mais qui ont été charcutés à la télévision
américaine :
Jerky Turkey
The Hick-chick
What Price Fleadom
Little Tinker
Bad Luck Blackie
The Cuckoo Clock
The Car of Tomorrow
Magical Maestro
The TV of Tomorrow
Dixieland Droopy
The First Bad Man
A la limite, ça vaut tout de même le coup de prendre le coffret pour « sauver »
ceux-là avant la prochaine vague de censure…
La « réponse » de Warner.
Comme on peut s’en douter, elle est malheureusement plus tournée vers le
commerce que vers la culture et le fanatisme… En fait, la seule réponse
est celle-ci :
C’est le numéro de
téléphone du service consommateur de Warner Home Video France où vous pourrez
déposer vos plaintes (merci de rester calme et courtois).
Mais n’espérez pas de miracle ! Non, les coffrets ne seront pas réédités avec
les plans et films manquants. Point final. Toutes les pétitions du monde n’y
changeront rien ; il s’agit là d’une décision juridique et elle ne sera pas
remise en cause.
No comment.
L’avis de l’expert.
Cette affaire m’aura par contre amené à m’entretenir avec une légende de la
télévision française. Pour qui a découvert les Tex Avery le dimanche soir
sur FR3 et son « cinéma de minuit » dans les années 70/80, et pour qui a découvert
tout un pan du cinéma mondial grâce à ses choix et commentaires éclairés,
Patrick Brion est la voix de bon nombre de cinéphiles et le
spécialiste incontesté de Tex Avery en France (il lui a consacré un livre).
Etant l’un des ouvriers de ce coffret (il a écrit et commenté l’un des 2
documentaires du 5ème DVD du coffret collector), il était normal de lui demander
son avis sur cette affaire. Extraits.
Il est bien évidemment au courant de l’absence des deux courts métrages :
« Les deux dessins animés dont vous parlez ne peuvent plus être diffusés ni à
la télévision, ni au cinéma, ils ont été retirés complètement du catalogue par
le service légal de Warner aux Etats-Unis. ». En ce qui concerne les coupes,
« j’ai passé un coup de fil aux gens de la Warner […] quand je leur ai
parlé de coupes, ils m’ont dit qu’ils ne voyaient pas du tout comment c’était
possible puisque c’était les bandes qui étaient toujours diffusées à la
télévision […] quand on les a passé sur FR3 on partait de matériels 35mm
original ».
Ce qui fait froid dans le dos, ce sont les « méthodes » de la Warner : « quand
ils m’ont dit qu’il n’y aurait pas les deux dessins animés, j’étais vraiment
d’abort extrêmement triste, absolument scandalisé sur le principe, et ils m’ont
dit que de toute façon c’était la condition sine qua non. Et le Legal Department
de la Warner a été très très clair : si vous voulez mettre les deux dessins animés
vous ne le faites pas […] pour la Warner aujourd’hui, ces deux dessins animés
n’existent pas… on en parle pas puisqu’ils n’existent pas » vous avez dit
révisionnisme ?
Et ce n’est peut-être pas tout : « il y en a un autre qui est menacé, c’est
« Lucky Ducky » […] une organisation homosexuelle trouve que le canard a une
démarche homosexuelle et est en train de se manifester auprès de la Warner pour
dire que c’est inadmissible ».
Comme nous l’avons vu, le positionnement n’est pas chose aisée : « c’est une
arme à double tranchant […] si on prend l’aspect histoire du cinéma, c’est
inadmissible, mais si on prend un aspect société avec tout ce qui se passe
aujourd’hui, c’est plus délicat… ».
Le côté « définitif » est également inquiétant : « ce coupes sont tout de même
terribles, ce qui est grâve c’est que c’est irréversible […] dans 10 ans les
gens n’auront plus accès qu’à ces versions… ».
Alors que faire ? Boycotter ? Râler ? Tout est possible. Vous avez le numéro
de téléphone de Warner plus haut, vous pouvez vous abstenir et des pétitions
commencent à fleurir sur le Net…
Même si les décisions présentes semblent inflexibles, espérons tout de même
que toutes ces réactions apporteront plus de reflexions au sein des éditeurs.
You know what ? I’m not so happy…