La Belle équipe (1936) : le test complet du Blu-ray

Cinq ouvriers chômeurs parisiens, Jean, Charles, Raymond, Jacques et Mario, un étranger menacé d’expulsion, gagnent le gros lot de la loterie nationale. Jean a l’idée de placer cet argent en commun, dans l’achat d’un vieux lavoir de banlieue en ruine, qu’ils transformeront en riante guinguette dont ils seront les copropriétaires. Ils s’attellent à la besogne avec confiance. Mais la solidarité du groupe est fragile… Le destin s’acharne sur eux. Bientôt, il ne reste plus de la joyeuse équipe que Charles et Jean qui sont amoureux de la même femme, Gina…

Du lundi jusqu’au sam’di, 

Pour gagner des radis,
Quand on a fait sans entrain

Son p’tit truc quotidien,

Subi le propriétaire,

L’percepteur, la boulangère,

Et trimballé sa vie d’chien,
Le dimanch’ viv’ment
On file à Nogent,

Alors brusquement

Tout paraît charmant ! …


Quand on s’promène au bord de l’eau,

Comm’ tout est beau…
Quel renouveau…

Paris au loin nous semble une prison,

On a le coeur plein de chansons.

L’odeur des fleurs
Nous met tout à l’envers

Et le bonheur

Nous soûle pour pas cher.

Chagrins et peines
De la semaine,

Tout est noyé dans le bleu, dans le vert…

Un seul dimanche au bord de l’eau,

Aux trémolos

Des p’tits oiseaux,
Suffit pour que tous les jours semblent beaux

Quand on s’promène au bord de l’eau…

Avec La Belle équipe, le cinéaste Julien Duvivier (1896-1967) signe un de ses films les plus populaires - même si le film n’a pas été un succès à sa sortie - aux côtés de Pépé le Moko, Le Petit monde de Don Camillo et Voici le temps des assassins. En 1934, il rencontre Jean Gabin avec qui il collabore pour la première fois dans Marie Chapdelaine. Une amitié naît entre les deux hommes. Après Golgotha et La Bandera, tous deux réalisés en 1935, Gabin et Duvivier se retrouvent pour La Belle équipe, le quatrième sur les sept films qu’ils tourneront ensemble.

Le réalisateur est alors au top de sa carrière alors que Gabin âgé de 32 ans, n’en qu’au début de la sienne. A ses côtés, Charles Vanel, Raymond Aimos, Viviane Romance, Fernand Charpin complètent le casting. Sur un scénario coécrit avec Charles Spaak, Julien Duvivier raconte l’histoire de cinq amis, ouvriers au chômage, qui se retrouvent souvent la nuit dans un bistrot de Paris ou dans une piaule pour jouer à la belote en regardant les jours et les semaines passer. Le quotidien est difficile, mais l’union fait la force et l’amitié fait oublier les tracas. Jusqu’au jour où ils apprennent qu’ils ont gagné le gros lot à la loterie, 20.000 francs chacun. Ayant tous misé la même somme sur un billet acheté en commun, l’avenir semble enfin leur sourire. Après avoir acheté une nouvelle paire de chaussures, ils se demandent ensuite ce qu’ils vont faire de leur argent. Jeannot (Jean Gabin) a alors une idée de génie : ils vont s’associer, construire et ouvrir une guinguette sur les bords de Marne, devenir leurs propres patrons, pour pouvoir enfin profiter de la vie sans se soucier du lendemain.

«  Cette camaraderie qu’il y avait entre nous, c’était…j’sais pas…c’était comme une odeur de pain…  » Jeannot (Jean Gabin) dans La Belle équipe.

Mais c’était sans compter sur la présence envahissante de Gina (Viviane Romance) l’ex-femme de Charles (Charles Vanel), bien décidée à avoir sa part et qui pour cela ne va pas hésiter à jouer de ses charmes et s’interposer en mettant le grappin sur Jeannot. Semer la zizanie, mettre fin aux rêves communs, par appât du gain… ou quand l’amour rend aveugle. La Belle équipe demeure une oeuvre majeure et un titre phare dans la carrière de Julien Duvivier. Les acteurs, emmenés par un Gabin sublime entre force et sensibilité à fleur de peau, sont tous formidables et attachants. Très vite, les personnalités se détachent, chaque comédien a sa partition à jouer dans cette ballade sur le destin placé sous le signe de la mauvaise étoile. La mise en scène est inspirée, moderne, vivante, les décors naturels superbes, tout est fait pour faire ressentir le bonheur et une nouvelle vie qui s’offre aux cinq camarades, jusqu’à ce que la fatalité les rattrape. Le paradis semble accessible, surtout quand Gabin entonne la célèbre chanson Quand on s’promène au bord de l’eau, le soleil tape sur la Marne, les premiers invités dansent, l’été semble en avance. Mais cela ne sera que de courte durée. Le rêve va alors virer au cauchemar.

La Belle équipe demeure également célèbre pour ses deux fins tournées. La version originale, souhaitée par Julien Duvivier et Charles Spaak est noire et pessimiste. Elle montre Jeannot tuer Charles qui l’envoie balader, l’accuse de tous les problèmes et se prépare à partir avec Gina, qui a réussi à retourner la situation à son avantage. Perdant la tête, Jeannot sort son pistolet et lui tire dessus à bout portant. La panique s’empare des invités qui s’enfuient en courant. La gendarmerie arrive ensuite, tandis que Jeannot, assis sur une chaise sur le regard perdu, n’arrête pas de dire «  C’était pourtant une belle idée  ». Il est emmené par le gendarme Antomarchi, tandis que le carillon se met à sonner dans la salle devenue déserte dès son jour d’inauguration.

Devant son rejet de la part des premiers spectateurs et des producteurs au temps des prémices du Front Populaire, une autre fin, optimiste cette fois, est imposée au metteur en scène et tournée par Duvivier lui-même où l’amitié triomphe entre Jeannot et Charles. Les deux fins sont ensuite proposées à un panel de spectateurs - une des premières projections tests de l’histoire du cinéma - qui plébiscitent la fin heureuse. Pour le réalisateur, cette fin - exploitée lors de sa sortie dans les salles en septembre 1936 - ridiculise tout le film et regrette amèrement d’avoir dû la tourner. Aujourd’hui, les deux fins sont visibles, mais la première filmée reste conforme aux souhaits de Julien Duvivier. 


Le test du Blu-ray de La Belle équipe a été réalisé à partir d’un check-disc. Le Blu-ray et le DVD reposent dans un Digipack dans la collection Version restaurée par Pathé, glissé dans un fourreau cartonné. Le menu principal est très élégant, animé et musical.

Cette édition propose un documentaire intitulé Au fil de l’eau, l’histoire de La Belle Equipe (21’), composé d’entretiens avec Eric Bonnefille (auteur de Julien Duvivier - Le mal aimant du cinéma français), Hubert Niogret (auteur de Julien Duvivier - 50 ans de cinéma), et des interviews d’archives avec Charles Spaak (scénariste), Viviane Romance (comédienne) et Armand Panigel (producteur de l’émission « Au cinéma ce soir  »). Réalisé par Jérôme Wybon, ce petit documentaire compile les propos des intervenants sur un rythme soutenu. Un carton placé en introduction indique que des éléments sur le film, notamment la fin, ou plutôt les deux fins, sont dévoilés et abordés. La Belle équipe est replacé dans la carrière de Julien Duvivier, le casting est passé au peigne fin, mais c’est surtout le contexte historique et politique qui est largement abordé puisque l’avènement du Front Populaire aura eu raison de la fin pessimiste du film initialement prévue par Duvivier et son coscénariste Charles Spaak.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce restaurée.

Dans la continuité du plan de restauration de son catalogue, Pathé propose de (re)découvrir des classiques du cinéma français dans de très belles éditions DVD et Blu-ray restaurées. Après sa ressortie en salles en avril 2016, La Belle équipe est enfin disponible dans les bacs. Après plus de quinze années de conflits avec d’un côté le fils de Julien Duvivier et la veuve de Charles Spaak, et de l’autre l’éditeur René Château qui exploitait sans autorisation La Belle équipe en DVD avec sa fin optimiste, ce dernier a été condamné à verser une somme importante aux ayants droit des films du cinéaste. Aujourd’hui, La Belle équipe est enfin disponible en Blu-ray, DVD et dans les salles dans sa version originale. Le film a été restauré en 4K à partir du négatif image et son optique nitrate (élément Christian Duvivier/Pathé), d’un marron et d’un contretype nitrate de la Cineteca Nazionale de Rome, au laboratoire L’Immagine Ritrovata, sous le contrôle de Pathé et de Christian Duvivier. La restauration a été menée avec la participation du CNC.

Avec son format respecté et une compression AVC, ce Blu-ray au format 1080p permet enfin de (re)voir La Belle équipe dans une superbe copie. La restauration est étincelante, les contrastes d’une densité impressionnante, la copie est stable, les gris riches, les blancs lumineux, la profondeur de champ évidente et le grain original heureusement préservé. Les séquences sombres sont tout aussi soignées que les scènes diurnes (voir la séquence de l’orage), le piqué est parfois joliment acéré pour un film des années 1930 et les détails étonnent parfois par leur précision, surtout sur les gros plans. Toutefois, quelques légers flous sporadiques font parfois une apparition remarquée et quelques séquences paraissent plus douces avec de sensibles décrochages sur les fondus enchaînés. La définition de la dernière scène est plus faible et lui donne un aspect «  rattaché  » à l’ensemble. Ce qui est d’ailleurs le cas.

Comme pour les autres titres prestigieux de son catalogue, Pathé est aux petits soins avec le film de Julien Duvivier puisque la piste mono bénéficie d’un encodage en DTS HD-Master Audio. Si quelques saturations demeurent inévitables surtout sur les quelques dialogues aigus et les chansons, l’écoute se révèle fluide, limpide et surtout saisissante. Aucun craquement ou souffle intempestifs ne viennent perturber l’oreille des spectateurs et les échanges sont clairs.

Les sous-titres destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles. Les sous-titres anglais et français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles, ainsi qu’une piste Audiovision.

Crédits images : © Pathé