La Comtesse aux pieds nus (1954) : le test complet du Blu-ray

The Barefoot Contessa

Édition Coffret Ultra Collector - Blu-ray + DVD + Livre

Réalisé par Joseph L. Mankiewicz
Avec Humphrey Bogart, Ava Gardner et Edmond O'Brien

Édité par Carlotta Films

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Le 12/12/2022
Critique

Ce film à part dans l’oeuvre de Joseph L. Mankiewicz nous revient enfin dans une version restaurée et complété par des bonus de qualité.

La Comtesse aux pieds nus

C’est sous la pluie, dans un cimetière italien, que le réalisateur hollywoodien Harry Dawes assiste à l’enterrement de la comtesse Torlato-Favrini. Il se remémore sa première rencontre avec la défunte. Elle n’était pas encore comtesse, ni star de cinéma, juste Maria Vargas, danseuse ensorcelante et sauvage d’un cabaret madrilène…

La Comtesse aux pieds nus (The Barefoot Contessa), sorti en 1954, le treizième des 22 films réalisés par Joseph L. Mankiewicz de 1946 à 1972, fut mieux reçu en France qu’aux USA. Il faudra quelques années pour que la critique réévalue son appréciation du film outre-Atlantique bien que son scénario original ait été nommé aux Oscars.

Il raconte une histoire insolite, une sorte de contretype du conte de Cendrillon (la Cenicienta des souvenirs d’enfance de Maria à Madrid), combinée à une mise en abyme de l’univers hollywoodien et de ses moeurs. Un film qui s’imprime dans la mémoire du cinéphile pour la qualité de sa mise en scène et la beauté de la photographie de Jack Cardiff, un grand chef-opérateur, doublé d’un cinéaste dont le talent a été reconnu par l’attribution de la Palme d’or à Amants et fils (Sons and Lovers) qu’il réalisa en 1960.

The script has to make sense. The life doesn’t.

L’impact des dialogues est un autre atout du film. Joseph L. Mankiewicz a fait de l’écriture une de ses spécialités qu’il a mise au service de la plupart de ses films, mais aussi de ceux d’autres réalisateurs. Parmi les 70 scénarios qu’il a signés ou cosignés, on relève surtout ceux de L’Ennemi public n°1 (Manhattan Melodrama, W.S. Van Dyke, 1934), Trois camarades (Three Comrades, Frank Borzage, 1938), Les Clés du royaume (The Keys of the Kingdom, John M. Stahl).

La Comtesse aux pieds nus n’atteint pas la perfection du chef-d’oeuvre absolu du réalisateur, Eve (All About Eve, 1950), salué par six Oscars, dont ceux du meilleur film (accordé à Darryl F. Zanuck), du meilleur réalisateur et du meilleur scénario. La renommée qu’en tira Mankiewicz lui permit de s’imposer face aux studios, sans pour autant le dissuader de créer sa propre société de production, Figaro Inc., pour renforcer son indépendance. Il a pourtant dû composer avec les producteurs et la censure : alors que l’histoire originale faisait du comte Vincenzo Torlato-Favrini un homosexuel, le scénario explique le fait qu’il ne pouvait pas consommer son union avec Maria par une blessure de guerre qui l’aurait laissé impuissant.

La Comtesse aux pieds nus

Humphrey Bogart, servi par des dialogues percutants, tient dans La Comtesse aux pieds nus un de ses meilleurs rôles, qu’on dirait fait sur mesure, celui d’un cinéaste blasé, cynique, rôdé aux arcanes des studios. De plus, il commente en voice over une grande partie de l’histoire. Ava Gardner, qui venait d’être nommée aux Oscars pour Mogambo (John Ford, 1953), rayonnante de sensualité, allait, dix ans plus tard, donner toute la mesure de son talent dans La Nuit de l’iguane (The Night of the Iguana, John Huston, 1964).

Au milieu d’une distribution où figurent de nombreux Italiens (Rossano Brazzi, Valentina Cortese, Franco Interlenghi…), Edmond O’Brien remporte, pour sa composition d’Oscar Muldoon, l’homme des relations publiques d’un studio, l’Oscar du meilleur second rôle. Figure connue du cinéma américain, il inscrit dès 1939 son nom au générique de Quasimodo (The Hunchback of Notre Dame, William Dieterle) avant de tenir quelques 120 rôles sur le grand ou le petit écran. On compte, parmi ses meilleures prestations, Les Tueurs (The Killers, Robert Siodmak, 1946), L’Homme qui tua Liberty Valance (The Man Who Killed Liberty Valance, John Ford, 1962), Sept jours en mai (Seven Days in May, John Frankenheimer, 1964), La Horde sauvage (The Wild Bunch, Sam Peckinpah, 1969)…

Tous les films de Joseph L. Mankiewicz ont été édités en vidéo en France, à trois exceptions près : Un mariage à Boston (The Late George Apley, 1947), une comédie romantique, L’Évadé de Dartmoor (Escape, 1948), un film noir, et Carol for Another Chistmas (1964), un drame fantastique, son seul téléfilm.

La Comtesse aux pieds nus, absent de nos catalogues depuis l’épuisement du DVD MGM, sorti en 2006 avec une médiocre qualité technique et sans bonus, nous revient en haute définition dans une belle édition, limitée à 2 000 exemplaires, sous le numéro 24 de la remarquable collection des Coffrets Ultra Collector lancée par Carlotta Films en 2015. Il suit Retour (Coming Home, Hal Asby, 1978).

La Comtesse aux pieds nus

Présentation - 5,0 / 5

La Comtesse aux pieds nus (130 minutes) et ses suppléments (83 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50 et, dans cette édition combo, sur un DVD-9 (avec une partie des suppléments). Les deux disques sont logés dans les couvertures d’un livre de 160 pages, glissé dans un épais cartonnage décoré d’un visuel exclusif d’Anne Benjamin, repris pour le menu.

Le menu sonore et musical propose le film dans sa version originale, en anglais, avec sous-titres optionnels, et le choix entre deux formats audio, DTS-HD Master Audio 1.0 et 5.1. Un doublage en français est proposé au format audio DTS-HD MA 1.0.

Le livre de 160 pages, abondamment illustré, intitulé Mankiewicz contre Cendrillon, est un ouvrage collectif signé par l’équipe de Revus & Corrigés, magazine trimestriel de cinéma créé en 2018. Il est divisé en six chapitres. 1. La genèse de La Comtesse aux pieds nus, par Céline Staskiewicz, va plus loin que son titre ne peut le laisser supposer, jusqu’à la réception du film, « adulé en France, moqué aux USA », en passant par l’écriture du scénario, le casting et le tournage avec un Humphrey Bogart bougon. 2. Le cristal cassé du classicisme : La Comtesse aux pieds nus dans l’oeuvre de Joseph. L. Mankiewicz, par Alexandre Piletitch, relève l’idée du mépris présente dans les films de Mankiewicz, « autant de tribunaux citant à comparaître ceux qui, parmi les hommes, étaient dignes de son estime ». 3. L’amer Méditerranée, géographie du faux-semblant dans La Comtesse aux pieds nus, par Alicia Arpaïa, suit les étapes du « chemin de croix » de Maria Vargas telles que les voit le cinéaste, avec un regard critique sur la Riviera et sa jet-set, « un mirage dans ce monde ». 4. La Comtesse aux pieds nus, conte d’un paradis perdu, par Elsa Colombani, souligne que « Mankiewicz reprend les codes du conte de fées et les déstructure » et donne à « la grande faucheuse un rôle primordial ». 5. Rita, Ava, Anne, Linda et les autres : les 1 000 visages de Maria Vargas, par Pierre Charpilloz, part à la recherche de qui a inspiré le personnage de Maria Vargas parmi « les personnalités féminines qui ont traversé l’histoire de Hollywood ». 6. Les hommes de la Comtesse, par Marc Moquin, passe en revue les personnages masculins, le réalisateur Harry Dawes, Oscar Muldoon, l’homme des relations publiques… figures d’un monde qui « commençait à présenter quelques fêlures », et le comte Torlato-Favrini, « le prince charmant et l’impuissant ». Le livre se referme sur La Comtesse aux pieds nus dans les Cahiers du Cinéma, le regard sur le film de ceux qui l’ont perçu comme « une oeuvre assez complexe et déroutante », Jacques Doniol-Valcroze, François Truffaut et Claude Chabrol.

Sont aussi disponibles, deux éditions single, sans le livre, l’une sur Blu-ray, avec tous les bonus vidéo, l’autre sur DVD, avec le seul bonus exclusif de 29 minutes.

La Comtesse aux pieds nus

Bonus - 5,0 / 5

Conte défait (29’, Allerton Films, 2022). Samuel Blumenfeld, critique de cinéma au journal Le Monde, rappelle que La Comtesse aux pieds nus était destiné à être un roman, ce que confirme la place importante donnée par le scénario à la voice over qui commente toute l’histoire. Il réalise le film après le tournage très difficile de Jules César, à un moment où il supporte de moins en moins bien de se plier aux convenances du système de Hollywood, qu’il perçoit comme « un monde dans lequel on ne perdure pas longtemps (…) faute de pouvoir préserver sa liberté ». Pour maintenir son indépendance, Mankiewicz quitte MGM et fait produire son film par United Artists et choisit beaucoup d’acteurs européens ». Il choisit, pour interpréter un personnage à la sexualité réprimée, une actrice sensuelle, Ava Gardner, ouvertement connue pour ses multiples liaisons amoureuses. La Comtesse aux pieds nus était, dans les années 50, un « parti-pris gonflé » en donnant, de plus, une vision pessimiste d’un Hollywood en déclin, utilisant des stars pour promouvoir des films médiocres, une vue que reprendra Vincente Minnelli huit ans plus tard dans Quinze jours ailleurs (Two Weeks in Another Town). Il y a « trois couches » dans le parcours de Maria : « le demi-monde hollywoodien, le monde des milliardaires, et le monde de l’aristocratie européenne, des riches de droit divin (…) que Mankiewicz voit comme des dégénérés ». Le cinéaste yiddish Michal Waszynski (Le Dibbouk / Der Dibuk, 1937), coproducteur réfugié en Italie de La Comtesse aux pieds nus, s’était inventé un personnage de prince polonais en exil. C’est lui qui a permis au réalisateur d’entrer dans ce monde qu’il a dépeint avec tant de réalisme.

La Comtesse aux pieds nus

Ciné-regards : Joseph L. Mankiewicz (52’), une interview du cinéaste réalisée par Jean Douchet pour le magazine télévisé diffusé le 17 octobre 1981. L’arrivée du cinéma parlant a créé le besoin d’écrivains pour une toute nouvelle forme d’écriture, l’adaptation « créative » de l’oeuvre d’un autre écrivain, pour laquelle ils seront payés, même si le travail est mauvais ou reste inexploité. Il dit ne pas écrire des dialogues, mais la réalité, « des scènes de conflits entre des êtres humains ». S’il apparaît dans l’histoire littéraire, ce sera dans une note en bas de page comme le producteur ayant osé faire réécrire les dialogues de F. Scott Fitzgerald ou le roman Trois camarades d’Erich Maria Remarque. En tant que réalisateur, il n’utilise pas la caméra pour séduire la critique, mais pour « ponctuer dramatiquement » sur l’écran ce qu’il souhaite communiquer au spectateur, « le meilleur film étant celui qui n’apparaît pas avoir été réalisé, été manipulé ». Sur la direction d’acteurs, il cite deux fameuses saillies sur leur célébrité : « Esther Williams est-elle une star ? - Oui, quand elle est mouillée ! ». Quant à Gary Cooper : « Grand chapeau, grande star, petit chapeau, plus de star ! ». Cary Grant aurait été un meilleur acteur s’il n’avait pas cherché à le montrer, alors qu’il était « l’essence-même du bonheur (…) de la vie (…) qu’il était impossible de l’imaginer mort ». Il a dû lutter avec Katharine Hepburn pour lui rappeler qu’il choisissait seul les prises à retenir de Soudain l’été dernier (Suddenly, Last Summer, 1959) qu’il estime être son meilleur film et celui dans lequel Elizabeth Taylor exerça, pour la dernière fois, son « talent primitif », avant le « cirque » de Cléopâtre, un an plus tard. Sa bataille de deux mois contre Darryl F. Zanuck pour imposer Bette Davis, Anne Baxter et George Sanders dans la distribution de Eve l’a convaincu d’imposer ses choix d’acteurs ayant les dispositions naturelles, l’intelligence et la compréhension du personnage. Joseph L. Mankiewicz évoque ensuite la chasse aux sorcières déclenchée par la crainte d’une supposée attaque communiste, née au début des années 50 dans « l’esprit dérangé » de Joseph McCarthy. C’est en débarquant du Liberté à New York qu’il apprit que la Directors Guild of America, dont il était le président, avait approuvé à la quasi-unanimité une résolution prévoyant que personne ne pouvait en rester membre sans signer un serment assurant qu’il n’était pas communiste. Vingt-cinq jeunes réalisateurs soutinrent son idée de convoquer une assemblée générale de la Guild. Il rend compte avec émotion de cette assemblée qui réunit 600 réalisateurs et à laquelle furent invités des assistants-réalisateurs, conduits par Robert Aldrich. John Ford, suivi par John Huston et George Stevens, soumirent à l’assemblée une résolution, largement adoptée, prévoyant la dissolution du conseil d’administration et lui conférant l’administration provisoire de la Guild.

Bande-annonce (1’50”), recadrée à 1.33:1.

La Comtesse aux pieds nus

Image - 4,0 / 5

L’image (1.85:1, 1080p, AVC), issue du master utilisé pour l’édition Twilight Time sortie en 2017 aux USA, reste affectée par d’occasionnels et très fins liserés verts dus à de légers décalages de superposition des trois pellicules du Technicolor trichrome, visibles par exemple sur le profil d’Ava Gardner à 104’25”. Lumineuse, fermement contrastée avec des noirs particulièrement denses, assez stable, plutôt bien débarrassée des marques du temps, elle déploie des couleurs ravivées agréablement étalonnées, bien que les visages tendent à prendre une teinte un peu rouge dans quelques prises où ils sont moins éclairés. Un affinement du grain aurait pu améliorer le piqué, sans dénaturer la texture du 35 mm.

Son - 5,0 / 5

Un choix est offert entre la mono d’origine, au format DTS-HD Master Audio 1.0 et un remixage 5.1. Les deux restituent très clairement les dialogues et avec finesse l’accompagnement musical, dans un bon équilibre avec l’ambiance. Le remixage multicanal apporte un plus en replaçant les dialogues là où se situent les personnages, dans le champ ou hors-champ, à côté ou derrière le spectateur.

Le doublage en français, au timbre étriqué dans une bande passante étroite, moins propre, met les dialogues trop en avant, au détriment de l’ambiance et de l’accompagnement musical. Il n’a pas été pris en compte pour l’attribution de la note.

Crédits images : © 1954 METRO-GOLDWYN-MAYER STUDIOS INC. Tous droits réservés.

Configuration de test
  • Vidéo projecteur SONY VPL-VW790ES
  • Sony UBP-X800M2
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • Diagonale image 275 cm
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Philippe Gautreau
Le 13 décembre 2022
La Comtesse aux pieds nus, absent de nos catalogues depuis l’épuisement du DVD MGM sorti en 2006 avec une médiocre qualité technique et sans bonus, nous revient en haute définition dans une belle édition, limitée à 2 000 exemplaires, sous le numéro 24 de la remarquable collection des Coffrets Ultra Collector lancée par Carlotta Films en 2015.

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