La Croisière jaune (1934) : le test complet du Blu-ray

Encore inédit en vidéo, le film restauré de l’intrépide expédition et le minutieux journal du réalisateur. Un précieux objet de collection !

Financée par André Citroën, l’expédition, appelée « Mission Citroën Centre-Asie », doit relier Beyrouth à Pékin en véhicules autochenilles. Un premier groupe, Pamir, dirigé par Georges-Marie Haardt quitte le Liban le 4 avril 1931, et doit retrouver à mi-chemin le groupe Chine parti de Pékin et dirigé par Audouin-Dubreuil. Filmée par André Sauvage, cette extraordinaire épopée, à la fois aventureuse, scientifique et promotionnelle, a permis de suivre les péripéties d’une expédition qui fut longue et difficile et de découvrir les pays traversés comme l’Iran, l’Inde, la Chine, la diversité des paysages, des hommes et des cultures au fil des 30 000 km d’un trajet empruntant en partie la route de la soie.

La Croisière jaune, le documentaire sorti dans les salles en 1934, est constitué des prises de vues en 35 mm faites par une petite équipe dirigée par André Sauvage, choisi par Pathé-Natan, auteur d’Études sur Paris (1928), un documentaire sorti sur DVD par Carlotta Films avec, en supplément, une bonne partie des quelques oeuvres du cinéaste à avoir été sauvegardées. À la demande d’André Citroën, peu satisfait du premier montage, la responsabilité du film fut transférée à Léon Poirier, réalisateur en 1926 de la première « mission » d’André Citroën, La Croisière noire, dont on se souvient surtout aujourd’hui pour Verdun, visions d’histoire (1931), un remake parlant de Verdun, visions d’histoire (1926).

Blessé d’avoir été dépossédé d’une oeuvre dans la réalisation de laquelle il s’était investi pendant trois ans, le générique laissant supposer que le film avait été réalisé par Léon Poirier, André Sauvage (1891-1975) mit fin à sa carrière de réalisateur dès 1932 en se retirant dans une grande ferme à Boutigny, dans la Beauce.

La Croisière jaune, c’est le récit d’une téméraire expédition entreprise par 43 hommes soumis, à bord de 14 autochenilles, à plusieurs épreuves : le franchissement de l’Himalaya par le col de Kilik à 5 200 m recouvert d’une épaisse couche de neige, des inondations, des tempêtes de sable, un froid intense, la traversée de torrents nécessitant le démontage et remontage des véhicules… Et, pour le groupe Chine, l’aventure se déroula dans un contexte politique instable : en pleine guerre civile, il fut retenu prisonnier dans le Xinjiang.

La Croisière jaune, en dépit de la grandiloquence et de la diction compassée du commentaire (rappelant ceux des actualités filmées jusqu’aux années 50), conserve un double intérêt. Celui de rappeler les difficultés de l’aventure, avec quelques scènes impressionnantes, en particulier celle du passage des autochenilles au-dessus d’un précipice, sur une étroite corniche à demi éboulée. Et aussi celui d’un précieux témoignage d’us et coutumes, de chants et de danses, de costumes, d’ouvrages architecturaux… aujourd’hui disparus.

Cette première sortie en vidéo du film d’André Sauvage, après une restauration 2K opérée par Hiventy à partir d’un positif nitrate conservé par la Cinémathèque Française, est un des événements éditoriaux marquants de l’année 2022, richement célébré par Carlotta Films avec l’édition exclusive d’un livre de 396 pages.

La Croisière jaune (98 minutes) et ses suppléments (214 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50 et un DVD-9 fixés à l’intérieur des épaisses couvertures d’un livre de 396 pages au format 23,5 x 21,3 cm. Les deux disques sont autrement mieux tenus par des picots en plastique que le Blu-ray du livre au même format, Along for the Ride, un précieux documentaire sur Dennis Hopper, proposé en octobre 2022 par Carlotta Films.

Le livre de 396 pages, après deux courtes introductions, Chronique d’une histoire mouvementée par Éric Le Roy, La Croisière jaune vue par André Sauvage par Béatrice de Pastre et un cahier de 24 pages de photos, ouvre le journal de voyage de La Croisière jaune, le recueil, encore inédit, des lettres que le réalisateur envoyait à son épouse Alice : le récit de l’expédition et de ses péripéties, de ses rencontres… à quoi s’ajoutent quelques pensées philosophiques, des notes d’humour et des mots doux (de nombreuses lettres adressées à « mon petit chou » sont signées « ton sauvage »). On y trouve aussi, dans une typographie distincte, l’échange de correspondance avec Pathé-Natan sur des problèmes techniques et la reproduction de six mots écrits à ses enfants Agnès et Antoine sur des images de personnages du théâtre chinois trouvées dans des paquets de cigarettes. Le livre se referme avec une revue de presse sur 16 pages contenant quelques condamnations de la violation des droits d’auteur d’Angré Sauvage, puis avec la fiche technique et le synopsis des films proposés dans la présente édition et une bibliographie sélective (24 références). Passionnant !

Sont aussi disponibles deux éditions sans le livre, l’une sur Blu-ray, l’autre sur DVD, avec les suppléments vidéo listés ci-dessous.

Sur le seul Blu-ray :

L’autre Croisière jaune (109’, sans sonorisation). Ce montage de trois boîtes de positifs permet de voir le film tel qu’André Sauvage aurait pu le terminer en révélant d’intéressantes séquences coupées du montage final, dont l’état de conservation souligne le défi relevé par les équipes de restauration.

Sur le Blu-ray et le DVD :

Complétant le montage de 1934, au prix de redites, suivent plusieurs montages, restaurés par L’Image Retrouvée après numérisation 2K de bobines 35 mm de la Mission André Citroën Centre-Asie qu’André Sauvage avait déposées en 1975 au CNC :

Dans la brousse annamite (25’) un montage effectué par Léon Poirier de prises en pays Moï sur le chemin du retour vers Europe, au terme de La Croisière jaune.

L’Afghanistan (14’), un montage de Géo Kelber en 1938, avec ses chants et danses peut-être perdus, de curieux moulins à vent et les Bouddhas de Bâmiyân taillés dans la paroi d’une falaise il y a plus de quinze siècles et détruits en février 2001 par d’incultes imbéciles.

La Perse (13’), un montage de Géo Kelber en 1938. Avec, notamment, la découverte de bas-reliefs témoins du raffinement de la dynastie achéménide, cinq siècles avant notre ère.

Images indochinoises (18’), montage de 1938 par Les Films J. de Cavaignac, avec la baie d’Along, le delta du Fleuve Rouge, Hué, la ville impériale, et le pays Moï.

La Croisière jaune, version courte (18’), montage de Albert Radenac en 1971.

Puis, restaurés par L’Image Retrouvée pour le CNC :

Vues du Bois-des-Prés, un été 1977 (9’, 1.37:1, couleurs, non sonorisé), prises à Boutigny, dans l’Eure-et-Loir, où André Sauvage s’était retiré, avec une moissonneuse-batteuse en action.

Chez André Sauvage, peintre, musicien, écrivain (8’, 1.37:1, 1977, couleurs, non sonorisé). Un chevalet, des tableaux accrochés au mur, un piano droit, des partitions de chansons dans une grande pièce mansardée et son reflet déformé sur un globe de verre fixé au plafond, puis un salon bleu avec d’autres toiles.

L’image (1080p, AVC), au ratio d’origine 1.37:1 avec les angles arrondis, comparée à celle des plans non restaurés du supplément L’autre Croisière jaune, a été miraculeusement restaurée. Il reste quelques instabilités et quelques légères marques de dégradation de la pellicule, surtout des fines rayures noires, mais rien qui altère sérieusement le confort du visionnage, renforcé par des contrastes fermes et un dégradé de gris bien étalonné.

Le son DTS-HD Master Audio 1.0, soigneusement nettoyé, garantit la clarté du commentaire et donne une bonne présence à l’ambiance, dans une bande passante inévitablement concentrée dans le medium. Un résultat dépassant les espérances en raison des difficultés d’enregistrement et de synchronisation du son direct dans les premières années du parlant et des conditions spartiates de tournage avec un matériel léger.

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