La Trilogie du vice - L'Étrange Vice de Madame Wardh + Toutes les couleurs du vice + Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé (1971) : le test complet du Blu-ray

Tutti i colori del buio + Lo strano vizio della Signora Wardh + Il tuo vizio è una stanza chiusa e solo io ne ho la chiave

Blu-ray + DVD + Livre

Réalisé par Sergio Martino
Avec George Hilton, Edwige Fenech et Ivan Rassimov

Édité par Artus Films

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Le 11/06/2024
Critique

Trois « gialli » italiens du début des années 1970, alliant film noir policier, érotisme et fantastique.

La Trilogie du Vice

L’étrange vice de madame Wardh (Lo stranio vizio della signora Wardh, Ital.-Esp., février 1971) de Sergio Martino : Vienne, Autriche 1971. Alors que son époux et elle s’installent à Vienne, un sadique y assassine des prostituées et Jean, un pervers avec qui elle a entretenu durant deux ans une relation sado-masochiste depuis rompue, réapparaît : peut-être est-ce l’un des deux qui la menace puis l’agresse une nuit mais lequel ? La police, son époux, son nouvel amant tentent tous trois de la rassurer mais en vain car les menaces continuent. Qui veut la tuer et surtout, pourquoi ?

Lorsque Sergio Martino réalise ce titre en 1971, le « giallo » existe depuis presque quinze ans (le Riccardo Freda de 1956) ou dix ans (le Mario Bava de 1962), selon qu’on adopte l’une des deux datations relatives à l’origine nationale de cette catégorie hybride du film noir policier. Hybride car le « giallo » est un savant mélange de cinéma policier, fantastique et, à partir de la fin des années 1960, de plus en plus érotique. Catégorie qui, à vrai dire, n’est absolument pas née (ni esthétiquement ni thématiquement) en Italie mais en Allemagne, en Angleterre et aux USA avec les films classiques consacrés à Jack l’éventreur de 1926 (GB, Alfred Hitchcock) à 1965 (GB, James Hill) sans oublier l’admirable variation de la Hammer Films en 1971 (GB, Peter Sasdy). On peut ajouter aussi, concernant le « giallo » italien, l’influence allemande de certains titres produits en 1960-1970 en RFA par la CCC d’Arthur Brauner et la Rialto Films de Horst Wendlandt et Preben Philipsen, mis en scène par des artisans aussi intéressants qu’Harald Reinl et Alfred Vohrer.

Edwige Fenech, actrice française d’origine mais dont la carrière fut essentiellement italienne, avait déjà joué un important second rôle dans l’un des meilleurs « gialli » de Mario Bava en 1969 et avait auparavant incarné bien des personnages, y compris l’héroïne de Gustave Flaubert dans Les Folles nuits de la Bovary. (All. 1969). Cette trilogie Sergio Martino est aussi une trilogie Edwige Fenech. Cela aurait dû être une tétralogie si l’actrice devenue enceinte n’avait pas dû être remplacée par Anita Strindberg dans La Queue du scorpion (Ital. 1971) de Sergio Martino.

L’étrange vice de madame Wardh illustre bien la manière dont cette catégorie du genre film noir policier évoluait au tournant de 1970 : l’intrigue policière ne suffit plus et elle n’a, d’ailleurs, jamais vraiment suffi. Les scénarios y introduisaient (dès 1956 concernant Freda et dès 1962 concernant Bava) érotisme et fantastique afin de jouer sur trois tableaux commerciaux à la fois : Martino augmente la dose d’érotisme mais maintient la tripartition générique initiale du mélange. La citation freudienne - provenant de Considérations sur la guerre et sur la mort (1915) recueillies par la suite in S. Freud, Essais de psychanalyse (traduction française par S. Jankélévitch, édition Bibliothèque scientifique Payot, Paris 1927) - insérée par le scénariste Ernesto Gastaldi après le premier meurtre lui confère, en outre, un certain cachet intellectuel revendiqué. Quelque part, les 5 « gialli » signés par Martino en 1971-1973 sont déjà des « sur-gialli » au sens où André Bazin parlait de « sur-westerns » à propos de certains titres des années 1950 : ils ne se contentent pas d’honorer le genre mais jouent ouvertement avec ses éléments, d’une manière ouvertement référentielle et réfléchissante (au sens mi-esthétique mi-philosophique de ce terme chez G.W.F. Hegel tel qu’on le traduit en français). Cette décadence esthétique et thématique très concertée (les classiques avaient déjà été signés par Freda et Bava durant la période 1960-1970 à laquelle il faut évidemment rajouter La Baie sanglante de Bava en 1971) n’est pas inintéressante ni dénuée de charme, à commencer par celui de sa vedette féminine : l’ouverture nocturne, l’attaque dans le parking, les souvenirs et / ou les fantasmes sado-masochistes de l’héroïne sont autant de moments où Martino renonce au jeu et retrouve une sorte de naïveté générique primaire et primordiale. Les effets esthétiques de grand angle, de profondeur de champs ne sont plus des éléments authentiques de style (comme ils l’étaient chez Bava en 1969) mais des effets de mode qu’il se sent tenu de reprendre : il faut, en revanche, retenir la manière directe, efficace, à l’occasion puissante, par laquelle il instaure une tension, un sens de l’insolite voire du fantastique le plus sincère, avec les moyens les plus économes. Bien sûr, il illustre des séquences conçues par le vieux routier Ernesto Gastaldi mais il fait souvent mieux que de les illustrer : il les anime souvent d’une vie autonome.

L’étrange vice de madame Wardh avait eu les honneurs d’être édité en France sous forme de roman-photos (aux images N&B et non pas en couleurs, recadrées en plein cadre 1.37 et non pas en Scope original 2.35) dans la collection PhotoScandale (soldés boulevard saint Michel à Paris par la librairie Joseph Gibert sur des tables occupant de vastes espaces de trottoir, entre un roman de Patrick Modiano et un volume relié de la collection « Les grands écrivains de l’antiquité classique traduits en français » aux édition Les Belles lettres) : cette belle édition Artus lui restitue sa vie originale en écran large ChromoScope et Eastmancolor, enfin sauvegardée.

La Trilogie du Vice

Toutes les couleurs du vice (Tutti i colori del buio / Todos los colores de la oscuridad / L’Alliance invisible, Ital.-Esp.-GB, février 1972) de Sergio Martino : Londres, Angleterre 1972. Jane Harrison est obsédée par un cauchemar récurrent qui lui représente son propre meurtre. Sa voisine Mary l’initie à un rituel satanique au cours duquel Jane reconnaît son propre cauchemar. Est-elle paranoïaque ou bien la réelle victime d’une conspiration ?

Le distributeur français cinéma avait modifié le titre original italien / espagnol (« Toutes les couleurs des ténèbres / Toutes les couleurs de l’obscurité ») en remplaçant « ténèbres / obscurité » par « vice » pour deux raisons commerciales : le mot renvoyait au titre du premier giallo de Martino avec la même vedette féminine (le distributeur thaïlandais avait suivi le même raisonnement en l’amplifiant encore puisqu’il avait sous-titré le film « L’étrange vice de madame Wardh n°2 ») ; il connotait ouvertement le cinéma érotique, genre dont les recettes éclipsaient chez nous, durant les années 1970-1975, celles de tous les autres genres réunis. Le scénario de Gastaldi est intelligent : il joue précisément sur l’oscillation entre film noir policier et film fantastique et son suspense repose sur cette oscillation. L’érotisme est moins insistant que dans le premier giallo de Martino : Gastaldi assure, au demeurant, qu’il n’écrivait pas les séquences en question : il les laissait au libre vouloir du producteur (Luciano Martino) et du réalisateur (Sergio Martino). La mise en scène de ce dernier est plus sophistiquée, plus mature que celle du giallo de 1971 : effets stylistiques parfois esthétisants (l’inquiétant et très beau plan d’ouverture), effets photographiques raffinés (les morceaux de verre brisé retombant sur le corps nu de Jane), direction d’acteurs encore davantage concertée (l’équivoque George Hilton, la brûlante Susan Scott / Nieves Navarro). Edwige Fenech est excellente : elle avait certes débuté comme sculpturale reine de la jungle dans une série C mais elle avait, par la suite, interprété des rôles dramaturgiquement plus complexes et plus exigeants (qu’on se souvienne en 1969 des Folles nuits de la Bovary dans lequel elle incarnait l’héroïne du roman de Gustave Flaubert : toutes choses égales d’ailleurs, son jeu y valait bien celui de Jennifer Jones dans le film américain hollywoodien classique de Vincente Minelli tourné 20 ans plus tôt). Certaines séquences sont des hommages plastiques à Mario Bava (ses intérieurs nocturnes éclairés par des lampes rouges ou vertes au clignotement obsédant), d’autres atteignent à l’hallucination née d’un strict réalisme brusquement subverti (Edwige Fenech terrifiée par Ivan Rassimov dans le métro londonien). Un point évident qu’il ne faut jamais négliger : l’art de sélectionner les extérieurs et les décors naturels. Ici, l’immeuble aux briques rouges vaut presque celui qui inquiétait Rosemary dans le film de Polanski adapté du roman d’Ira Levin.

La Trilogie du Vice

Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé ( Ital., août 1972) de Sergio Martino. Italie, Pérouse, 1972. La nièce d’un écrivain alcoolique assiste aux relations sado-masochistes qu’il entretient avec son épouse, alors qu’un assassin rôde et tue diverses femmes proches de son entourage. C’est un chat noir qui dénouera une infernale machination destinée à voler un héritage.

Le titre lui-même est une référence explicite au premier « giallo » tourné par Martino en 1971 dans lequel madame Wardh découvrait une note sur laquelle était écrite cette phrase qui l’inquiétait. Ernesto Gastaldi l’avait inventée et la reprend ici. Le producteur Luciano Martino lui avait demandé d’écrire une adaptation de l’histoire extraordinaire (selon la traduction de Charles Baudelaire mais on pourrait employer aujourd’hui la formulation, au fond plus adaptée, de « conte fantastique »: ce qu’avaient d’ailleurs fait les éditions belges Gérard & Cie, Bibliothèque Marabout, série fantastique dans les années 1960) Le Chat noir d’Edgar Poe. Le scénario de Gastaldi ne fut pas respecté à la lettre : scènes érotiques additionnelles (au montage sophistiqué mais par elles-mêmes assez lassantes car on n’y voit pas assez le corps d’Edwige Fenech), situation de l’action à Pérouse par désir de renouvellement mais peut-être aussi par souci d’économie, montage insistant et pléonastique du même plan des yeux du chat. Au total, historiquement intéressant pour le cinéphile mais par lui-même décevant : on ne croit pas du tout à ces hippies vivant près du domaine de l’écrivain ni à ce boulanger passionné de compétition de moto-cross. L’arme d’un tueur (sur lequel s’égare les soupçons avant qu’il ne soit tué à son tour : air connu) est empruntée à celle déjà filmée dans La Baie sanglante de Mario Bava (Ital. 1971). L’acteur Luigi Pistilli est lui aussi repris du film de Bava de 1971 mais d’une manière paroxystique à laquelle on a du mal à croire. Les admirateurs d’Edwige Fenech seront non moins déçus : sa coiffure a été inutilement modifiée, elle a un troisième rôle (c’est Anita Strindberg qui a la vedette et le plus grand nombre de scènes). La musique de Bruno Nicolaï se veut élégante, classique mais rend l’action souvent encore plus ennuyeuse qu’elle ne l’est déjà : un comble. Il est possible que les distributeurs français de l’époque ne s’y soient pas trompés : en dépit de son titre assez somptueux, il semble qu’il soit demeuré inédit au cinéma chez nous : je n’ai trouvé aucune trace de date de sortie ni d’affiche française.

PS : Notez que, sur le plan thématique comme esthétique, Sergio Martino signa non pas une trilogie mais une tétralogie pour Edwige Fenech (constitués par deux « gialli » tournés en 1971 et deux autres tournés en 1972) puisqu’elle aurait aussi dû être la vedette féminine de La Queue du scorpion (Ital.-Esp.-GB. 1971) : devenue enceinte, elle fut malheureusement remplacée in-extremis par Anita Strinberg. Le véritable « Etrange vice de madame Wardh n°2 » n’est donc pas Toutes les couleurs du vice (comme le pensait son distributeur cinéma thaïlandais qui lui avait conféré sur son affiche thaï ce sous-titre erroné qui se basait simplement sur la présence au casting de la même actrice vedette) mais bien, sur le plan chronologique et filmographique, La Queue du scorpion qu’il faudrait éditer en vidéo numérique Full HD chez nous. On aurait d’ailleurs pu l’intégrer comme bonus au présent coffret sans oublier Torso (Ital. 1973), le cinquième et ultime « giallo » de Sergio Martino qui fut autrefois édité chez nous mais est devenu indisponible : il faudrait lui aussi le rééditer.

La Trilogie du Vice

Présentation - 5,0 / 5

3 Blu-ray BD-50 région B Full HD à la norme 1080p AVC + 3 DVD9 + 1 livret de 98 pages, édités par Artus Films le 04 juin 2024. Spécifications techniques des 3 Blu-rays, titre par titre : Blu-ray de « L’Étrange Vice de Madame Wardh » (1971, image 2.35 compatible 16/9 en couleurs, durée cinéma 99’41”, son Linear PCM en VF / VOSTF) + Blu-ray de « Toutes les couleurs du vice » (1972, image 2.35 compatible 16/9, durée cinéma 94’21”, son Linear PCM en VF / VOSTF) + Blu-ray de « Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé » (1972, image 1.85 compatible 16/9, durée cinéma 96’33”, son Linear PCM en VOSTF uniquement). Seule la durée diffère dans les DVD (25 images / seconde au lieu des 24 images / seconde dans les Blu-rays, ces derniers correspondant à la durée cinéma réelle). Nombreux suppléments : voir leur examen détaillé dans la rubrique « bonus » un peu plus bas.

Livret 98 pages couleurs et N&B « Les Vices cachés de Sergio Martino » par Emmanuel Le Gagne, Sébastien Gayraud et David Perrault : la première partie commente la bio-filmographie de Martino ; la seconde partie examine, au sein de la catégorie « giallo » du film noir policier italien, la place de la trilogie Edwige Fenech prélevée sur les 5 gialli signés par Martino entre 1971 et 1973 : cette seconde partie est la plus riche (en grande partie rédigée par Sébastien Gayraud) sans oublier, pages 62 à 68 une honnête filmographie commentée du conte fantastique Le Chat noir d’Edgar Allan Poe (il aurait tout de même fallu mentionner l’écrivain et scénariste Richard Matheson concernant l’adaptation moyen-métrage dans le film à sketches de Roger Corman en 1962) ; la troisième partie examine les deux autres « gialli » de Martino, écartés de ce coffret car leur vedette féminine n’est pas Edwige Fenech et quelques autres titres de sa filmographie, la quatrième partie est sa filmographie (sans les nationalités).

La Trilogie du Vice

Quelques très belles illustrations pleine page (affiche française du film de Mario Bava de 1963 page 6, affiche italienne du film signé par Sergio Martino en 1969 page 8, affiche française du Sergio Martino de 1983 page 25, affiche belge du « krimi » (abréviation allemande désignant les films noirs policiers adaptant les romans d’Edgar Wallace et ceux du même genre, alliant l’horreur, l’épouvante, l’insolite, le fantastique à des intrigues criminelles) de F.J. Gottlieb de 1963 page 30, affiche espagnole du second giallo de Martino de 1971 page 70, affiche américaine du dernier « giallo » de Sergio Martino page 74) mais, assez curieusement, aucune affiche des 3 titres du coffret : on en trouve de jolies dans les « diaporama » (galeries affiches et photos offertes en suppléments vidéo). D’autres affiches sont très belles et auraient assurément mérité une pleine page (l’affiche belge du Roger Corman de 1962 à la page 64, l’affiche mexicaine du Kaneto Shindo fantastique de 1968 page 68). Concernant les captures et les photos de plateau reproduites en petite ou moyenne taille (sur des pages déjà petites étant donné le format des boîtiers plastiques), je suis aujourd’hui persuadé qu’on pourrait s’en passer : il faudrait se limiter à deux types essentiels de documents : les affiches, d’une part et les photos d’exploitation, d’autre part.

Au chapitre des critiques - inévitables dans l’exercice rhétorique constitué par ces tests techniques dont la critique filmique n’est qu’un des aspects, certes pas le moindre mais certes pas l’unique non plus - attention à quelques errements concernant la morphologie et la syntaxe : page 58, « une trilogie fondatrice et citationnelle (sic) », « la Turquie va produire leur (sic) propre version… ». Dans la filmographie, à la page 93, Rue de la violence est certes le titre vidéo d’une ancienne édition DVD française mais n’est assurément pas le titre d’exploitation cinéma de Milano odia, la polizia vuole giustizia (Ital. 1973) : son véritable titre fut Polices parallèles / Polices parallèles en action (un titre de première exploitation cinéma / un second titre de reprise également cinéma à moins que leurs exploitations aient été… parallèles ? En tout cas, les deux titres donnèrent lieu à affichage (simultané ou successif) et le second titre fut, par la suite, repris sur la jaquette de l’édition VHS française Secam, ignoblement recadrée et dont la seule valeur consiste, à mes yeux, dans la reproduction de l’une des deux affiches française sur sa jaquette).

La Trilogie du Vice

Bonus - 5,0 / 5

Suppléments (identiques sur Blu-ray et DVD) de L’Étrange Vice de Madame Wardh

Présentation du film par Emmanuel Le Gagne (2024, 20’21”) : sympathique analyse, pointilliste et précise, de deux séquences, (l’ouverture et le meurtre du parc) émaillée de quelques considérations sur cette catégorie « giallo » du genre « film noir policier », sur le rapport de Martino à Argento. Une approximation historique : le « giallo » italien ne débute pas avec le film d’Argento de 1970 puisque, comme Le Gagne le dit, Bava fut son précurseur dès les années 1960 et que (je l’ajoute pour faire bonne mesure) Freda fut dès 1956 le précurseur du précurseur. J’ajoute en outre - je ne me lasse pas de le répéter à chaque fois que j’en ai l’occasion ! - que la texture thématique et plastique du « giallo » trouve son origine dans l’histoire du cinéma anglais, américain, français et allemand des origines muettes à 1956 (si on tient pour Freda comme initiateur italien) ou à 1962 (si on tient pour Bava comme initiateur italien). Une erreur factuelle gênante : la citation de Freud par le scénariste Gastaldi, insérée au générique d’ouverture du titre de 1971, n’est absolument pas « apocryphe » (sic) puisqu’elle provient bien d’un article de Freud, au demeurant repris dans un de ses volumes les plus célèbres, un des premiers traduits en France de son vivant, qui plus est. Attention aussi à l’expression un moment employée par Le Gagne : « tant sur le plan plastique que formel » qui est un pléonasme puisque l’aspect plastique d’un film, c’est sa forme. Je pense qu’il voulait certainement dire « tant sur le plan plastique que thématique » mais l’émotion de toucher à un si noble sujet (le giallo italien a fait rêver les générations françaises de cinéphiles depuis l’époque de Midi-Minuit Fantastique) lui a momentanément fait commettre une confusion.

Entretien avec le réalisateur Sergio Martino (2020, 43’18”, VOSTF) : il répète certaines informations déjà fournies par Gastaldi (par exemple l’influence thématique de H.-G. Clouzot, le rapport à certains gialli auparavant tournés par Romolo Guerrieri, Umberto Lenzi et Dario Argento) mais il en apporte d’autres sur le fait-divers réel ayant inspiré le scénario de 1971, sur ses collaborateurs, sur la production européenne, sur les tournages de ses gialli de 1971 à 1973. Quelques informations biographiques sur Edwige Fenech et George Hilton. Concernant la musique de Nora Orlandi utilisant à un moment le rythme cardiaque, Martino assure que l’idée est originale mais il oublie que Corman l’avait déjà utilisée dans L’Empire de la terreur (Tales of Terror, USA 1962). Aucun mot sur Freda mais une remarque intéressante sur le Bava de 1963 et sur les techniques utilisées en 1971 pour échapper à une censure excessive. Générique francophone daté 2024 mais cet entretien se trouve dans l’édition Severin de 2020.

Entretien avec le scénariste Ernesto Gastaldi (2020, 21’56”, VOST) : savoureux et intéressant, comme chaque entretien avec Gastaldi. Une seule confusion : il confond le premier film fantastique de Freda avec Barbara Steele (1962 dont Federico Caddeo montre l’affiche) avec le second (1963 dont on ne montre hélas pas l’affiche) dans lequel Barbara Steele joue effectivement une femme devenant brusquement paralysée. Une exagération typique de scénariste : croire que le spectateur admire le film uniquement en raison de deux ou trois idées (celle du glaçon relativement au thème de la chambre close et les deux rebondissements de la fin du film). Souvenirs de première main non seulement sur le film de Martino de 1971 mais sur plusieurs autres gialli et même sur quelques westerns, notamment un de Tonino Valerii. Je ne crois pas du tout à la sincérité de Gastaldi concernant ce qu’il dit ici de la psychanalyse de Freud : je pense - hypothèse que je crois plausible en raison de la nature de son travail des années 1965-1975 - que non seulement il avait lu (sur les conseils de Valerii) mais encore qu’il avait admiré Freud à l’époque de son âge d’or : ses dénégations contemporaines me semblent très sujettes à caution. Générique francophone daté 2024 mais cet entretien se trouve dans l’édition Severin de 2020.

La Trilogie du Vice

Entretien avec l’acteur George Hilton et le critique A. Bruschini (2020, 18’56”, VOSTF) : daté 2024 sur le générique francophone mais le bonus se trouvait déjà sur l’édition Severin de 2020. Et pour cause puisque George Hilton est mort en 2019. Bruschini estime que ce giallo de 1971 allie deux écoles antérieures, celle du cinéaste Umberto Lenzi (fin des années 1960) et celle de Dario Argento (année 1970). Il ajoute l’influence de Alfred Hitchcock (USA 1951) et de Henri-Georges Clouzot (France 1955). Tout cela est vrai mais il manque rien moins que les fondateurs italiens du genre, à savoir Mario Bava (1962, 1964 et 1969) et Riccardo Freda (Ital. 1963). Hilton apporte, de son côté, quelques souvenirs de tournage et un souvenir concernant le succès commercial mondial du film.

Diaporama d’affiches et photos (2’36”) : environ 25 documents parmi lesquels 2 affiches italiennes, 1 affiche espagnole, 1 affiche thaïlandaise, 1 affiche belge, des photos d’exploitation françaises, espagnoles, italiennes, photos de plateau italiennes. Chaque élément est parfaitement reproduit, sur fond noir, le plus confortable pour examiner un document. L’exemple de ce qu’il faut faire mais aucun jeu complet de photos d’exploitation pour une nationalité donnée. Peu importe, c’est déjà un bel effort qu’il faut saluer.

Bande-annonce (3’03”, VO) : format Scope 2.35 respecté, assez bon état argentique, avec certains plans filmés bi-chromes avec effet d’équidensité, très à la mode à l’époque. Les acteurs principaux sont identifiés à l’image.

Suppléments (identiques sur Blu-ray et DVD) de Toutes les couleurs du vice

Présentation du film par Emmanuel Le Gagne et Sébastien Gayraud (2024, 25’21”) : un peu longue, parfois un peu répétitive mais, au total, assez bonne présentation historique, thématique et esthétique, nourrie de remarques souvent fines et pointues. Référence utile à la secte criminelle sataniste de Charles Manson (il aurait d’ailleurs fallu immédiatement faire le lien avec le meurtre de Sharon Tate puisqu’on citait la référence évidente de Sergio Martino au film fantastique de Polanski (USA 1968), Polanski dont elle était alors la compagne ; bonne remarque sur le fait que Martino signe de 1971 à 1973 non pas une « trilogie du vice » mais une tétralogie qui aurait dû être intégralement interprétée par Edwige Fenech et à laquelle le second titre de 1971 (pas édité dans ce coffret) appartient à la fois esthétiquement (la vedette féminine mise à part, ce qui explique son exclusion du présent coffret) et thématiquement.

Entretien avec Sergio Martino (2024, 40’19”, VOSTF) : plus ample et détaillé que celui intégré dans les bonus du titre de 1971. Martino revient sur ses rapports avec son frère producteur, sur sa carrière, sur la manière dont il a mis en scène ses films, sur ses rapports avec les acteurs principaux. Générique francophone daté 2024 mais cet entretien se trouve dans l’édition Severin de 2020

Entretien avec Ernesto Gastaldi (2024, 18’12”, VOSTF) : lui aussi plus ample que celui intégré dans les bonus du giallo antérieur de 1971. Gastaldi évoque ses rapports avec les frères Martino, la manière dont il débuta, certaines techniques du scénario qu’il utilisa, certains aspects du film de 1972. Quelques anecdotes savoureuses, de première main. Quelques digressions apportant certaines informations sur d’autres titres de sa filmographie. Générique francophone daté 2024 mais cet entretien se trouve dans l’édition Severin de 2020 

La Trilogie du Vice

Entretien avec George Hilton et Antonio Tentori (2024, 31’59”, VOSTF) : à nouveau plus ample, concernant Hilton, que celui intégré en bonus au titre antérieur de 1971. Il revient sur ses débuts, son succès dans le western de Lucio Fulci (1966) qui lança sa carrière, sur une remarque d’Antonioni qui avait apprécié son jeu, sur ses partenaires principaux, sur les giallos, sur les titres qu’il préfère dans sa filmographie. Tentori, de son côté, défend bien le titre de 1972. Générique francophone daté 2024 mais cet entretien se trouve dans l’édition Severin de 2020.

Diaporama d’affiches et photos (3’30”) : riche d’une trentaine de documents parfaitement reproduits (affiches française, italienne, espagnole, etc., photos d’exploitation, photos de plateau couleurs et N&B), y compris certains photos d’exploitation espagnoles mentionnant clairement l’existence de copies 70mm, ce qui, compte tenu de l’époque de la sortie, ne me surprendrait pas du tout. Une série B au budget plus limité telle que Les Vampires du Dr Dracula (La Marca del hombre lobo, Esp. 1968) de Enrique L. Eguiluz avait été, par exemple, exploitée en 70mm. Un seul regret : l’absence de l’affiche thaïlandaise, bien plus belle sur le plan graphique comme sur le plan de la composition, que celle du titre de 1971.

Bande-annonce (3’02”, VO) : espagnole, au format 2.35 respecté, état argentique assez bon, faisant encore plus usage d’équidensités colorimétriques que la BA du titre de 1971, efficace et très bien montée.

Suppléments (identiques sur Blu-ray et DVD) de Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé

Présentation du film par Sébastien Gayraud (2024, 13’51”) : correcte, parfois un peu répétitive mais couvrant les divers aspects du fil. Je n’ai pas relevé de mention d’une exploitation cinéma française : il aurait fallu préciser ce point.

Entretien avec Ernesto Gastaldi (2024, 22’14”, VOSTF) : je partage absolument le point de vue de Gastaldi concernant le film de Sergio Martino, nettement plus faible que les deux autres, mis à part une ou deux séquences (l’arrivée d’Edwige Fenech à la gare est intelligente et ambivalente, en effet). Quelques informations de première main sur la genèse mais aucune sur le tournage. Bonne remarque sur la correspondance entre l’idée de la page imprimée répétant le même mot d’une manière obsédante et l’idée du film fantastique de Kubrick de 1980 : Gastaldi y voit un possible effet du hasard. Cet entretien avec Gastaldi semble, à la différence des précédents, bien dater de 2024.

Diaporama d’affiches et photos (1’30”) : une quinzaine de documents très bien reproduits, parmi lesquels une dizaine de photos italiennes d’exploitation. Aucune affiche ni photo française d’exploitation, ce qui semble confirmer que le titre demeura inédit au cinéma chez nous.

Bande-annonce (0’57”, VO) : plus brève que les deux autres et très bien montée, niveau de grain supérieur à celui du long-métrage de référence tel qu’il est numérisé et mastérisé dans cette édition, couleurs plus vives.

En conclusion, suppléments riches en informations précises et en documents originaux bien restaurés. Les extraits de films illustrant les divers bonus proviennent de copies argentiques au format, bien restaurées et bien définies. Je préférerais des affiches, des photos d’exploitation à de tels extraits : lorsqu’il s’agit des films de référence, ils sont foncièrement inutiles puisqu’on vient de les visionner avant d’examiner les suppléments. Lorsqu’il s’agit des films simplement cités, de tels documents suffiraient amplement. Sur le plan des bonus italiens, l’édition américaine Severin Films de 2020 de L’étrange vice de madame Wardh comportait un entretien avec l’actrice Edwige Fenech qu’on aurait pu rajouter à cette sélection déjà riche.

La Trilogie du Vice

Image - 5,0 / 5

L’étrange vice de madame Wardh : impeccable transfert vidéo Full HD 1080p AVC (sur Blu-ray) à partir d’une copie argentique parfaitement restaurée au format Scope 2.35. Je n’ai relevé qu’une seule poussière blanche sur l’ensemble du métrage.

Toutes les couleurs du vice : copie espagnole au format Scope 2.35 à l’étalonnage légèrement variable selon les séquences (celle du métro londonien, très belle, est colorimétriquement mieux définie et plus vive que certaines autres) peut-être parce que les sources argentiques du master étaient multiples ; le plan d’ouverture du générique et le plan final sont dotés d’une émulsion légèrement moins stable que le reste. Pour le reste, impeccable restauration argentique et parfait transfert doté d’une parfaite définition, les noirs sont profonds et denses, privilégiant cependant à nouveau le lissage par rapport au grain (sauf plan d’ouverture et plan final au grain davantage prononcé). Notez qu’il existe une version alternative américaine plus courte (le scénariste Ernesto Gastaldi s’en explique dans son entretien annexé en bonus vidéo) visible dans l’édition américaine Blu-ray Severin Films mais absente de cette édition Artus.

Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé : format 1.85 et très belle copie argentique, excellent transfert vidéo mais donnant la priorité au lissage par rapport au grain. Couleurs traitées par le directeur photo d’une manière moins baroque, plus sobre : sur le plan esthétique, ce titre est certes soigné mais il n’a pas l’ampleur du format Scope 2.35 ni la riche colorimétrie occasionnelle des titres antérieurs.

La Trilogie du Vice

Son - 4,0 / 5

Linear PCM pour les 3 titres, dotés de pistes sonores en très bon état, VOSTF et VF d’époque pour les deux premiers titres, VOSTF seulement pour le troisième : dans tous les cas, il s’agit de post-synchronisation, jamais de son direct. STF assez petits mais très lisibles et bien définis. Musique symphonique assez originale signée Nora Orlandi pour le titre de 1971, par Bruno Nicolaï pour les deux autres. Celle du premier titre de 1972 - dont la musique imite, au début, celle du Rosemary’s Baby (USA 1968) de Roman Polanski - est réputée pour son caractères obsédant et angoissant mais cette réputation me semble ici, sinon usurpée du moins un peu surfaite. Celle du second titre de 1972 se veut plus classique, dépouillée (on est loin de l’orchestre symphonique), intimiste mais elle est ennuyeuse et ne convient pas à l’action. Les admirateurs du compositeur (dont je fais partie) seront donc relativement déçus mais ils prendront, en revanche, grand plaisir à découvrir (ou re-découvrir) celle composée par Orlandi, moins connue mais inspirée.

Crédits images : © Artus Films

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
Note du disque
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francis moury
Le 12 juin 2024
Trois « gialli » italiens du début des années 1970, réalisés par Sergio Martino avec Edwige Fenech, alliant film noir policier, érotisme et fantastique.

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