Le Mandat

Le Mandat (1968) : le test complet du Blu-ray

Mandabi

Blu-ray + DVD - Version Restaurée

Réalisé par Ousmane Sembene
Avec Makhouredia Gueye, Ynousse N'Diaye et Isseu Niang

Édité par Studiocanal

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Le 16/11/2021
Critique

Cette tragi-comédie sur les rapports sociaux au Sénégal, huit ans après l’indépendance, est aussi un jalon du jeune cinéma africain.

Le Mandat

Maty et Arame, ses deux épouses, annoncent à Ibrahima Dieng la bonne nouvelle : le facteur leur a remis un mandat de 25 000 francs CFA envoyé par son neveu Abdou, balayeur des rues à Paris. 20 000 francs seront versés sur le compte d’Abdou, 3 000 francs devront être être remis à sa mère. Le solde, 2 000 francs, est pour Ibrahima. La nouvelle, vite répandue dans le quartier, attise les convoitises et rassure les commerçants sur la solvabilité d’Ibrahima : pour célébrer l’événement, Maty et Arame ont acheté à crédit les ingrédients d’un repas pantagruélique, générateur d’une sieste qui fait rater à Ibrahima et à ses deux femmes la prière du vendredi. Récupérer l’argent n’est pas une mince affaire : Ibrahima n’a pas la carte d’identité exigée par la Poste…

Le Mandat (Mandabi), ressorti dans nos salles le 14 juillet 2021, le premier long métrage d’Ousmane Sembene. Salué par le Prix spécial du jury à Venise en 1968, il est aussi le premier long métrage en langue africaine, le wolof, parlé par 90% de la population du Sénégal. Le scénario est adapté de la nouvelle éponyme publiée en 1966 en français par le réalisateur.

Inscrit à la CGT et au parti communiste, il doit abandonner son métier de docker à Marseille après un accident du travail. Il se lance alors dans l’écriture de romans et de nouvelles. Le seul moyen de communiquer avec ses compatriotes, en grande majorité analphabètes, est le cinéma. Il se lance, à partir de 1963, dans la réalisation de courts métrages et deviendra un des pionniers du cinéma africain en continuant d’écrire jusqu’à sa mort, en 2007.

Le Mandat

Tout l’oeuvre d’Ousmane Sembene vise à faire prendre conscience des problèmes du peuple sénégalais. Emitaï, sorti en 1971, rappelle l’enrôlement forcé d’hommes d’un village sur le front franco-allemand en 1942 et la réquisition d’une partie de la récolte du riz. Ceddo, sorti en 1977, stigmatise l’imposition, au XVIIème siècle, de l’islam et du christianisme dans l’Afrique de l’Ouest (le film fut interdit au Sénégal, musulman à près de 90%). Camp de Thiaroye, sorti en1988, rappelle la réaction de tirailleurs sénégalais (corps dans lequel Sembene fut engagé pendant la seconde guerre mondiale) rassemblés avant leur démobilisation, à l’annonce de la réduction de moitié de la solde promise : une mutinerie réprimée dans la nuit du 1er décembre 1944 par des tirs d’artillerie qui feront 25 morts et de nombreux blessés. Prix spécial du jury à la Mostra de Venise en 1988, le film fut interdit en France pendant dix ans. Moolaadé, son dernier film, un plaidoyer contre l’excision, fut salué à Cannes en 2004 par le Prix Un certain regard.

Le Mandat a pu, avec le soutien d’André Malraux, bénéficier d’une avance sur recettes du CNC, à la condition qu’il soit tourné en français. Durant les cinq semaines du tournage, une seconde version fut réalisée, en wolof, la langue parlée par 90% des Sénégalais, la seule qui sonnait juste. Mal reçu par la presse du Sénégal qui lui reprochait une vision pessimiste et caricaturale du pays, le film connut un grand succès populaire.

Le Mandat, sous la forme d’une comédie, est une charge caustique de l’administration « néocolonialiste » du Sénégal sous la présidence de Léopold Senghor. Devenu indépendant en 1960, le pays restait gangrené par la pauvreté, par la bureaucratie héritée de la colonisation et par la corruption. Le film dénonce aussi le statut inférieur des femmes : victime des escrocs, Ibrahima n’en est pas moins un tyranneau chez lui. La religion n’est pas épargnée : la cupidité de l’imam n’a rien à envier à celle de tous ceux que le petit pactole d’Ibrahima attire comme des mouches. Ousmane Sembene, dans un autre regard critique sur la société sénégalaise, reprendra le registre de la comédie pour son film Xala, sur le mauvais sort frappant d’impuissance un homme d’affaires pendant la nuit de noces avec sa troisième épouse.

Cette nouvelle édition Studiocanal, complétée par d’intéressants suppléments, après restauration 4K opérée en 2020 pour l’édition Criterion sortie en février 2021, supplante celle proposée par La Médiathèque des Trois Mondes en 2005.

Le Mandat

Présentation - 4,5 / 5

Le Mandat (92 minutes) et ses généreux suppléments (96 minutes, sans compter le commentaire du film) tiennent, pour cette édition combo, sur un BD-50 et un DVD-9 logés dans un boîtier, non fourni pour le test, effectué sur check disc du seul Blu-ray.

Le menu animé et muet propose le film dans sa langue originale, le wolof hormis quelques dialogues en français, avec sous-titres optionnels, et dans un doublage en allemand, les deux au format audio DTS-HD Master Audio 2.0 mono.

Sous-titres disponibles en français, anglais et allemand.

Bonus - 3,5 / 5

Commentaire audio de Samba Gadjigo et Jason Silverman, réalisateurs en 2015 du documentaire Sembene!   (en anglais, sous-titré). Les deux spécialistes du cinéma d’Ousmane Sembene rappellent le contexte politique et culturel de l’histoire, les bouleversements sociaux qui ont suivi l’indépendance, la barrière constituée par l’ignorance de la langue française. Ils resituent Le Mandat dans la filmographie du réalisateur, décodent les signes discrètement plantés dans certains plans… Un remarquable complément au film !

Entretien avec Alain Sembene, fils du réalisateur (29’, Studiocanal Films, 2021, en français). Alain Sembene se souvient avec émotion du tournage dans les maisons familiales, alors qu’il était enfant. Le seul acteur était Makhouredia Gueye, avec une expérience acquise au théâtre et à la radio. Le Sénégal a beaucoup changé : sa population a été multipliée par huit, pas plus de 8% de Sénégalais parlaient français, la langue officielle. Beaucoup sont restés en marge de la modernisation, comme Ibrahima, dont la mésaventure tragi-comique a une dimension universelle : « quand on n’entre pas dans le moule, on est rejeté ». Elle a aussi une dimension politique en dénonçant les dysfonctionnements de la société et la corruption. Le cinéma obsédait Ousmane Sembene : les Africains ne lisaient pas ses livres, mais regardaient ses films.

Un rendez-vous à Dakar : retour sur un classique de Sembene (21’, Studiocanal Films, 2021, en anglais, sous-titré), avec Keith Shiri, conservateur des films. Ousmane Sembene est l’un des premiers cinéastes de l’Afrique subsaharienne, un pionnier au temps de la décolonisation. Le Mandat, « une satire forte dans sa simplicité (..) restée d’actualité (…) d’une dimension universelle », dénonce, avec un style personnel, les travers de l’administration, « l’ordre établi », dont souffre le peuple, particulièrement les femmes.

Le Mandat

Coulisses du film (2’, Noir et blanc, muet) : brefs aperçus du tournage.

Une histoire sénégalaise : Mandabi et la naissance du cinéma ouest-africain (24’, 2021, en anglais, sous-titré), avec le professeur David Murphy, University of Strathclyde, Glasgow, auteur de plusieurs ouvrages sur le cinéma africain, dont Sembene: Imagining Alternatives in Film and Fiction, publié en 2000. David Murphy présente Ousmane Sembene comme « un écrivain et un réalisateur inventif, toujours à la recherche de nouvelles façons de raconter des histoires politiques fortes ». La forme réaliste de son cinéma des années 60 cède la place à une écriture plus expérimentale dans les années 70, avant un retour au réalisme. Il bat en brèche les idées reçues sur l’Afrique, mais s’attaque aussi à la religion et au culte de la négritude, qu’il voyait comme « un piège identitaire ». « L’Afrique indépendante reste enlisée dans le carcan économique et financier du colonialisme et du monde traditionnel. » Sembene fustige la corruption, l’emprise de la religion, les injustices, souvent avec humour, mis en valeur dans Le Mandat par Makhouredia Gueye. Il a été une source d’inspiration pour les cinéastes africains en démontrant qu’on pouvait, en étant tenace, surmonter toutes les difficultés, notamment trouver des financements.

Conversation avec le scénariste Boubacar Boris Diop et la sociologue et féministe Marie Angélique Savané (19’, repris de l’édition Criterion sortie en février 2021, en anglais, sous-titré). Obsédé par le désir de communiquer, Sembene, à 42 ans, a appris les bases du métier de réalisateur à Moscou, où il fut l’élève de Mark Donskoy, pour devenir « le père du cinéma africain » et dénoncer les injustices sociales et affirmer son opposition aux orientations économiques de Léopold Senghor. Elles allaient conduire, en mai 1968 à un fort mouvement de protestation qui a duré jusqu’à la fin de 1970. Le Mandat, critiqué par les autorités et par la presse, attira un public populaire. La chute du film, « Si vous êtes un homme honnête dans ce pays, les gens pensent que vous êtes fous », était dans toutes les bouches.

Bande-annonce (1’, sous-titré).

Le Mandat

Image - 5,0 / 5

L’image (1.66:1, 1080p, AVC), fraîchement restaurée en 4K, précise, stable, lumineuse, bien contrastée avec des noirs denses, déploie une palette de couleurs agréablement saturées. Toute marque de détérioration de la pellicule a été soigneusement effacée et le contrôle du grain a respecté la texture originelle.

Son - 4,5 / 5

Le son DTS-HD Master Audio 2.0 mono, lui aussi très propre, restitue clairement les dialogues et donne une belle présence à l’accompagnement musical.

Crédits images : © Films Domireew, Comptoir Français du Film Production

Configuration de test
  • Vidéo projecteur SONY VPL-VW790ES
  • Sony UBP-X800M2
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • Diagonale image 275 cm
Note du disque
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Philippe Gautreau
Le 17 novembre 2021
Voici la réédition attendue, après une restauration exemplaire et l'accompagnement d’utiles compléments, du premier long métrage écrit et réalisé par Ousmane Sembene, un des pionniers du cinéma africain. Derrière le comique de situation, une dénonciation de l’administration "néocolonialiste" du Sénégal, huit ans après son indépendance.

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