Cérémonie secrète (1968) : le test complet du Blu-ray

Secret Ceremony

Combo Blu-ray + DVD

Réalisé par Joseph Losey
Avec Elizabeth Taylor, Mia Farrow et Robert Mitchum

Édité par Elephant Films

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Le 06/07/2021
Critique

Un étrange et fascinant huis-clos dans un décor luxuriant. Un des grands films de Joseph Losey. Et aussi le plus insolite.

Cérémonie secrète

Londres. Leonora, une prostituée, ôte sa perruque blonde et son maquillage. Elle est abordée dans le bus par une jeune femme qui l’appelle « Mummy », la suit jusqu’au cimetière où elle se recueille sur la tombe de sa fille, morte noyée à 10 ans. La jeune inconnue, Cenci, l’invite dans le luxueux hôtel particulier qu’elle habite seule. Leonora, que Cenci prend pour sa défunte mère, entre dans le jeu de la jeune femme…

Cérémonie secrète (Secret Ceremony), produit et filmé au Royaume Uni en 1968, est inspiré d’une nouvelle, Ceremonia secreta, publiée en 1960 par l’écrivain et dramaturge argentin Marco Denevi, assez librement adaptée par le scénariste hongrois George Tabori (La Loi du silence, I Confess, Alfred Hitchcock, 1953) qui ajoute le personnage d’Albert, le beau-père de Cenci. Le nom donné par le scénario à la jeune fille fait référence à une jeune femme exécutée en 1599 pour le meurtre d’un père qui abusait d’elle, un drame que Lucio Fulci a porté à l’écran en 1969 dans son film Beatrice Cenci.

Je travaille dans l’implicite

Cérémonie secrète, un film énigmatique, lève peu à peu le voile, mais jamais complètement, sur les personnages, les épreuves auxquelles ils ont été soumis. Le film est l’occasion de l’unique rencontre entre Elizabeth Taylor (elle venait de tourner Boom! avec Joseph Losey), la prostituée qui cherche désespérément à projeter une image respectable, et Mia Farrow (sortant du tournage de Rosemary’s Baby), la femme-enfant schizophrène, terrorisée par le monstre qu’elle voit dans le tableau de William Blake, Elohim créant Adam.

Chacune des deux femmes gardera son plus profond secret. Leonora est-elle responsable de la noyade de sa fille ? Cenci, encore enfant, a-t-elle été forcée par son beau-père ou l’a-t-elle provoqué ? Le troisième personnage, tout aussi trouble, le beau-père, est campé par un Robert Mitchum décevant, loin de pouvoir communiquer l’inquiétante présence qu’il avait su donner à Harry Powell dans La Nuit du chasseur (The Night of the Hunter, Charles Laughton, 1955). Joseph Losey revendique ce halo de mystère entourant les personnages de ses films, l’attention qu’il porte à ne pas les juger, à éviter tout message, pour laisser le spectateur se faire sa propre opinion.

Cérémonie secrète

Cérémonie secrète est, visuellement, peut-être l’oeuvre la plus achevée de Joseph Losey, dans le fascinant cadre de Debenham House, un hôtel particulier edwardien du quartier de Kensington conçu en 1905 par l’architecte Halsey Ricardo, dans le style Arts and Crafts, une variation britannique sur l’Art Nouveau. Il fournit un environnement extraordinaire et inspirant, magnifiquement décoré et meublé par Richard Macdonald, le directeur artistique et par le décorateur Jill Oxley. Le chef-opérateur Gerry Fisher explore ce délire de formes et de couleurs, sous des éclairages recherchés, avec de lents et vertigineux mouvements de caméra qui brouillent la topographie et renforcent un peu plus l’étrangeté du scénario, alors que le montage déstructure subtilement le temps et l’espace.

L’atmosphère insolite de Cérémonie secrète est encore soulignée par l’accompagnement musical avant-gardiste, entêtant, rappelant les boites à musique du film, composé par Richard Rodney Bennett, trois fois nommé aux Oscars, notamment pour Loin de la foule déchaînée (Far from the Madding Crowd, John Schlesinger, 1967) et pour Le Crime de l’Orient Express (Murder on the Orient Express, Sidney Lumet, 1974). Il a contribué à deux autres films de Joseph Losey, L’Enquête de l’inspecteur Morgan (Blind Date, 1959) et Deux hommes en fuite (Figures in a Landscape, 1970), un film méconnu, à la disposition des cinéphiles depuis l’édition sortie par Carlotta Films en 2018.

Cérémonie secrète, dérangeant, envoûtant, mystérieux, inoubliable et le plus innovatif dans sa forme est, pour moi, à ranger parmi les chefs-d’oeuvre de Joseph Losey avec The Servant (1963), Pour l’exemple (King and Country, 1964), Le Messager (The Go-Between, 1971) et Mr Klein (1976).

Cérémonie secrète

Présentation - 3,5 / 5

Cérémonie secrète (109 minutes) et ses généreux suppléments (91 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50, logé, dans cette édition combo, en compagnie d’un DVD-9 dans un boîtier glissé dans un fourreau, non fourni pour le test.

Le menu fixe et musical, aux couleurs de la Collection Cinéma MasterClass lancée par Elephant Films il y a une dizaine d’années, propose le film dans sa version originale, avec sous-titres optionnels, au format audio DTS-HD Master Audio 2.0 mono.

Cette nouvelle édition, la première en haute définition, pour ses qualités techniques et l’intérêt des bonus, relègue définitivement au placard celle sortie par BAC Films en 2008.

Bonus - 4,5 / 5

Le film par Nachiketas Wignesan (33’, 2021, Elephant Films). Joseph Losey, enfin reconnu comme un cinéaste important, peut tourner son premier film à gros budget, une autre variation sur le thème de l’intrusion exploitée pour The Servant. Dès les premières scènes, on entre dans « un film irrationnel (…) un puzzle, au montage étonnant. (…) On comprend qu’il y a quelque chose, mais on ne sait pas quoi » jusqu’à ce qu’on puisse même se demander si Cenci n’existe pas que dans la seule imagination de Leonora. Selon le réalisateur, cité par Michel Ciment, Cérémonie secrète illustrait « le besoin terrible qu’ont les êtres humains d’autres êtres humains, l’impossibilité de la plupart d’entre eux de le satisfaire (…) la difficulté d’établir des rapports de vérité entre les êtres ».

Les autres suppléments reprennent la grande partie de ceux de l’édition Powerhouse Films sortie au Royaume Uni en novembre 2019 :

Entretien avec Joseph Losey et Michel Mourlet (15’, extrait de l’émission Cinéma Critique). Le romancier Michel Mourlet a trouvé dans la filmographie de Joseph Losey le « fil conducteur de ses préoccupations : (…) montrer les incidences de la société sur les individus ». Joseph Losey avait remarqué, lors de son long séjour à Londres Debenham House, une maison rappelant celle de la nouvelle, qu’il a fallu entièrement remeubler. « Cérémonie secrète est un film lyrique et poétique (…) dans une atmosphère de tristesse, de mélancolie », dit-il.

Les Ressorts secrets de Joseph Losey (The Beholder’s Share, 24’, 2019, Powerhouse Films Ltd), un entretien avec Gavrik Losey, fils du réalisateur. Joseph Losey est originaire de La Crosse, Wisconsin, sur la rive du Mississippi, un lieu de rencontre des riches en croisière sur le fleuve et des pauvres de la ville. Il entra à 16 ans à l’université de Dartmouth, New England, étudia l’art dramatique à Harvard, s’investit dans le théâtre dans le Maine, puis séjourna à Paris et dans le Nord de l’Europe et en Russie, rencontra Bertolt Brecht. Il était plus à l’aise dans ses relations avec les hommes qu’avec les femmes. Cérémonie secrète, « un film difficile à décrypter (…) est un parfait exemple de son travail (…) sur l’utilisation du décor comme personnage (…) sur les relations père-mère-enfant, (…) avec une atmosphère mortifère, une vue dystopique des relations familiales. » « Losey évitait d’impliquer émotionnellement le spectateur, pour ne pas lui faire perdre sa subjectivité (…) pour qu’il puisse se faire sa propre idée des personnages. » La « collaboration avec un dictateur » de toute une équipe : Gerry Fisher pour la photo, Richard Macdonald pour la direction artistique, Jill Oxley pour les décors, Reginald Beck pour le montage… hisse le film au niveau de qualité atteint par The Go-Between. Son point faible tient à la contribution de Robert Mitchum, peu fiable pendant tout le tournage.

Scènes additionnelles (17’, 1.33:1) composées d’un prologue et d’un épilogue ajoutés pour une diffusion du film à la télévision américaine, avec Robert Douglas et Michael Strong. NBC qui avait acheté les droits de diffusion du film à la télévision, l’avait jugé incompréhensible. Ces deux scènes, tournées, par on ne sait qui, après la sortie en salles, pour « éclaircir » l’intrigue, se limitent à une discussion ridicule et ennuyeuse entre un avocat et un psychiatre, faisant de Leonora… une essayeuse de perruques devenue folle ! Losey avait refusé que son nom apparaisse au générique de ce montage.

Bande-annonce de 1968 (2’, 1.33:1).

Bandes-annonces d’autres titres de la collection : Nazarin (Luis Buñuel, 1959), L’Héritière (The Heiress, William Wyler, 1949) et Resurrection (Daniel Petrie, 1980).

Cérémonie secrète

Image - 4,5 / 5

L’image (1.85:1, 1080p, AVC), certainement reprise de l’édition Powerhouse Films de 2019, d’une impeccable propreté, assez finement résolue, déploie une palette de couleurs agréablement saturées et contrastées rendant toute la magie des décors. Un exemplaire traitement du grain respecte la texture du 35 mm.

Son - 4,5 / 5

Le son DTS-HD Master Audio 2.0 mono de la version originale, très propre lui aussi, pratiquement sans souffle, restitue clairement les dialogues. Une bonne dynamique pour un film de cet âge et un spectre riche en aigus mettent finement en valeur le bel accompagnement musical.

Le doublage, avec des dialogues trop en avant, affectés par un léger excès de réverbération et peu naturels, n’a pas été pris en compte pour l’attribution de la note.

Crédits images : © Droits réservés

Configuration de test
  • Vidéo projecteur SONY VPL-VW790ES
  • Sony UBP-X800M2
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • Diagonale image 275 cm
Note du disque
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Philippe Gautreau
Le 6 juillet 2021
Son envoûtante beauté plastique, l’originalité se son scénario, l’audace de sa mise en scène et de son montage font de Cérémonie secrète le film le plus mystérieux de Joseph Losey, à classer parmi ses chefs-d’œuvre.
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tupeutla
Le 28 juin 2017
Édition remastérisée en 4/3 - 1.85 !
De qui se moque-t-on ?

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