HÄXAN

HÄXAN (1922) : le test complet du Blu-ray

ÉDITION ÉSOTÉRIQUE (limitée à 300 ex)

Réalisé par Benjamin Christensen
Avec Maren Pedersen, Clara Pontoppidan et Elith Pio

Édité par Potemkine Films

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Le 06/07/2021
Critique

Häxan, sous ses apparences de documentaire, est le prétexte imaginé par Benjamin Christensen pour laisser la bride sur le cou à ses fantasmes.

Häxan

Présenté à la manière d’une conférence, Häxan est un film-documentaire sur la sorcellerie, de l’antiquité à la période contemporaine du film (1922). La sorcellerie est représentée avec soin par des illustrations tirées d’ouvrages médiévaux et des reconstitutions filmiques. Du sabbat des sorcières aux interrogatoires de l’inquisition, les illustrations classiques prennent vie dans des visions spectrales inquiétantes utilisant tous les effets spéciaux disponibles à l’époque : surimpressions, maquettes, jump cuts, stop motion, maquillages et prothèses.

Häxan, le premier intertitre le précise, est « un exposé historique et culturel d’images vivantes en sept parties ». Pendant les quinze premières minutes s’affichent des statues d’animaux fantastiques et des gravures montrant sorcières et créatures diaboliques, avec les commentaires du Danois Benjamin Christensen, scénariste et réalisateur de cet étrange film, sorti en 1922.

Après des études médicales et plusieurs métiers, dont celui de négociant en champagne, il écrit et réalise ses deux premiers films, Det hemmelighedsfulde X (The Mysterious X, 1914), Hævnens nat (Night of Revenge, 1916), édités en vidéo au Danemark. Il tournera sept films, encore inédits, aux USA, de 1926 à 1929, dont trois ont été perdus, avant de revenir au Danemark pour y réaliser quatre longs métrages. Il a aussi été acteur, dans quelques-uns de ses films, notamment dans Häxan où il tient un rôle majeur, celui du Diable. On le reverra, deux ans plus tard, en tête de distribution de Michael de Carl Theodor Dreyer.

Häxan, son legs essentiel au cinéma, fait de lui le cinéaste danois le plus innovatif de la période du muet. Il a recours au stop motion pour animer les personnages des gravures, à des superpositions et des transparences pour réunir diables, sorcières et animaux fantastiques…

Häxan

Au-delà d’une habile utilisation de ces procédés, Häxan, dans sa revue des pratiques de la sorcellerie, montre des scènes de sabbat dans les vapeurs méphitiques d’une nuit de pleine lune, n’hésite pas à flatter le voyeurisme du spectateur en représentant diverses formes de torture, corps écartelés, os des jambes brisés par les brodequins, brûlures par de l’eau bouillante… Il insère quelques scènes grotesques, par exemple celle d’un bon gros moine qui semblait ne vivre que pour se goinfrer dont la libido est déchaînée par un philtre d’amour. Il utilise d’inventifs décors, costumes et maquillages, braque la caméra en très gros plans dur des visages distordus par la douleur et la peur. Tout cela crée des images qui s’impriment définitivement dans la mémoire du spectateur, avec la même force que les gros plans des visages des accusateurs que filmera en 1928 Carl Theodor Dreyer dans La Passion de Jeanne d’Arc… une autre histoire de femme suspectée d’avoir conclu un pacte avec le Diable.

On peut aussi voir dans Häxan un réquisitoire enflammé contre l’Inquisition, la chasse aux sorcières et aux hérétiques menée par l’église de Rome, qui laissait bien peu de chances à celles (80% des victimes étaient des femmes) dénoncées par quiconque. Si elles n’avouaient pas spontanément leur commerce avec le Malin pour être aussitôt conduites au bûcher, elles étaient, par la torture ou par des promesses mensongères, contraintes à l’aveu, summa probatio, la preuve suprême. Une pratique encore plus expéditive, le jugement de Dieu, consistait à les ficeler, pieds et poings liés, et à les jeter à l »eau : si elles se noyaient, on louait leur innocence ; si elles réussissaient à surnager, elles étaient ensorcelées et brûlées vives sans autre forme de procès. Benjamin Christensen se risque à prétendre qu’au fil des siècles, huit millions de sorcières auraient été brûlées. On estime aujourd’hui qu’en Europe jusqu’à 100 000 personnes auraient été victimes de l’Inquisition du XIIème au XVIIème siècle. À la fin du film, Benjamin Christensen rapproche le sort réservé aux femmes au Moyen-Âge à celui qui leur était encore infligé, au début du XXème siècle : enfermement dans des hospices des plus âgées, internement des plus jeunes pour hystérie.

Potemkine Films a eu l’excellente idée de ressortir Häxan. Sa première édition de 2011, depuis longtemps épuisée, est désormais surpassée par le choix d’une version restaurée en 2016 par le Svenska Filmintitutet (qu’avait utilisée Criterion pour son édition sortie aux USA en 2019), enrichie de nouveaux suppléments.

Cette « Édition ésotérique » de Häxan, limitée à 300 exemplaires, sort en même temps que deux autres éditions.

Häxan

Présentation - 5,0 / 5

Häxan (110 minutes) et ses généreux suppléments (257 minutes, sans compter le commentaire audio du film) tiennent sur un Blu-ray BD-50 et sur deux DVD-9, l’un avec le film et une partie des bonus, l’autre partie étant proposée sur le deuxième disque. Les trois disques sont logés, dans cette « édition ésotérique », limitée à 200 exemplaires, dans un digipack enfermé dans un coffret en bois, non fourni pour le test.

Une édition limitée au nombre plus que diabolique de 1 666 exemplaires, avec les mêmes bonus, est proposée dans un cartonnage noir.

Le menu animé et musical propose le film muet, avec le choix entre trois accompagnements musicaux au format audio DTS-HD Master Audio 2.0 stéréo.

À l’intérieur du coffret, la réduction de deux affiches du film, un tote-bag, et un livre de 132 pages, sous la direction de Nils Bouaziz, intitulé Lucifer et la sorcière. Il s’ouvre sur une introduction de Céline Du Chéné, auteur de Les Sorcières - Une histoire de femmes (Michel Lafon, 2019) retraçant l’évolution du regard sur la sorcière, « dénoncée dans les traités de démonologie du XVe siècle comme la figure du Mal (…) victime de la Grande Chasse aux XVIe - XVIIe siècles (…) à laquelle l’historien Jules Michelet donne un visage positif en 1862 ». Elle est même devenue « une icône féministe et agit aujourd’hui sans rougir (…), crie haut et fort sa colère ». « Häxan adopte un point de vue très féministe sur les sorcières (… avec) sa filiation symbolique entre exclues, sorcières ou hystériques ».

Häxan

Le livre se poursuit avec un passionnant article, Häxan, le film à travers les âges, de Fabien Delage, spécialiste du cinéma fantastique muet, réalisateur en 2016 du documentaire La Rage du Démon. Il rappelle la genèse du film, la collecte, pendant deux ans, par Benjamin Christensen d’une impressionnante documentation, sa recherche infructueuse d’un financement aux USA, l’accord de Svensk Filmindustri pour produire le film, la réalisation épique, perfectionniste (« le Diable se cache toujours dans les détails ») et inventive du « film le plus cher jamais tourné en Scandinavie (…) l’oeuvre la plus infernale du cinéma muet fantastique (…) annonçant le cinéma de genre », les concessions à la censure, la réception par la critique et le public. L’article se termine avec Häxan : the esoteric cut, l’histoire de la reconstitution et de la restauration d’un « monstre », opérée en 2020. Viennent ensuite, la fiche technique et artistique, la biographie et la filmographie de Benjamin Christensen, la page de garde du Malleus Maleficarum (Marteau des sorcières) et un résumé de ce qui fut le manuel de la sorcellerie des dominicains pendant l’Inquisition.

Viennent ensuite, sous la plume de Colette Arnould, professeur de philosophie, auteur de Histoire de la sorcellerie (Tallandier) et commentatrice du film dans cette édition, trois articles : Pourquoi la sorcière ? , expliquant le pourquoi du féminin, « tandis que le sorcier passe au second plan ». Avec Une société malade, elle établit que « le mal apparaît dans sa dimension la plus immédiate comme le déchirement de l’homme face à sa propre condition (…) et qu’il fallait qu’il se concrétise dans une image », celle du diable, et brosse un historique de la sorcellerie et de l’Inquisition. Enfin, elle rappelle la chronologie de la magie, la religion et la superstition, « associées », de l’antiquité au XVIIe siècle en passant par le Moyen Âge.

Le livre se referme sur un facsimile du livre Le Sabbat des sorciers, écrit par deux médecins, Bourneville et E. Teinturier, coédité en 1882 aux Bureaux du Progrès Médical et par A Delahaye et Lecrosnier, une source essentielle pour Benjamin Christensen.

Häxan

Bonus - 5,0 / 5

Repris de l’édition Criterion, sortie aux USA en 2019 :

Présentation par Benjamin Christensen pour la ressortie du film en 1941 (8’, suédois sous-titré). Il rappelle les particularités du cinéma muet, propice à représenter les rêves et le fantastique, « la parole chassant immédiatement l’illusion ». Le film rappelle la peur de l’enfer, les « catégories » de sorcières, celles qui vivaient de leur pratique et les autres, suspectées sans raison d’avoir commercé avec le Diable, dans un contexte où « l’accusation rendait coupable ».

Documents d’époque : décors, casting, essais d’effets spéciaux… (5’), un aperçu des sources de Benjamin Christensen, retrouvées dans ses archives par son chef-opérateur Johan Ankerstjerne : une vue du studio où le film fut tourné, deux essais de caméra dans un décor de chapelle, gros plans d’une actrice, essai rejeté d’une scène de vol de sorcières.

Witchcraft through the Ages, version narrée par William S. Burroughs (77’, noir et blanc, 1.33:1, 1080p, AVC, Dolby Digital 2.0 mono).

Autres suppléments :

Commentaire audio de Colette Arnould. Sans jugement sur l’esthétique du film, sur les techniques de réalisation, au-delà de quelques banales paraphrases de quelques scènes, elle identifie les images et les sources choisies par Benjamin Christensen, rappelle les connaissances historiques sur l’Inquisition et sur la sorcellerie, « une croyance vieille comme le monde », son association au Diable en des temps d’opposition manichéenne entre le bien et le mal (enregistré en 2021).

The Esoteric Cut : Witchcraft through the Ages (85’, sépia, 1.33:1, 1080p, AVC, Dolby Digital 2.0 mono) : un montage de 1958, raccourci de 25 minutes, avec les scènes dans le même ordre que le montage de 110 minutes, teinté en sépia, avec intertitres en anglais, restauré en 2020 et sonorisé par un accompagnement musical composé par le pianiste Lawrence Lehérissey.

La Sorcellerie à travers les âges, version narrée par Jean-Pierre Kalfon (82’, teinté, 1.33:1, 1080p, AVC, Dolby Digital 2.0 mono).

Häxan

Image - 5,0 / 5

L’image (1.33:1, 1080p, AVC), après la restauration opérée en 2016, est d’une surprenante qualité pour un film tourné il y a un siècle. D’une impeccable propreté, stable, agréablement contrastée, elle assure une parfaite lisibilité des scènes de nuit.

Son - 4,5 / 5

Le son DTS-HD Master Audio 2.0 stéréo des trois accompagnements musicaux proposés, de styles très différents, bénéficient d’une bonne dynamique et d’une généreuse ouverture satisfaisante de la bande passante. La séparation des voies, marquée pour le troisième accompagnement, est faible pour les deux autres.

Crédits images : © Aljosha Production Company, Svensk Filmindustri

Configuration de test
  • Vidéo projecteur SONY VPL-VW790ES
  • Sony UBP-X800M2
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • Diagonale image 275 cm
Note du disque
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Philippe Gautreau
Le 6 juillet 2021
L’impression sur la pellicule des fantasmes d’un réalisateur à l’imagination débordante crée des images qui restent gravées dans la mémoire après un premier visionnage. Ce film insolite, un jalon du cinéma fantastique, depuis longtemps introuvable, nous revient magnifiquement restauré et accompagné de plus de quatre heures de suppléments vidéo, d’un livre et d’un commentaire audio exclusif. Une édition définitive et un bel objet de collection !

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