Judex (1916) : le test complet du Blu-ray

Un des grands Ciné-romans qui attira les foules il y a plus d’un siècle nous revient, comme neuf, après une stupéfiante restauration !

Après que le comte de Trémeuse se soit suicidé en apprenant qu’il avait été escroqué et ruiné par le banquier Favraux, sa veuve fait jurer à ses deux jeunes fils, Jacques et Roger, de venger leur père. Des années plus tard, attirée par la fortune du banquier, une intrigante sans foi ni loi, Diana Monti, acoquinée à Moralès, un repris de justice, est devenue la maîtresse de Favraux qui lui annonce que le prochain remariage de sa fille Jacqueline, veuve avec un fils de 4 ans, Jean, fera d’elle la maîtresse de la maison. Un vieil homme, Pierre Kerjean, libéré après 20 ans de travaux forcés, une autre victime de Favraux, lui demande réparation. Le banquier l’éconduit avant de le renverser avec sa voiture et de le laisser pour mort. Arrivé à son bureau, il trouve une lettre signée Judex, lui laissant 24 heures pour léguer la moitié de sa fortune à l’Assistance Publique…

le 8 avril 1916. Le succès, en France et à l’étranger, des deux premiers feuilletons, baptisés Ciné-romans, sortis en 1913 et 1915, Fantômas et Les Vampires (disponibles dans le remarquable Coffret Coffret Louis Feuillade – les Sérials noirs (Fantomas & Les Vampires)), a encouragé les Établissements Gaumont à continuer d’exploiter la formule, ce que fera Louis Feuillade, devenu directeur artistique de la firme.

Judex, un personnage né sous la plume de Louis Feuillade et du romancier Arthur Bernède, est un personnage positif, un choix délibéré en réponse à ceux qui avaient reproché au studio d’avoir fait de criminels les héros des deux feuilletons précédents.

Judex, après un prologue de 40 minutes qui permet de présenter les personnages principaux et de nouer l’intrigue, déroule les affrontements entre bons et méchants, rythmés par d’inattendus rebondissements et le renfort des ingrédients du genre, chantages et trahisons, déguisements et identités multiples, enlèvements, morts qui reviennent à la vie, passages secrets… Tout ça filmé avec de nombreuses scènes tournées en extérieur, notamment dans les rues de Paris et dans le pittoresque cadre des Andelys, surplombé par les ruines de Château-Gaillard, renommé Château-Rouge, dans les souterrains duquel Jacques et Roger de Trémeuse ont dissimulé leur repaire, bourré de technologies d’avant-garde.

Judex, c’est René Cresté (mort en 1922 à 40 ans), alors connu pour être en tête de distribution des films de Léonce Perret, un des réalisateurs liés à Gaumont. D’une grande taille, il porte superbement les différents costumes sous lesquels il masque son identité pour apparaître en cavalier noir, vêtu d’un jodhpur, d’une redingote, de bottes, d’un feutre au large bord et d’une cape, une préfiguration d’un autre justicier, Zorro, que créera en 1919 Johnston McCulley.

Dans le reste de la distribution, on retrouve trois des acteurs principaux du feuilleton Les Vampires, Édouard Mathé qui jouait le reporter Philippe Guérande, Marcel Lévesque, alias Oscar Mazamette (le seul à avoir poursuivi sa carrière après l’arrivée du parlant) et, last but not least, l’incarnation du mal, Irma Vep, anagramme de Vampire, interprétée par Musidora. Deux enfants jouent aussi un rôle important. Dans le rôle du môme Réglisse, un poulbot gouailleur, René Poyen qui tint, dès l’âge de 4 ans, le rôle-titre de la série de 55 courts métrages Bout de Zan, de Bébé adopte un petit frère (1912) à Les Deux gamines (1921). Et, dans le rôle de petit Jean, en costume de marin avec de longues anglaises, on découvre une fillette, Olinda Mano, qu’on reverra dans quelques films de Louis Feuillade, notamment en tête de distribution du mélodrame Les Deux gamines.

Judex connut, comme les précédents feuilletons, un succès universel qui conduisit Louis Feuillade et Gaumont à filmer La Nouvelle mission de Judex, sorti en 1918, une suite en 12 épisodes reçue tièdement par le public. Georges Franju sortira le héros d’un long sommeil pour l’entraîner dans de nouvelles aventures dans son film Judex, sorti en 1963, avec Channing Pollock dans le rôle-titre et Francine Bergé dans le collant noir de Diana Monti.

Un autre ciné-roman fut réalisé par Louis Feuillade en 1918, Tih-Minh, du nom d’une jeune Indochinoise engagée dans la récupération d’un document secret, d’une primordiale importance pour la paix dans le monde, accaparé par de dangereux espions. Édité sur Blu-ray en même temps que Judex, il sera prochainement soumis à notre examen.

Judex (383 minutes, divisé en un prologue et 12 épisodes d’une durée allant de 12 à 44 minutes) et ses suppléments (19 minutes) tiennent sur deux Blu-ray BD-50 logés dans le classique boîtier bleu de 11 mm, glissé dans un fourreau. C’est la première édition vidéo du film.

Le menu animé et musical propose les épisodes avec un accompagnement au piano composé et joué par Patrick Laviosa, au format DTS-HD Master Audio stéréo.

Sous-titres anglais disponibles pour la traduction des intertitres.

Une édition DVD est sortie avec le même contenu.

Courir les rues avec Louis Feuillade (17’). Un document enregistré « à l’ombre du souvenir du Gaumont Palace », place Clichy, là où s’est installé, non loin des Studios Gaumont des Buttes-Chaumont, L’Image Retrouvée, la filiale française de l’Immagine Ritrovata de Boulogne, responsable de la restauration de Judex. Louis Feuillade a filmé d’autres villes, Venise, Milan, Tolède, Louvain, Marseille, mais est, « comme un Utrillo de la pellicule », mais est toujours resté sensible au charme de Paris. Interrogé par Pierre Philippe, Didier Blonde, essayiste et romancier, auteur de plusieurs ouvrages sur le cinéma muet, s’est attaché à « remonter le temps » en recherchant les lieux de tournage des films de Feuillade. Il dit avoir visité un appartement du 3, rue du général Langlois, anciennement habité par Musidora, où furent tournées des scènes du film Les Vampires. Feuillade, attaché aux décors réels, à « saisir la vie telle qu’elle est (…) avec des passants jouant le rôle de figurants involontaires » fit de Paris « le lieu du crime », au temps où l’on voyait circuler les derniers tramways à vapeur.

Judex restauré (2’). Ce module permet d’apprécier les surprenants gains apportés par la restauration à la propreté et à la stabilité de l’image, au rehaussement de la luminosité et des contrastes, à la densité des noirs. Un carton nous rappelle, à la fin de chaque épisode, que la restauration, entreprise en 2020, a été opérée après numérisation 4K d’un négatif nitrate Gaumont, complété par une copie nitrate teintée conservée par Lobster Films et que les intertitres ont été recréés à partir des scénarios déposés à la Bibliothèque Nationale.

On aurait aimé un documentaire ou un livret sur la reconstitution et la restauration du film, comme ceux que Pathé avait produits pour la sortie de La Roue d’Abel Gance, une des éditions majeures de l’année 2020.

L’image (1.33:1, 1080p, AVC) a bénéficié d’une restauration aux résultats stupéfiants, en comparaison de la plupart de celles effectuées sur des films plus que centenaires. Le court module joint dans les suppléments permet de mesurer le gain en propreté, stabilité et contrastes. On ajoutera un contrôle du grain parfaitement respectueux de la texture argentique.

Le son DTS-HD Master Audio 2.0 stéréo du piano délivre avec finesse le thème principal et les mélodies, sur des tempos variés, menuet, tango, valse, ragtime… composés par Patrick Laviosa qui avait assuré l’accompagnement musical de Judex en 1992 lors de la projection d’une première version restaurée à La Pagode.

Crédits images : © 1917 Gaumont (France) / Filmes Cinematografica (Italie)