Les Guêpes sont là (1978) : le test complet du Blu-ray

Un film abouti et une invitation à découvrir le cinéma du Sri Lanka, resté très confidentiel en France.

À Kalpitiya, petit village de pêcheurs du Sri Lanka, l’arrivée de jeunes citadins va provoquer de vives tensions au sein de la communauté. Victor est venu ici avec ses amis pour remettre de l’ordre dans les affaires de son père, un chef de pêche local. Mais le patriarche Anton ne voit pas d’un bon oeil ses nouvelles méthodes importées de la ville. Les frictions vont s’intensifier lorsque Victor jette son dévolu sur la séduisante Helen, déjà promise à un autre homme du village…

Les Guêpes sont là (Bambaru avith), sorti en 1978, le quatrième long métrage du réalisateur sri lankais Darmasena Pathiraja (1943-2018), fut tourné au même endroit que son deuxième long métrage Eya dan loku lamayek (1975), à Kalpitiya, à l’entrée d’un lagon, au nord-ouest de l’île, un endroit alors à l’écart des circuits touristiques.

Ce film, sur la dizaine recensée sur IMDb (International Movie Database), est le seul de Darmasena Pathiraja à avoir aujourd’hui été édité en vidéo en France et je n’ai trouvé que deux autres films du Sri Lanka dans nos catalogues DVD/Blu-ray : Le Domaine (Wekande walauwa, 2003), une adaptation de la pièce d’Anton Tchékhov par Lester James Peries (1919-2018), un des pionniers du cinéma indépendant sri lankais avec Revaka (La Promesse du destin, 1956), nommé à Cannes pour la Palme d’or en 1957, et La Terre abandonnée (Sulanga Enu Pinisa, Vimukthi Jayasundara, 2005), Caméra d’or à Cannes. Le premier film à avoir été produit et diffusé au Sri Lanka fut Kadawunu Poronduwa (La Promesse brisée) réalisé par Jyotish Sinha en 1947, juste avant la déclaration d’indépendance. Un autre grand auteur sri lankais contemporain est Asoka Handagama, dont deux films ont été distribués en France, This Is My Moon (Me mage sandai, 2000) et Flying with One Wing (Tani tatuwen piyabanna, 2002).

Les Guêpes sont là montre la rencontre, ou plutôt la collision, de deux cultures, celle des jeunes venus de Colombo, habillés à l’occidentale, et des pêcheurs en pagne, vivant en autarcie dans un village isolé où les rapports sociaux et les pouvoirs ont été définis par la tradition. L’arrivée de Victor, venu reprendre les affaires de son père avec l’intention de les faire fructifier, menace le pouvoir d’Anton, le chef du village qui fixait seul le prix du poisson. En séduisant Helen qu’il avait connue dans son enfance, Victor se fait un ennemi mortel de Cyril qui projetait de l’épouser.

Les Guêpes sont là, avec une histoire d’amour, des chansons et des danses, reprend des codes du cinéma indien, duquel il se démarque par son aspect documentaire. Il montre, avec réalisme, la pêche à la senne, un long filet ramené vers la plage, sur laquelle la pêche est vendue à la criée : thons, bonites, tortues et menu fretin, mais aussi la place prise par le catholicisme avec les croix du cimetière plantées sur la dune…

Le titulaire du rôle de Victor, Vijaya Kumaratunga, un chanteur alors célèbre au Sri Lanka, fit une belle carrière d’homme politique et d’acteur, interrompue par son assassinat en 1988. Il épousa Chandrika Bandaranaike, qui deviendra présidente du Sri Lanka de 1994 à 2005. Helen est interprétée par Malini Fonseka, une actrice renommée pour sa participation à 140 films, devenue députée. Anton, par Joe Abeywickrama, lui aussi très populaire au Sri Lanka pour ses emplois comiques.

Les Guêpes sont là, plus qu’une curiosité, séduit par la beauté de sa photographie, délibérément surexposée sous un aveuglant soleil dans les scènes de jour, avec de beaux clairs-obscurs dans les intérieurs ou les nombreuses scènes de nuit, par ses cadrages recherchés et par la fluidité de ses mouvements de caméra.

Les Guêpes sont là nous est proposé par Carlotta Films après une restauration de l’image et du son en résolution 4K, la première assurée par Asian Film Archive, opérée en 2019 et 2020 par l’Immagine Ritrovata, manuellement, à partir d’un positif très endommagé, selon un processus complexe, détaillé par un carton avant le générique. On nous dit qu’elle a nécessité 4 750 heures de travail.

Les Guêpes sont là (124 minutes) et ses suppléments (29 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50 logé dans un boîtier standard glissé dans un fourreau.

Le menu fixe et musical propose le film dans sa version originale, en singhalais, avec sous-titres optionnels, au format audio DTS-HD Master Audio 1.0.

Le film est aussi disponible dans une édition DVD, avec le même contenu.

Le ver est dans le fruit (26’, Allerton Films, 2022), un entretien avec Gérald Duchaussoy, responsable de la Section Cannes Classics au Festival de Cannes et chargé de la programmation au Marché International du Film Classique au Festival Lumière, à Lyon. En Inde et au Sri Lanka, dans les années 70, est né un « cinéma du milieu » entre cinéma commercial, avec chants, danses et histoires d’amour et cinéma d’auteur. Les films du Sri Lanka sont très peu distribués à l’étranger, sauf sur le continent indien. Les aides étatiques allouées au début des années 70 pour favoriser un cinéma indépendant ont permis à Darmasena Pathiraja de réaliser ses premiers films dans lesquels on sent une influence européenne, notamment des documentaristes britanniques. Le village de pêcheurs apparaît comme une terre vierge, à l’écart de tout. Pourtant, « le ver est déjà dans le fruit » : les bouteilles d’alcool et les cigarettes importées de la ville ont commencé à pervertir le mode de vie des autochtones, sourds aux appels d’un retour aux valeurs traditionnelles du « socialiste » venu de Colombo.

La restauration (1’). Ce module permet d’apprécier l’apport de la restauration à la propreté, la résolution, la densité, la luminosité, les contrastes et la stabilité de l’image.

Bande-annonce de la restauration (2’).

L’image (1.37:1, 1080p, AVC) est d’une qualité surprenante : sa propreté, sa stabilité, la fermeté de ses contrastes, la finesse de l’étalonnement du dégradé de gris ne permettent pas de deviner que le film a été récupéré sur un positif très endommagé. Dans quelques prises en basse lumière, les noirs manquent toutefois de densité, avec une tendance occasionnelle à se boucher.

Le son DTS-HD Master Audio 1.0 délivre clairement les dialogues et met assez bien en valeur la musique. Il a été nettoyé des bruits parasites liés à la détérioration de la piste optique, mais on entend, en bruit de fond, un léger grésillement assez régulier pour se faire vite oublier.

Crédits images : © 1978 KUSUMALATHA MALINI PATHIRAJA. Tous droits réservés.