La Vie des autres (2006) : le test complet du Blu-ray

Une évocation dramatique de la surveillance de la population par la Stasi dans la prétendue République Démocratique Allemande.

En 1984 à Berlin-Est, le dramaturge à succès Georg Dreyman et sa compagne, l’actrice Christa-Maria Sieland, font partie de l’élite intellectuelle de l’État communiste. Gerd Wiesler, un officier de la Stasi, la police politique créée en 1950, est cependant chargé de surveiller l’auteur, sans se douter qu’il s’agit d’une intrigue orchestrée par le ministre de la culture qui convoite la comédienne et souhaite se débarrasser de son compagnon. Tandis que Wiesler, redoutable professionnel, progresse dans l’enquête, le couple d’intellectuels le fascine de plus en plus…

La Vie des autres (Das Leben der Anderen), sorti en 2006, est le premier long métrage de Florian Henckel von Donnersmarck, né en 1973 et le fruit d’une longue gestation : l’écriture du scénario et des dialogues s’est étalée sur cinq ans. Tourné en seulement trente-huit jours, après une minutieuse préparation avec le chef-opérateur Hagen Bogdanski, pour le modeste coût de 1,8 millions d’euros, reste, à ce jour, son chef-d’oeuvre. Le cinéaste n’a, depuis, écrit et réalisé que deux autres films, The Tourist en 2010 et L’Oeuvre sans auteur (Werk ohne Autor) en 2018.

La Vie des autres, inspiré par quelques personnages réels, est centré sur l’évolution du regard de deux hommes sur le système de surveillance de la population mis en place par les dirigeants de l’Allemagne de l’Est (l’ex-RDA / DDR, Deutsche Demokratische Republik, créée en 1949). L’évolution de Gerd Wiesler, officier zélé de la Stasi, stimulée par la littérature et la musique découverte pendant sa surveillance, et celle du dramaturge Georg Dreyman, complaisant vis-à-vis du régime, jusqu’au suicide d’un de ses amis, interdit d’exercer son métier de metteur en scène pour ses prises de position politiques.

À ce thème principal, La Vie des autres ajoute une intéressante dimension documentaire couvrant une période de cinq ans, allant de 1984 aux quelques mois qui ont suivi la chute du mur, le 9 novembre 1989, notamment sur la mission de la Stasi et ses dérives qui ont soumis les Allemands de l’Est à l’arbitraire de quelques dirigeants du parti communiste, mais aussi, et de manière très détaillée, sur les méthodes employées pour surveiller les suspects, obtenir d’eux aveux et dénonciations avant de les neutraliser.

La Vie des autres s’appuie solidement sur le scénario original et des dialogues de Florian Henckel von Donnersmarck évitant clichés et manichéisme, finement servis par la distribution. Le rôle principal, celui de Gerd Wiesler, est tenu par Ulrich Mühe, universellement reconnu depuis Benny’s Video (1992) de Michael Haneke qui le réemploiera dans Funny Games (1997) et pour sa contribution à Amen.. (Costa-Gavras, 2002). Il réussit, avec un jeu d’une rare sobriété, à donner au personnage de Gerd Wiesler une intense présence. Face à lui, Sebastian Koch, lui aussi bien connu hors de l’Allemagne après plus d’une centaine de rôles, dont celui d’Otto Düring dans la saison 5 de Homeland. Le principal personnage féminin, bouleversant, est interprété par Martina Gedeck, une star en Allemagne, appréciée dans une autre page sombre de l’histoire de son pays, La Bande à Baader (Der Baader Meinhof Komplex, Uli Edel, 2008).

Une mise en scène épurée et un montage efficace maintiennent la tension dramatique. Une large place est accordée à la musique, à la partition originale de Stéphane Moucha, interprétée par l’Orchestre Philharmonique de Prague et à la Sonate vom guten Menschen, spécialement composée par Gabriel Yared, que Sebastian Koch joue lui-même au piano.

Récompensé en 2006 par la Deutsche Filmakademie pour la réalisation, le scénario, la photographie, les décors, le second rôle et la production, La Vie des autres a été salué, hors de ses frontières, par 80 prix, parmi lesquels l’Oscar et le BAFTA Award du Meilleur film étranger.

La Vie des autres (132 minutes) et ses suppléments (55 minutes, sans compter les deux commentaires audio du film) tiennent sur un Blu-ray BD-50 (seul testé) logé, pour cette édition combo, en compagnie d’un DVD-9, dans un boîtier glissé dans un étui.

Le menu animé et musical propose le film dans sa langue originale, l’allemand, avec sous-titres optionnels, et dans un doublage en français, les deux au format audio DTS-HD Master Audio 5.1.

À l’intérieur du boîtier, un livret de 20 pages, abondamment illustré, intitulé La Vie des autres : les années de plomb, écrit par Marc Toullec. Il n’a pas fallu attendre longtemps après la chute du mur de Berlin pour que « le cinéma allemand regarde dans le rétroviseur ». Avec Pays tranquille (Stilles Land, Andreas Dresen, 1992), Si loin, si proche (In weiter Ferne, so nah!, Wim Wenders, 1993) et Les Années du mur (Das Versprechen, Margarethe von Trotta, 1994). Florian Henckel von Donnersmarck, dont les parents sont originaires d’Allemagne de l’Est, s’investit dans le projet du film alors qu’il est encore à l’école du cinéma de Munich. Il précise le portrait de Gerd Wiesler, « un fonctionnaire zélé (…) a priori incapable d’empathie » et rassemble une importante documentation sur la Stasi avec l’aide de Manfred Wilke, expert de la commission d’enquête sur l’histoire de la RDA. Son parti pris d’authenticité est confirmé par le choix d’Ulrich Mühe (qui fut approché pour devenir informateur de la Stasi) et par le choix des lieux de tournage. Les réticences des distributeurs allemands et du Festival de Berlin furent contredites par l’accueil de la critique et du public, traduit par 2,3 millions d’entrées, 1,5 millions en France, 1,6 millions aux USA… et une recette mondiale de 70 millions d’euros.

Commentaire audio de Florian Henckel von Donnersmarck (dans un parfait anglais, Dolby Digital 2.0). Il rappelle le contexte historique des scènes, l’animosité que souleva Ulrich Mühe en Allemagne de l’Est, ses entretiens avec des témoins, le choix des acteurs et leur direction, l’importance qu’il attache à des scènes incidentes, les faits tirés de son histoire familiale…

Commentaire audio d’Ulrich Mühe (en allemand, DD 2.0). L’acteur, en laissant se dérouler plusieurs séquences sans intervenir, confie ses souvenirs du tournage et de sa vie en RDA, analyse la personnalité de Gerd Wielsen…

Ces deux commentaires, repris de l’édition TF1 Vidéo de 2007, constituent un utile apport au film et éclairent le contexte historique dans lequel se situe l’intrigue.

Entretien avec Caroline Moine, spécialiste de l’histoire de l’Allemagne (inédit 2022, 22’), enseignante au Centre d’Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines à l’Université Paris-Saclay, autrice de Cinéma et guerre froide : Histoire du festival de films documentaires de Leipzig 1955-1990 (Publications de la Sorbonne). Florian Henckel von Donnersmarck souhaitait réaliser un drame, un thriller d’espionnage « mêlant une histoire d’amour à des enjeux politiques » pour se démarquer de deux comédies sur le même thème, Sonnenallee et Good Bye Lenin ! (Wolfgang Becker, 2003). La Stasi, pour contrôler la population, a employé de 4 à 500 000 personnes, des officiels et des informateurs, les « IM » (Inoffizieller Mitarbeiter). La RDA a connu plusieurs crises : en juin 1953, une révolte des ouvriers sévèrement réprimée, et, à partir de 1970, les critiques des conditions de travail et de la censure par des intellectuels, représentés dans La Vie des autres par Georg Dreyman. L’évolution du regard des deux personnages principaux sur le régime soutenait l’idée d’une possible réconciliation entre les Allemands de l’Est et de l’Ouest.

Sept scènes coupées avec le commentaire audio optionnel, de Florian Henckel von Donnersmarck (9’).

Making of La Vie des autres (19’). Le réalisateur a interrogé des officiels de la Stasi, visité les lieux où ils travaillaient et rencontré certaines de leurs victimes. Le producteur Quirin Berg et Sebastian Koch rappellent que le titre initial du film, Sonate vom guten Menschen, indiquait la place qu’y tient la musique. Ulrich Mühe a appris, en 1990, qu’il avait été surveillé par la Stasi et obtenu, en consultant les archives ouvertes au public, le nom des informateurs qui l’avaient signalé. Son vécu à l’Est lui a permis d’apporter quelques retouches au scénario. La reconstitution de Berlin en 1984, des salles d’archives, la récupération des accessoires (dont une machine soufflant de la vapeur permettant l’ouverture de 600 lettres à l’heure !)… ont demandé beaucoup de travail. Selon le professeur Manfred Wilke (Forschungsverbund Berlin), aucun film n’avait présenté l’Allemagne de l’Est et « le destin d’un homme dans la dictature » avec autant de réalisme.

Le matériel d’espionnage de la Stasi (3’). Défilent, sans commentaires ni accompagnement musical, des appareils miniaturisés utilisés par la Stasi : appareil photo, caméra, magnétophone, micro pour téléphone, déformateur de voix.

Bande-annonce (1’46”).

Tous les bonus, y compris les commentaires du film, sont sous-titrés.

L’image (2.35:1, 1080i, AVC) déploie une froide palette de couleurs, dominée par le gris, le vert et le brun, en harmonie avec l’ambiance lugubre du récit. Un léger affinage du grain de l’édition DVD de 2007 apporte un sensible gain de résolution, sans dénaturer la texture du 35 mm.

Le son DTS-HD Master Audio 5.1, avec un léger gain en clarté et dynamique sur celui de l’édition de 2007, conserve un bon équilibre entre les dialogues, l’accompagnement musical et l’ambiance qui reste située sur le plan frontal par une trop faible sollicitation des canaux latéraux.

Le doublage, au même format, comme souvent, place trop en avant les dialogues.

Crédits images : © BetaFilm