Béla Tarr, le maître du temps - Coffret : Le Nid familial + L'Outsider + Damnation + Les Harmonies Werckmeister : le test complet du Blu-ray

Családi tüzfészek + Szabadgyalog + Kárhozat + Werckmeister harmóniák

Pack

Réalisé par Béla Tarr
Avec Irén Szajki, László Horváth et Gábor Kun

Édité par Carlotta Films

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Le 24/01/2024
Critique

Après l’incomparable Sátántangó, Carlotta Films propose 4 films de Béla Tarr, dont l’Outsider qui n’était pas encore sorti dans nos salles.

Béla Tarr, le maître du temps

Béla Tarr, le maître du temps propose quatre films du cinéaste hongrois Béla Tarr, né en 1955, trois fois sélectionné à Cannes où son film Damnation remporta le Prix France Culture en 2005 et L’Homme de Londres fut nommé pour la Palme d’or en 2007, ainsi qu’à Berlin, où furent retenus Sátántangó en 1994 et Les Harmonies Werckmeister en 2001 et où Le Cheval de Turin fut salué par l’Ours d’argent et le Prix FIPRESCI en 2011.

Béla Tarr a 22 ans en 1977 quand il tourne en quatre jours son premier long métrage, Le Nid familial, avant d’obtenir en 1981 le diplôme de L’École supérieure d’art dramatique et cinématographique de Budapest, la Színház és Filmművészeti Főiskola, devenue Zinhaz es Filmműveszeti Egyetem (SZFE), en situation très délicate depuis l’accession au pouvoir de Viktor Orbán en 1990. Farouchement indépendant, Béla Tarr fonda en 1980 le studio Tàrsulàs que les autorités communistes fermèrent en 1985. Film après film, il affirme son choix de thèmes sociaux et forge un style qui culminera avec Sátántangó, un film hors normes d’une durée de 7h20, le fruit de plusieurs années de travail montrant quelques moments de la vie des oubliés de la grande plaine de Hongrie au milieu des années 80, un chef-d’oeuvre universel du cinéma, toujours disponible dans une exceptionnelle édition sortie en 2020 par Carlotta Films.

Le Nid familial (Családi tüzfészek, sorti en 1979, noir et blanc, 1.37:1, DTS-HD Master Audio 1.0, 105 minutes), le premier long métrage de Béla Tarr, montre la vie difficile d’Irén, de son mari Laci, tout juste libéré de son service militaire, et de leur fillette, confinés dans l’exiguïté du studio d’une pièce cuisine des parents de Laci à Budapest. Le scénario est inspiré du vécu d’Irén Szajki, l’interprète d’Irén, qui dut vivre avec onze autres personnes dans un petit appartement.

Béla Tarr, le maître du temps

L’Outsider (Szabadgyalog, 1981, couleurs, 1.37:1, DTS-HD Master Audio 1.0, 128 minutes), encore inédit en vidéo en France, brosse, dans la petite ville de Balassagyarmat, à la frontière avec Slovaquie, le portrait d’András, dit Beethoven pour ses dons au violon. Instable, alcoolique, il laisse filer toutes les opportunités qui s’offrent à lui pour une vie meilleure.

Damnation (Kárhozat, 1988, noir et blanc, 1.66:1, DTS-HD Master Audio 1.0, 121 minutes). Dans une triste plaine dominée par des bennes de minerai défilant sur une ligne de pylônes à perte de vue, Karrer, un pilier du Titanik Bar, tombe amoureux d’une chanteuse mariée. Une phrase résume assez bien sa vie : « Tu entres dans cinq bars tous les soirs et tu t’écroules sur ton pieu toutes les nuits ».

Les Harmonies Werckmeister (Werckmeister harmóniák, 2000, noir et blanc, 1.66:1, DTS-HD Master Audio 1.0, 146 minutes), l’adaptation d’un roman de László Krasznahorkai, coréalisé avec Ágnes Hranitzky. János Valuska, vivant de petits jobs dans la petite ville de Baja, sur les rives du Danube, est le témoin d’un déchaînement de violences qui suit l’afflux d’étrangers attirés par l’annonce d’une attraction, l’exposition d’une baleine empaillée, et de l’arrivée d’un mystérieux prince.

Béla Tarr donne à tous ses films une portée politique et mêle une part de mystère au regard réaliste, très pessimiste, qu’il porte sur un monde en décomposition avec des personnages désemparés, souvent interprétés par des non-professionnels.

Béla Tarr, le maître du temps

On perçoit, dès ses premiers films, un style qui s’est affirmé à partir de Damnation pour se sublimer avec Sátántangó et Les Harmonies Werckmeister *. Il prend une forme très particulière, faite d’une suite de longs plans fixes ou de plans-séquences, surtout des travellings avant et arrière, suivant, en temps réel, le déplacement d’un personnage jusqu’à ce que sa silhouette finisse par se fondre dans l’arrière-plan ou, s’il s’avance sur nous, jusqu’à ce qu’il passe hors-champ, derrière la caméra.

La singularité des cadres et des jeux de lumière audacieux, avec contre-jours et clairs-obscurs, une autre caractéristique de son style, a été mise en valeur par Gábor Medvigy, chef-opérateur de Damnation, Sátántangó et Les Harmonies Werckmeister.

Dans la distribution, de nombreux non professionnels accentuant le réalisme des oeuvres. Ils côtoient des acteurs hongrois connus, tel Peter Fitz (1931-2013), partageant l’affiche de Les Harmonies Werckmeister avec deux acteurs allemands, Lars Rudolph et Hanna Schygulla. Béla Tarr allait les réunir à nouveau tous les trois en 2011 pour Le Cheval de Turin.

Béla Tarr, le maître du temps, un précieux coffret pour découvrir un cinéaste à part, à l’écart de toute influence, au style inoubliable !

(*) Ce curieux titre se réfère au compositeur allemand Andreas Werckmeister (1645-1706), un théoricien du « tempérament inégal » que cite György Eszter, un personnage du film.

Béla Tarr, le maître du temps

Présentation - 5,0 / 5

Le coffret Béla Tarr, le maître du temps offre quatre films d’une durée cumulée de 500 minutes, supportés par trois Blu-ray BD-50, logés dans un Digipack à trois volets glissé dans un épais étui noir.

Les films sont tous proposés sous leur format originel, au ratio de 1.37:1 et 1.66:1, en hongrois avec sous-titres optionnels, avec un son mono, réencodé au standard DTS-HD Master Audio 1.0.

À l’intérieur du Digipack, un livret de 80 pages, illustré de photos des films, intitulé Béla Tarr, les métamorphoses d’un visionnaire, rédigé par Mathieu Lericq, chercheur et enseignant à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, et Damien Marquet, maître de conférences au département cinéma de la même université, tous deux spécialistes du cinéma de l’Europe de l’Est (Damien Marquet avait assuré la présentation de Sátántangó dans l’édition de 2020). Le livret s’ouvre sur une courte biographie de Béla Tarr, « cinéaste précoce et révolté », et sur la synthèse d’une oeuvre faite de « fictions documentaires (…) qui visent à dénoncer les contraintes qui pèsent sur la vie des classes populaires ». Suivent, une analyse sur cinq pages de chacun des quatre films, les synopsis et fiches technique et artistique et une filmographie sélective. Un précieux complément !

Béla Tarr, le maître du temps

Bonus - 3,0 / 5

Sur le Blu-ray supportant Damnation :

Entretien avec Béla Tarr (février 2019, Arbelos Films, hongrois, sous-titré, 10’). Il souligne le côté très concret de la réalisation, un travail d’équipe. Le visionnage de Damnation a permis de constater qu’il correspondait aux intentions nées au cours du tournage, un mélange de réalité et de fiction. Il regrette que les films doivent être numérisés, les salles n’étant plus équipées de projecteurs 35 mm et pense qu’il faudra que le tournage s’adapte désormais aux nouvelles technologies. Il se souvient que Damnation, comme Sátántangó, fit scandale en Hongrie où il ne fut pas compris, alors qu’il connut un réel succès ailleurs.

Béla Tarr, le maître du temps

Entretien avec Mihàly Vig (août 2020, Arbelos Films, hongrois, sous-titré, 14’). Le compositeur de la musique de Sátántangó, Les Harmonies Werckmeister et Le Cheval de Turin se souvient d’avoir rencontré Béla Tarr dans l’appartement qu’il partageait avec Ágnes Hranitzky : il voulait lui confier la composition de la musique d’Almanach d’automne (Oszi almanach, 1984). Il dut résister à des directives sur la conduite de son travail du réalisateur. Béla Tarr l’appellera, pourtant, pour son film suivant, Damnation, pour lequel, après avoir lu le scénario, il a recherché des musiciens de bar. Les mouvements de caméra étaient synchronisés avec la musique préenregistrée, diffusée sur le plateau. Pour Sátántangó, il est resté une dizaine de jours sur le plateau de la scène du bal. Pour Mihàly Vig, la composition de la musique de film, « un art appliqué, entièrement consacré au film », doit « servir l’histoire. »

Bande-annonce (2’20”) du cycle Béla Tarr, le maître du temps en 3 films : Le Nid familial, L’Outsider, inédits en salles en France, et Damnation, distribué en salles par Carlotta Films en avril 2022.

Béla Tarr, le maître du temps

Image - 4,0 / 5

L’image, au ratio originel de 1.37:1 pour Le Nid familial et L’Outsider, 1.66:1 pour Damnation et Les Harmonies Werckmeister, après une restauration opérée en Hongrie en 2018 et 2019, essentiellement à partir des négatifs originaux, et un encodage au standard 1080p, AVC, est propre (deux poils rebelles ont toutefois échappé à la vigilance des restaurateurs des deux premiers films), stable, agréablement contrastée, avec des niveaux de gris soigneusement étalonnés. Le grain argentique a été préservé, mais avec un traitement hétérogène : assez marqué dans Le Nid familial et L’Outsider, tournés en 16 mm, il a été réduit dans certains plans de Les Harmonies Werckmeister à la limite d’une dénaturation de la texture du 35 mm.

Béla Tarr, le maître du temps

Son - 4,0 / 5

Le son mono, après restauration et encodage DTS-HD Master Audio 1.0, a été débarrassé des bruits parasites liés à la dégradation de la pellicule, mais pas d’un souffle, cependant assez discret et régulier pour se faire oublier.

Béla Tarr, le maître du temps

Crédits images : © LE NID FAMILIAL © 1977 NATIONAL FILM INSTITUTE HUNGARY - FILM ARCHIVE. Tous droits réservés.
L’OUTSIDER © 1980 NATIONAL FILM INSTITUTE HUNGARY - FILM ARCHIVE. Tous droits réservés.
DAMNATION © 1987 NATIONAL FILM INSTITUTE HUNGARY - FILM ARCHIVE. Tous droits réservés.
LES HARMONIES WERCKMEISTER © 2000 GOËSS FILM AIRTIME INTERNATIONAL MEDIA KFT. - VON VIENTINGHOFF FILMPRODUKTION GMBH - 13PRODS. Tous droits réservés.

Configuration de test
  • Vidéo projecteur SONY VPL-VW790ES
  • Sony UBP-X800M2
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • Diagonale image 275 cm
Note du disque
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Philippe Gautreau
Le 25 janvier 2024
Un précieux coffret pour découvrir un cinéaste à part, à l’écart de toute influence, au style inoubliable, qui donne à tous ses films une portée politique et mêle une part de mystère au regard réaliste, très pessimiste, qu’il porte sur des personnages désemparés dans un monde en décomposition.

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