Lettre d'une inconnue (1948) : le test complet du 4K UHD

Letter from an Unknown Woman

Édition collector limitée - 4K Ultra HD + Blu-ray

Réalisé par Max Ophüls
Avec Joan Fontaine, Louis Jourdan et Mady Christians

Édité par The Jokers

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Le 30/03/2023
Critique

Cette ressortie du chef d’oeuvre de la période américaine de Max Ophüls enrichit le catalogue Ultra HD du cinéma de patrimoine.

Lettre d'une inconnue

Vienne 1900. Tard dans la nuit, Stefan Brand, un pianiste à la gloire passée, homme à femmes, rentre chez lui. Il doit, au petit matin, affronter en duel un mari trompé. Mais il a décidé de s’enfuir quand son serviteur lui remet la lettre d’une inconnue, à l’en-tête d’un hôpital. Elle est signée par Lisa Berndle qui, bien des années avant, alors qu’elle n’avait que 16 ans, avait été fascinée par son charme, avant de devoir quitter Vienne pour suivre ses parents. À 18 ans, sa passion pour Stefan toujours ardente, elle revient à Vienne…

Lettre d’une inconnue (Letter from an Unknown Woman), sorti en 1948, est l’adaptation de la nouvelle éponyme publiée en 1922 par Stefan Zweig, Brief einer Unbekannten. Howard Koch, immortalisé par sa contribution à l’écriture du scénario de Sergent York (Sergeant York, Howard Hawks, 1941) et de Casablanca (Michael Curtiz, 1942), salué par un Oscar, a, avec Max Ophüls, apporté quelques aménagements à l’histoire originale, notamment en faisant de l’écrivain un pianiste et en ajoutant l’idée du duel.

Lettre d’une inconnue est le deuxième des cinq films réalisés par Max Ophüls aux USA (sous le nom de Max Opuls que lui ont attribué les studios). Après avoir, en 1933, pour fuir le nazisme, quitté l’Allemagne où il venait de réaliser son premier chef-d’oeuvre, Liebelei (toujours dans l’attente d’une édition en France), il se réfugia en France et y tourna une douzaine de films avant de partir en 1941 pour les USA où il dut rester inactif pendant quatre longues années. Il put enfin, en 1947, réaliser L’Exilé (The Exile), grâce au soutien de Douglas Fairbanks Jr.. Lettre d’une inconnue surpasse ses deux derniers longs métrages américains, sortis en 1949, Caught et The Reckless Moment (disponible au Royaume Uni).

By the time you read this letter, I may be dead. I have so much to tell you.

« Quand vous lirez cette lettre, je serai peut-être morte. J’ai tant à vous dire ». Le début de cette lettre, lu trois minutes après le générique, donne la couleur mélodramatique de l’oeuvre. Et aussi le signal d’un long retour en arrière sur une histoire d’amour impossible, en grande partie racontée par la lecture que Lisa fait de sa lettre, en voice over.

Lettre d'une inconnue

Lettre d’une inconnue, en dépit de l’austérité de sa source, communique subtilement l’ambiguïté de Lisa interprétée par Joan Fontaine, parfaitement dirigée par Max Ophüls qui, venu du théâtre, portait une très grande attention au jeu des acteurs par de longues répétitions. Louis Jourdan est là dans un de ses meilleurs rôles, le second qu’il tient à Hollywood après Le Procès Paradine (The Paradine Case, Alfred Hitchcock, 1947).

Lettre d’une inconnue envoûte par le remarquable achèvement de sa mise en scène, par la composition de ses cadrages et de la fluidité des mouvements de caméra, notamment dans l’inoubliable séquence de l’entrée à l’opéra, obtenus avec l’active complicité de Franz Planer (1894-1963), un des très grands chefs-opérateurs : avec 163 films à son actif, il fut cinq fois nommé aux Oscars, notamment pour Le Champion (Champion, Mark Robson, 1949), mais aussi pour La Mort d’un commis voyageur (Death of a Salesman, Laslo Benedek, 1951, toujours inédit en vidéo en France) et pour deux chefs-d’oeuvre de William Wyler, Vacances romaines (Roman Holiday, 1953) et La Rumeur (The Children’s Hour, 1961). À signaler, aussi, l’apport, pour un tournage entièrement en studio, du chef-décorateur Alexander Golitzen, oscarisé pour trois films majeurs, Le Fantôme de l’opéra (Phantom of the Opera, Arthur Lubin, 1943), Spartacus (Stanley Kubrick, 1960) et Du silence et des ombres (To Kill a Mockingbird, Robert Mulligan, 1962).

Lettre d’une inconnue, une nouvelle longtemps réputée intransposable à l’écran, inspira pourtant deux remakes. Le premier, en 1963, de l’Égyptien Salah Abouseif, Ressalah min Emraa Maghoula, le second, de Jacques Deray en 2002, avec Irène Jacob et Christopher Thompson, sur un scénario de Jean-Claude Carrière.

La ressortie par The Jokers de Lettre d’une inconnue vient à point nommé, après l’épuisement de l’édition Carlotta Films de 2014. C’est aussi, après une restauration par Paramount Pictures et Ignite Films, probablement celle opérée pour l’édition Blu-ray sortie par Olive aux USA en 2017, la première en Ultra HD.

Lettre d'une inconnue

Présentation - 4,0 / 5

Lettre d’une inconnue (87 minutes) tient sur un Blu-ray BD-66 4K UHD et sur un Blu-ray BD-50. Ce dernier supportant aussi les suppléments (29 minutes, sans compter le commentaire audio du film). Les deux disques sont logés dans un boîtier non fourni pour le test, effectué sur check discs.

Le menu propose le film dans sa langue originale, l’anglais, avec sous-titres imposés, au format audio DTS-HD Master Audio 2.0 mono.

À l’intérieur du boîtier, un livret de 46 pages, illustré de photos du film et du tournage, propose un extrait de Génériques, la vraie histoire des films Volume 1 de Philippe Garnier. Il souligne le rôle déterminant de William Dozier, directeur adjoint de production de Universal International et mari de Joan Fontaine, ses ruses avec la censure pour faire passer l’adaptation d’une histoire défiant tous les interdits du code Hays et ses efforts pour réunir le financement du film en dépit des difficultés du studio. Howard Koch accepte d’écrire le scénario à condition que le film soit réalisé par Max Ophüls qui participa également à son écriture. Joan Fontaine et Louis Jourdan étaient déjà retenus avant l’arrivée d’Ophüls qui complétera la distribution avec des acteurs de théâtre exilés, comme lui. On lui laisse imposer Franz Planer pour la photo et Alexander Golitzen pour les décors, satisfaire sa manie du détail en multipliant les prises et tourner les scènes d’opéra dans les décors d’Othello, A Double Life que George Cukor venait de terminer. Mais il doit se battre pour modifier un premier montage qui avait mutilé le film et l’accompagnement musical, avec le soutien de Dozier. Mal distribué, couplé avec un navet, le film attira peu d’entrées et Universal ne renouvela pas le contrat d’Ophüls.

Lettre d'une inconnue

Bonus - 5,0 / 5

Tous les suppléments sont repris de la première édition vidéo du film, sortie en 2003 par Wild Side Video.

Commentaire du film par Philippe Roger, alors maître de conférences en cinéma à l’Université Lumière Lyon 2, auteur d’une thèse et d’articles sur l’oeuvre de Max Ophüls. Dans son analyse Lettre d’une inconnue, « une sorte de remake secret de Liebelei », il souligne le premier plan, identique au dernier, rappelant l’obsession d’Ophüls pour la « mise en miroir des éléments », la finesse de la direction d’acteurs, l’apport fondamental de la photographie et des jeux d’ombre et de lumière de Franz Planer, la quasi-absence de gros plans, les espaces tantôt grouillants tantôt déserts, l’importance des décors dont les éléments jouent le rôle d’obstacles pour les personnages, la musique et des bruits ambiants, « le silence très parlant » du serviteur muet, « le rôle métaphorique des objets », le fréquent « regard à distance des personnages », à travers des vitres ou des rideaux, « le passage de l’érotisme à la gravité pascalienne », les envols suivis d’une redescente, l’opposition entre le trivial et le sublime, entre le profane et le sacré, la mise en scène influencée par le théâtre, le défilement du temps marquant « la réalité de l’existence »…

Enrichie par de nombreux renvois à tout l’oeuvre d’Ophüls, cette analyse fine et approfondie, plan par plan, permet de découvrir toute la beauté du film, la subtilité de sa mise en scène. Un modèle du genre !

À propos de Louis Jourdan, entretien avec Olivier Minne, auteur de Louis Jourdan, le dernier french lover de Hollywood, publié par les Éditions Séguier en 2017 (25’, DTS 2.0). En 1946, Louis Jourdan décide, à 25 ans, de suivre la voie ouverte par Charles Boyer et de faire carrière aux USA. Il avait été découvert par David O. Selznick qui lui assigne un second rôle dans Le Procès Paradine d’Alfred Hitchcock. Louis Jourdan signe un contrat avec Rampart, une société de production indépendante créée par Joan Fontaine qui aura des relations distantes avec lui pendant tout le tournage du film. Avec le soutien de Max Ophüls, il a réussi à donner une réelle épaisseur au personnage de Stefan.

Présentation du film par Noël Herpe, alors maître de conférences à l’université de Caen, aujourd’hui à Paris VIII, historien et critique de cinéma et réalisateur (4’). Film atypique d’Ophüls, réalisé après des années difficiles aux USA, Lettre d’une inconnue, le chef-d’oeuvre de sa période américaine, annonce « un tournant vers un plus grand dépouillement (…) dans son art poétique ».

Entretien avec Noël Herpe avec Ulla de Colstoun (21’). Pour Noël Herpe, Max Ophüls, sans cacher l’origine littéraire du matériau, revient à un type de mélodrame qui avait été illustré au début du parlant et qu’exploitera Douglas Sirk dans les années 50. « L’histoire d’une femme maîtresse de son destin », sans recours à des effets spectaculaires, « nous montre l’envers du décor ». Max Ophüls dévoile subtilement « l’image d’innocence ambiguë que Joan Fontaine avait dans Rebecca et Suspicion (…) et le côté bellâtre de Louis Jourdan ». La caméra, comme chez Kenji Mizoguchi, suit « la manière de se mouvoir (…) de personnages qui ont peur de se laisser enfermer dans le discours ».

Ulla de Colstoun, assistante personnelle de Max Ophüls de son retour en France en 1949 à sa mort en 1957, se souvient. « Le mouvement était inné chez lui », ses relations avec les acteurs « respectueuses et détendues » autant qu’exigeantes, au cours de longues répétitions. N’étant pas un grand technicien ; il s’appuyait sur une équipe fidèle et portait une attention méticuleuse aux décors et aux accessoires.

Lettre d'une inconnue

Image - 4,0 / 5

L’image (1.33:1, 4K, HEVC, SDR10), très propre, stable, déploie un fin dégradé de gris, soigneusement étalonné. On peut regretter que n’ait pas été fait le choix du HDR qui aurait permis d’affermir les contrastes, d’accentuer la luminosité des blancs et la densité des noirs et, peut-être, d’améliorer la résolution. Le grain aurait pu être légèrement affiné sans dénaturer la texture du 35 mm.

Lettre d'une inconnue

Son - 4,5 / 5

Le son, au format DTS-HD Master Audio 2.0 mono sur les deux disques, très propre lui aussi, pratiquement sans souffle, assure la clarté des dialogues et délivre avec une assez bonne dynamique, dans une bande passante inévitablement cantonnée dans le medium, les bruits d’ambiance et la musique auxquels Max Ophüls attachait tant d’importance.

Crédits images : © The Jokers Films - La Rabbia

Configuration de test
  • Vidéo projecteur SONY VPL-VW790ES
  • Sony UBP-X800M2
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • Diagonale image 275 cm
Note du disque
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Philippe Gautreau
Le 30 mars 2023
Le chef-d’œuvre de la période américaine de Max Ophüls envoûte par le remarquable achèvement de sa mise en scène, par la composition de ses cadrages, la fluidité des mouvements de caméra et la beauté de la photographie de Franz Planer. Une ressortie attendue du film, récemment restauré.
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Franck Brissard
Le 22 mars 2014
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