Le Mépris (1963) : le test complet du 4K UHD

4K Ultra HD + Blu-ray - 60ème Anniversaire

Réalisé par Jean-Luc Godard
Avec Brigitte Bardot, Michel Piccoli et Jack Palance

Édité par Studiocanal

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Le 11/08/2023
Critique

Cette première édition UltraHD du chef d’oeuvre de Jean-Luc Godard devient une référence pour la qualité de l’image et du son.

Le Mépris

Camille aime son mari, Paul Javal, un écrivain français vivant à Rome. Le producteur Jeremy Prokosch demande à Paul de remanier le scénario de l’Odyssée, un film que Fritz Lang tourne à Rome et à Capri. Et, subitement, peut-être parce qu’elle imagine qu’il veut la jeter dans les bras de Prokosch, Camille réalise qu’elle n’aime plus son mari et, pire, qu’elle le méprise.

Le Mépris, sorti en 1963, est l’adaptation du roman Il Disprezzo, initialement publié par Alberto Moravia en 1954 sous le titre Il Fantasma di mezzogiorno, racontant la rupture de Riccardo et Emilia, rebaptisés Paul et Camille par Jean-Luc Godard. C’est film le plus célèbre du cinéaste, vu par beaucoup comme son chef-d’oeuvre. Sorti dans cinq salles en France en décembre 1963, alors classé par les Cahiers du cinéma dans le top 10, il cumula 380 000 entrées cette année-là en se plaçant au septième rang du box-office des films français, un faible score pour un film avec Brigitte Bardot. Tièdement accueilli par la critique, le film fut encensé par Louis Aragon qui écrivit n’avoir « rien eu de mieux depuis Renoir ».

Le Mépris

Les coproducteurs Georges de Beauregard, Carlo Ponti et Joseph E. Levine allouèrent à Jean-Luc Godard ; qui s’était acquis une réputation internationale en 1960 avec À bout de souffle et en dépit de l’échec commercial d’Une femme est une femme et de Vivre sa vie, un budget d’une importance sans commune mesure avec celle dont il avait jusque-là pu disposer, tout en lui laissant une grande liberté. Mais, pour assurer la rentabilité de leur investissement, ils avaient toutefois exigé quelques scènes de nudité de Brigitte Bardot, devenue une star planétaire en 1956 depuis Et Dieu… créa la femme.

Le Mépris, derrière le thème si souvent exploité de la dissolution d’un couple, dévoile un hommage au cinéma, à sa grandeur, symbolisée par Fritz Lang et aussi un avertissement sur sa fragilité, sur son exposition au risque d’une soumission au diktat de l’argent, au pouvoir d’un producteur inculte. Au bas de l’écran sur lequel ont été projetés les rushes de L’Odyssée, s’inscrit en grandes lettres la traduction en italien de la fameuse prédiction de Louis Lumière : « Il cinema è un’invenzione senza avvenire ». Et les personnages passent, à la sortie de la projection, devant l’affiche d’un autre film sur une histoire de rupture, Viaggio in Italia, pour un affectueux clin d’oeil à Roberto Rossellini qu’affectionnait particulièrement Jean-Luc Godard.

Le Mépris

Avec Le Mépris, Godard fait aussi brillante démonstration de son style, notamment de l’originalité de son approche du montage de l’image et du son et du parti qu’il savait tirer de la largeur du cadre du CinemaScope, un ratio qu’il n’avait auparavant utilisé qu’une fois, pour Une femme est une femme. On garde du premier visionnage du film le souvenir de la richesse du rendu des couleurs des costumes, des décors, en particulier de la villa construite sur un promontoire rocheux de Capri par Curzio Malaparte, et des paysages, une richesse soulignée par la contribution de Raoul Coutard, chef-opérateur de 16 longs métrages de Jean-Luc Godard. Tout aussi inoubliable, la musique originale, romantique et inspirée, de Georges Delerue, compositeur de l’accompagnement musical de plus de 300 films, oscarisé pour I Love you, je t’aime (A Little Romance, George Roy Hill, 1979).

Depuis longtemps considéré comme un chef-d’oeuvre du cinéma universel, Le Mépris, ressorti en salles le 24 mai 2023, a été retenu dans la sélection Cannes Classics qui honore, depuis 2004, « le travail de valorisation du patrimoine effectué par les sociétés de production, les ayants droit, les cinémathèques ou les archives nationales à travers le monde (…) et met le prestige du Festival au service du cinéma retrouvé, accompagnant ainsi la sortie en salles ou en vidéo des grandes oeuvres du passé. »

Un choix des organisateurs du festival probablement dû à cette édition du soixantième anniversaire, la première en UltraHD, sortie neuf mois, jour pour jour, après la disparition de Jean-Luc Godard. Le film a bénéficié d’une restauration commandée par Studiocanal et opérée, de 2021 à 2023, par Hiventy à partir d’un scan 4K du négatif original, de l’interpositif et d’une copie retravaillée en 2002 par le chef-opérateur Raoul Coutard. Elle détrône indiscutablement les éditions précédentes.

Le Mépris

Présentation - 4,0 / 5

Le Mépris (104 minutes) tient sur deux Blu-ray, un BD-66 4K UHD et un BD-50. Les bonus sont supportés en partie (39 minutes) par le premier disque et en totalité (91 minutes) par le second. Les deux disques sont logés dans un digipack à deux volets, glissé dans un étui dessiné par l’affichiste Laurent Durieux.

Le menu propose le film en français, anglais, allemand et italien, ses langues originales, et dans un doublage en anglais et en allemand, tous au format audio DTS-HD Master Audio 2.0 mono.

Piste d’audiodescription DTS 2.0 et sous-titres pour malentendants.

Sous-titrage disponible en anglais et allemand.

Collé à la couverture intérieure du digipack, un livret de 24 pages, intitulé L’Indifférence des dieux, à propos du Mépris de Jean-Luc Godard, écrit par l’infatigable Jean-Baptiste Thoret. « Le Mépris (…), le film le plus connu de Jean-Luc Godard et souvent le plus apprécié de ceux qui ne lui vouent pas un culte automatique (…), un réservoir de plans et d’images devenus iconiques (…), un grand film solaire », loin des « espaces urbains et plutôt gris » des précédents, est une magistrale adaptation d’un ouvrage vu par le cinéaste comme « un joli roman de gare plein de sentiments classiques et désuets », d’où il fait ressortir l’opposition entre « une société ancienne fondée sur des valeurs traditionnelles et un monde moderne pragmatique et cynique, (…) entre un passé glorieux et un avenir matérialiste ». Il éclipse les motivations de l’héroïne du roman pour en faire « une pure énigme, (…) un personnage insondable », principalement dans la longue scène avec Paul dans l’appartement romain, « le coeur battant du Mépris ». (une coquille sur l’orthographe de Sophia Loren à la page 8 a échappé à tous les regards).

Le Mépris

Bonus - 4,0 / 5

Sur les deux disques :

Présentation du film par Colin MacCabe (6’), universitaire, auteur de nombreux articles sur le cinéma et de l’ouvrage Screen Theory, publié en 1970. Parmi les films de Jean-Luc Godard, Le Mépris est le plus connu, celui dont la mise en scène est la plus conventionnelle et le plus cher, en partie pour le cachet de Brigitte Bardot, alors devenue la plus importante star de cinéma en Europe. Jean-Luc Godard, au temps où il était critique aux Cahiers du cinéma, avait assisté à la chute provoquée par la télévision du Hollywood qu’il vénérait, symbolisée par Fritz Lang, obligé de se soumettre aux caprices d’un producteur.

Suivent deux courts métrages restaurés de Jacques Rozier, en noir et blanc et 1.37:1, pris pendant le tournage de Le Mépris :

Paparazzi (22’). Pas facile pour les curieux d’approcher le lieu du tournage et « la femme la plus photographiée du monde ». Mais, jouant à cache-cache avec les carabinieri, les paparazzi armés de téléobjectifs de 300 mm, se faufilent partout. « Ils sont là » pour voler des photos qui seront interprétés à la guise de « la presse qui regarde par le trou de la serrure » : baisser la tête pour regarder les marches devait nécessairement signifier tout autre chose, être le signe d’un désarroi. Jacques Rozier écoute et imagine leurs lamentations.

Le Parti des choses : Bardot et Godard (10’). « Le prétexte du film, c’est peut-être le roman de Moravia, son objet, c’est Brigitte Bardot (…) dans un film qui ne pouvait avoir que le cinéma comme suje.t » Grâce à Godard, « Brigitte Bardot n’est pas devenue Camille, mais Camille est devenue Brigitte Bardot. » « Depuis À bout de souffle, chaque film de Godard est un document vrai sur la femme moderne. » Un bon aperçu du tournage, commenté avec humour.

Bande-annonce originale (2’30”)… plutôt originale !

Le Mépris

Sur le seul Blu-ray BD-50 :

Il était une fois… Le Mépris, d’Antoine de Gaudemar (2009, 52’), le douzième des 52 volets de la collection de Serge July et Marie Génin, Un film & son époque, diffusée par France 5. Jean-Luc Godard réalise « l’histoire d’un film qui se fait et d’un couple qui se défait » à 33 ans, trois ans après le succès international d’À bout de souffle, « à une époque où la France a soif de renouveau, (…) à la période de la Nouvelle vague, née en 58, qui n’aura duré que quatre ans », une période de crise du cinéma avec l’arrivée de la télévision. Il n’avait pas lu le roman dont Carlo Ponti détenait les droits, mais avait apprécié Les Ambitions déçues (Le Ambizioni sbagliate, 1935). Godard dit avoir aimé un film avec Brigitte Bardot, Et Dieu créa la femme. Jacques Rozier voit dans Le Mépris la rencontre de la Nouvelle vague et du cinéma traditionnel, représentés par Godard et Brigitte Bardot, « l’âme de notre époque » dira Jean Cocteau. Michel Piccoli garde un bon souvenir du cinéaste qui l’avait « godardisé » en lui faisant porter le même chapeau que lui et fumer des havanes. Godard rappelle avoir obtenu de Brigitte Bardot qu’elle diminue la hauteur de sa coiffure crêpée d’autant de centimètres qu’il ferait de pas en marchant sur les mains. Une intéressante discussion entre Fritz Lang sur la mise en scène, sur la relation réalisateur-producteur, a été extraite de Le Dinosaure et le bébé, André S. Labarthe, 1967, un volet de la case Cinéastes de notre temps. André Bergala, auteur de Godard au travail, souligne le compromis du Mépris, Godard devant donner des gages à la production en échange des généreux moyens alloués. « On a toujours des moyens techniques ou financiers, mais on nous a dépouillés de nos moyens intellectuels », résume le regard de Jean-Luc Godard sur le cinéma d’après les années 60.

Le Mépris

Image - 5,0 / 5

L’image (2160p, HEVC - Dolby Vision, HDR10 sur le BD-66, 1080p, AVC sur le Blu-ray BD-50), au ratio original 2.35:1, après la restauration commandée par Studiocanal pour le soixantième anniversaire du film, apparaît dans une impeccable propreté, agréablement contrastée avec des blancs lumineux, des noirs denses et les couleurs primaires, caractéristiques du film, soutenues par un nouvel étalonnage comme elles ne l’avaient jamais été dans les précédentes éditions. Une bonne résolution a été obtenue, avec un respect le grain du 35 mm, affiné et régulier.

Le Mépris

Son - 5,0 / 5

Le son DTS-HD Master Audio 2.0 mono, très propre lui aussi, garantit la clarté des dialogues et donne une belle ampleur, sans saturations, à la musique originale de Georges Delerue.

Crédits images : © Studiocanal

Configuration de test
  • Vidéo projecteur SONY VPL-VW790ES
  • Sony UBP-X800M2
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • Diagonale image 275 cm