Pique-nique à Hanging Rock (1975) : le test complet du 4K UHD

Sa beauté formelle et le mystère qu’il distille donnent à ce chef-d’oeuvre un pouvoir d’envoûtement que le temps n’a pas altéré.

Comme chaque année, le 14 février 1900, les élèves d’une école de jeunes filles vont pique-niquer à Hanging Rock, un monolithe qu’une éruption volcanique a fait surgir il y a un million d’années dans l’État de Victoria. Quatre élèves ignorent les mises en garde de la directrice du pensionnat et partent explorer le rocher, un ancien lieu de culte des Aborigènes. Une des jeunes filles revient après avoir vu ses trois camarades s’engager dans un étroit défilé. On retrouvera, une semaine plus tard, l’une d’entre elles, amnésique. Les battues organisées ne fourniront aucune explication sur la disparition des deux autres et d’une enseignante partie à leur recherche ce 14 février…

Pique-nique à Hanging Rock (Picnic at Hanging Rock), sorti en 1975, est le deuxième de la douzaine de longs métrages réalisés par Peter Weir, de ses débuts pour la télévision en 1968 jusqu’à sa retraite après la sortie, en 2010, de Les Chemins de la liberté (The Way Back). La version du film qui nous est proposée n’est pas celle de la première sortie en salles, mais un montage, plus court de 8 minutes, décidé par le réalisateur.

Pique-nique à Hanging Rock fut le premier film à assurer la renommée internationale de Peter Weir et, au-delà, le premier film australien à connaître un réel succès à l’étranger, après l’attention que suscitèrent chez les cinéphiles Wake in Fright (Réveil dans la terreur) de Ted Kotcheff et Walkabout, le film très australien du réalisateur britannique de Nicolas Roeg.

Pique-nique à Hanging Rock est l’adaptation d’un bestseller éponyme publié en 1967, le plus célèbre de la romancière et dramaturge Joan Lindsay (1896-1984), qu’elle dit avoir écrit en deux semaines après un rêve inspiré d’une rumeur qui circula en 1913 et de ses souvenirs des années de pensionnat à la Clyde Girls’ Grammar School qui, cinq ans après la fin de sa scolarité, fut transférée à Woodend… à proximité de Hanging Rock ! Le dernier chapitre, dissipant le mystère, retiré sur les conseils avisés de l’éditeur, sera repris dans un nouveau roman, The Secret of Hanging Rock, publié après la mort de la romancière, en 1987.

What we see and what we feel is a dream, a dream in a dream

Pique-nique à Hanging Rock fait partie de ces quelques films qui restent gravés dans la mémoire pour la troublante confusion qu’ils créent entre le réel et le fantastique, à l’instar, notamment, de l’inoubliable chef-d’oeuvre de Jack Clayton, Les Innocents (The Innocents, 1961). Les montres s’arrêtent le 14 février à midi, au pied de Hanging Rock. L’effet d’un fort champ magnétique ou la suspension du cours du temps par des forces inconnues ?

Pique-nique à Hanging Rock distille un subtil parfum d’érotisme pendant l’escapade des quatre jeunes filles sur le piton rocheux, une manifestation de leur volonté d’échapper au rigorisme victorien transplanté aux antipodes. Il est particulièrement pesant dans le pensionnat, bien que Mrs. Appleyard, la directrice, ait exceptionnellement autorisé les jeunes filles à retirer leurs gants en raison de la chaleur étouffante. Quelle force les poussera, cheveux au vent sans leur panama, à se débarrasser de leur corset, de leurs bottines et de leurs bas noirs ?

Si le scénario de Cliff Green réussit à extraire toute l’essence du mystère créé par le roman, Pique-nique à Hanging Rock doit aussi beaucoup à la beauté de la photographie du chef-opérateur Russell Boyd, saluée par un BAFTA Award. Il sera oscarisé en 2004 pour Master and Commander - De l’autre côté du monde (Master and Commander: The Far Side of the World), un des six films de Peter Weir auxquels il a contribué.

Rachel Roberts (Le Prix d’un homme / This Sporting Life, 1963, un des grands films de Lindsay Anderson) tient le rôle de Mrs. Appleyard. Anne-Louise Lambert, Vivean Gray et Margaret Nelson, surtout connues sur les petits écrans australiens, sont troublantes dans leur interprétation de Miranda, Greta McGraw et Sara.

Une courte partition originale pour piano, orchestre et choeur de Bruce Smeaton accompagne l’arrivée des quatre jeunes filles au pied du rocher. Le reste du film est illustré par des extraits de musique classique, du Clavier bien tempéré de Bach, de l’Adagio du concerto n °5 pour piano de Beethoven, de la sérénade Eine kleine Nachtmusik de Mozart. Mais ce dont on se souviendra surtout, c’est la mélopée jouée à la flûte de pan Gheorghe Zamfir, le leitmotiv du film.

Pique-nique à Hanging Rock (108 minutes) tient sur un Blu-ray Ultra HD BD-66 et sur un Blu-ray BD-50 logés dans un boîtier avec étui. Les suppléments, d’une durée cumulée de 90 minutes, sont supportés par le Blu-ray BD-50, le disque UHD n’accueillant qu’une présentation du film en 5 minutes.

Le menu propose le film dans sa langue originale, l’anglais, avec sous-titres optionnels, au format audio DTS-HD Master Audio 5.1, et dans un doublage en français DTS-HD MA 2.0 mono.

Deux autres éditions sont disponibles : une édition spéciale FNAC ajoutant au contenu de l’édition limitée un DVD exclusif avec le documentaire de 120 minutes, A Dream Within a Dream: The Making of ‘Picnic at Hanging Rock’, réalisé par Mark Hartley en 2004.

Reste toujours inégalée l’édition limitée 4K UHD et Blu-ray, sur quatre disques, sortie par Second Sight Films en mai 2023 au Royaume Uni, avec pas loin de trois heures de bonus, un commentaire inédit du film et un exemplaire du roman.

Sur les deux disques :

Présentation du film par Bernard Bories, directeur du Festival des Antipodes (4’). Il se souvient d’avoir été, en 1977, « ébloui (…), transformé par ce film qui l’a emmené dans un autre imaginaire » au point de s’investir dans la découverte et la diffusion du cinéma australien. On peut voir dans ce film « la fin d’un monde, des paysages magiques, une autre dimension… ».

Sur le seul Blu-ray BD-50 :

Le dernier jour de la Saint-Valentin, un entretien avec Olivier Père (2021, 37’), directeur d’ARTE France Cinéma. L’histoire, purement fictionnelle, s’inscrit dans « un univers corseté », à la fin de l’ère victorienne, juste avant l’indépendance de l’Australie, acquise le 1er janvier 1901. Pique-nique à Hanging Rock est resté un des grands films de « l’âge d’or du cinéma australien », l’oeuvre d’un jeune cinéaste qui réalisera, en Australie et aux USA, avec une « vision personnelle » des films majeurs dans plusieurs registres. Pique-nique à Hanging Rock évoque la confrontation de la culture occidentale à la magie de la civilisation aborigène, une idée récurrente du cinéma de Peter Weir et du cinéma australien. Olivier Père souligne « l’érotisme latent » du film, sa dimension sexuelle symbolisée par les pics dressés et les anfractuosités ouvertes sur les parois de Hanging Rock. Sa dimension cosmique le rapproche du prologue de 2001 : L’Odyssée de l’espace et son esthétique a inspiré Sofia Coppola pour The Virgin Suicides. Le thème ancien à la flûte de pan « renforce la dimension païenne » du film…

Présentation publique par la réalisatrice Mati Diop lors de sa carte blanche à l’Étrange festival en 2019 (12’). Pique-nique à Hanging Rock fait partie des rares films qui l’ont vraiment marquée, notamment ses trente premières minutes qui nous font entrer dans un univers très particulier, annonçant « le choc de deux mondes ».

A recollection… Hanging Rock 1900 (1975, 26’). Le mystère, l’aspect maléfique de Hanging Rocket, le sentiment de malaise créé par le roman, les questions posées restées sans réponses ont intrigué Peter Weir, l’ont incité à « jongler entre les deux ambiances du livre, une histoire d’époque et une histoire très contemporaine ». Pour lui, la séparation entre le réel et la fiction reste très floue. Joan Lindsay dit avoir toujours ressenti la magie du lieu, dont l’image lui revenait le soir avant de s’endormir. Sous la conduite par la productrice Patricia Lovell, on revisite des lieux qu’elle a fréquentés, une stèle à la mémoire de trois enfants disparus en 1867, le manoir de Martindale Hall, construit en 1879… (interviews de Peter Weir, Joan Lindsay, Rachel Roberts, Dominic Guard, du directeur artistique David Copping, et nombreux extraits du film).

Hanging Rock et Martindale Hall : hier et aujourd’hui (6’). Sans commentaires, accompagnées par la musique de Gheorghe Zamfir, des prises récentes rapprochées de plans du film montrent que rien n’a changé depuis 1975… ce qui n’est guère étonnant !

Bande-annonce d’origine (5’).

L’image 4K HEVC - HDR10, au ratio originel de 1.66:1, après une récente restauration opérée à partir du scan 4K du négatif original conservé par la National Film & Sound Archive of Australia, apparaît débarrassée de toute marque de dégradation de la pellicule, dans une chaude palette de couleurs réétalonnées sous la supervision de Peter Weir et Russell Boyd. Une surprenante résolution a été obtenue au prix d’une altération de la texture du 35 mm, avec de bons résultats sur le piqué des plans larges, beaucoup plus discutables sur les visages en gros plans auxquels l’excès de lissage donne un aspect cireux. Ce qui démontre, une fois de plus, l’exercice de corde raide que constitue la restauration d’un film de patrimoine.

Le son mono d’origine, remixé avec un encodage DTS-HD Master Audio 5.1, très propre lui aussi, garantit la clarté des dialogues et souligne l’importance que Peter Weir souhaitait donner à l’ambiance et aux effets sonores qui restent situés sur le plan frontal, sans recherche d’une spatialisation artificielle. La répartition du signal sur les cinq canaux améliore sensiblement l’aération de la musique.

Le doublage en français DTS-HD Master Audio 2.0 mono est également très propre avec une bande passante limitée dans les graves.

Crédits images : © Australian Film Commission, BEF Film Distributors, McElroy & McElroy, Picnic Productions, South Australian Film