Hommage à Cecil B. DeMille (1915) : le test complet du DVD

Ce coffret de 4 DVD offre une sélection de six films muets réalisés par Cecil B. DeMille entre 1915 et 1928.

Cecil B. DeMille est surtout connu pour avoir été le réalisateur de superproductions, comme Sous le plus grand chapiteau du monde, mais surtout de celle, démesurée, gigantesque, Les Dix commandements, la version de 1956 (son dernier film), couronnée par sept Oscars, avec Charlton Heston et Yul Brynner. Ce film, le dernier qu’il réalisera, reste le plus cher de toute l’histoire du cinéma : son budget de 80 millions de dollars représenterait aujourd’hui la bagatelle de 0,7 milliards de dollars. Pharaonique !

Mais, comme les nains de Werner Herzog, Cecil B. DeMille aussi avait commencé petit, dès 1914. Et, de sa période « muette », sauf erreur, n’étaient disponibles en France que quelques rares films : Jeanne d’Arc (Joan the Woman, 1916), Forfaiture (The Cheat, 1915), dans un coffret d’hommage à Mary Pickford, La Petite Américaine (1917), L’Admirable Crichton (Male and Female, 1919) et Réquisitoire (Manslaughter, 1922), tous édités par Bach Films.

Ce coffret vient, d’un seul coup, largement doubler le nombre de titres disponibles de cette période : à Forfaiture, qui était déjà dans le catalogue de Bach Films, s’ajoutent cinq autres films encore inédits.

Adam’s Rib (1923, 102’) : Michael Ramsay, qui spécule sur le prix du blé, connaît un revers de fortune. Son épouse se laisse séduire par le prince Jaromir de Morania, déchu de son trône par une révolution… (Attention : rien à voir avec la comédie éponyme de Georges Cukor, rebaptisée chez nous Madame porte la culotte). Ce mélodrame bourgeois sur l’infidélité conjugale aurait certainement subi, s’il était sorti une dizaine d’années plus tard, les foudres du code Hays.

Les Bateliers de la Volga (The Volga Boatman, 1926, 120’) : La princesse Vera, fiancée au prince Dimitri, officier du tsar, tombe amoureuse de Feodor qui peine à gagner sa maigre subsistance en halant des bateaux sur les rives de la Volga. Vera et Feodor sont emportés dans l’affrontement entre les révolutionnaires, les rouges, et les tsaristes, les blancs…

La Fille du Far West (The Girl from the Golden West, 1915, 45’ et non 55’ comme indiqué au dos de l’étui) : Le sheriff aimerait bien épouser la Fille, propriétaire d’un bar. Mais celle-ci n’a d’yeux que pour un bandit de grand chemin…

Les Damnés du coeur (The Godless Girl, 1929, 128’) : Judy a fondé une association athéiste dans son lycée, ce qui l’oppose à Bob, un chrétien. La mort d’une jeune fille lors d’une échauffourée entre athéistes et croyants conduit Judy et Bob dans une maison de redressement…

Forfaiture (The Cheat, 1915, 58’) : Edith, une bourgeoise dépensière, a  » emprunté  » 10.000 dollars dans les caisses de l’organisation caritative dont elle est trésorière. Devant l’impossibilité de rendre les fonds à temps, elle se fait prêter la somme par Haka Arakau, le roi de l’ivoire, interprété par Sessue Hayakawa, au début d’une longue carrière d’acteur qui le mènera en 1957 à tenir le rôle du cruel colonel Saito dans Le Pont sur de rivière Kwai de David Lean.

Saturday Night (1922, 102’) : Les riches héritiers Iris et Richard sont prêts à annoncer leurs fiançailles. Mais Richard tombe amoureux de Shamrock, la fille d’une blanchisseuse, tandis qu’Iris épouse Tom, son chauffeur…

Chacun de ces films, à cent lieues des grandes fresques historiques qui ont fait la renommée de Cecil B. DeMille, révèle son talent. Leur comparaison au tout venant des réalisations de l’époque permet, au premier coup d’oeil, d’apprécier le talent du réalisateur, par la qualité des cadrages, de la direction d’acteurs. Et aussi du montage qui, dans Les Damnés du coeur, par exemple, réussit à entretenir un suspense haletant dans deux longues scènes, celle de l’évasion et celle de l’incendie de la maison de redressement.

À signaler également la beauté des décors, par exemple des intérieurs extravagants des films Les Bateliers de la Volga ou Saturday Night. Mais on sent le goût naissant de Cecil B. DeMille pour la démesure dans la forêt aux arbres gigantesques reconstituée en studio d’Adam’s Rib quand il nous ramène à la préhistoire, 50 000 ans en arrière, pour rappeler l’immuabilité de l’éternel féminin.

Voilà pour la forme. Sur le fond, l’intérêt de ces films dramatiques tient à l’acuité du regard porté par le réalisateur sur la société américaine de l’après-guerre. La famille est dépeinte sans complaisance dans Adam’s Rib, dans Forfaiture et, également, dans Saturday Night qui souligne avec une forte insistance la mauvaise fortune à laquelle sont promis les mariages entre milieux sociaux trop différents.

Rien d’étonnant à cela : Cecil B. DeMille n’a jamais caché ses penchants conservateurs. Et pourtant, dans Les Bateliers de la Volga, il n’hésite pas à renvoyer dos à dos les rouges et les blancs, les deux camps se rendant coupables des mêmes ignominies. Et l’étalage de l’inhumanité de la maison de redressement dans Les Damnés du coeur ne peut être vu que comme un plaidoyer en faveur de la liberté de conscience…

Ce coffret offre aux cinéphiles la précieuse opportunité d’approfondir leur découverte de l’oeuvre d’un grand cinéaste.

Les quatre DVD sont présentés dans un digipack à quatre volets inséré dans un étui cartonné. La décoration du digipack et des disques est faite d’affiches ou d’un montage de photos des films retraité, avec beaucoup de goût, dans un graphisme de style art déco.

Tous les films sont au format original (1.33:1), en noir et blanc, teinté selon les codes de l’époque pour Les Bateliers de la Volga.

Les cartons originaux sont traduits par des sous-titres français incrustés qui recouvrent souvent les deux dernières lignes, interdisant leur lecture.

Chaque film est présenté par Patrick Brion. Ses interventions, allant de 4 à 8 minutes, contiennent quelques trop rapides analyses des films, mais sont surtout illustrées d’anecdotes. Il nous apprend ainsi que l’actrice Fannie Ward était si détestable que Sessue Hayakawa avait souvent regretté de faire seulement semblant de la marquer au fer rouge ! Le personnage, peu sympathique joué par Sessue Hyakakawa, japonais en 1915, est devenu birman lors de la ressortie du film en 1918, pour ne pas froisser l’Empire Levant et la nombreuse colonie nippone des USA ! On nous dit aussi que Les Damnés du coeur aurait dû être parlant sans la résistance Cecil B. DeMille, encore très attaché au cinéma muet… et mille autres choses encore !

L’image (1.33:1, noir et blanc) avoue souvent son âge, la restauration complète de ces films exigeant des moyens qui dépassent certainement ceux d’un petit éditeur spécialisé dans la diffusion de vieux films, le plus souvent inédits en vidéo.

Dans l’ensemble, les inévitables marques de l’âge sur des films quasi-centenaires (taches, griffures, pompage) sont suffisamment discrètes pour ne pas gâter le plaisir de la découverte d’oeuvres inconnues pour la plupart. La seule dégradation vraiment importante affecte La Fille du Far West pendant seulement une minute (à 8’). Pour le reste, les atteintes du temps sont très tolérables. Ce qui justifie, au regard de l’âge des films et de leur diffusion restreinte, la note attribuée. D’autant plus que le coffret nous réserve une agréable surprise avec Les Bateliers de la Volga présenté dans une copie impeccable, celle-là magnifiquement restaurée !

Le son au format MPEG 2.0 a été choisi pour l’accompagnement musical. L’économie du Dolby Digital ne cause aucun préjudice : le son est propre et ne manque pas d’ampleur.

Crédits images : © Bach Films