Mémoire d'une dictature oubliée : Albanie, 1945-1992 : le test complet du DVD

Une chape de plomb a longtemps couvert les crimes de la dictature que quatre documentaires ont mis au grand jour.

L’Albanie est restée, de 1945 à 1992, sous le joug du parti communiste. Elle fut dirigée pendant quarante ans par Enver Hodja, un dictateur qui chercha l’appui de la Yougoslavie, puis de l’URSS, et ensuite de la Chine. Après son décès en 1985, le pays resta dirigé par le parti communiste jusqu’à sa défaite électorale en 1992. Contraint au silence par la peur, intoxiqué par la propagande, le peuple est resté isolé du reste du monde. Les horreurs commises par le régime totalitaire ne seront vraiment découvertes qu’après 1992 quand le pays faisait ses premiers pas sur le chemin, semé d’embûches, vers la démocratie…

Mémoire d’une dictature oubliée : Albanie 1945-1992 est composé de quatre films écrits et réalisés par le documentariste Jean-Louis Berdot et produits par Michel Faure :

Albanie, autopsie d’une dictature (1993, 52’) : victimes et témoins décrivent, avec l’appui d’archives cinématographiques, ce que fut la tragédie et l’enfermement de l’Albanie pendant les 45 ans de répression, de mensonges, d’isolement et de paranoïa du régime communiste.

Enver Hodja ou l’imposture albanaise (1995, 52’) : inspirant adulation et terreur, Enver Hodja a régné en maître absolu sur l’Albanie de 1945 à 1985. Un portrait du dernier des staliniens et une analyse des données sociales, économiques et idéologiques du régime qu’il a instauré.

Où vas-tu Albanie ? (1997, albanais et italien, 56’) : quelques années après la fin de la dictature, que devient l’Albanie ? Espoirs et désillusions avec la crise des pyramides financières qui a mis le pays à feu et à sang en 1997.

Les Belles étrangères, Albanie (1998, 49’) : treize écrivains albanais invités en France par le ministère de la culture donnent leurs vues sur la dictature et leur conception de la littérature.

Mémoire d’une dictature oubliée : Albanie 1945-1992 s’ouvre sur une annonce à la télévision, le 11 avril 1985 : celle, « dans le plus grand désespoir et la plus grande tristesse », du décès du « glorieux dirigeant de notre peuple, le camarade Enver Hodja ». Désigné secrétaire du parti communiste en 1941, il acquiert en 1945 le pouvoir absolu. Ses opposants, quand ils ne sont pas exécutés, sont arrêtés, incarcérés, déportés, ainsi que leurs proches. Une répression brutale : en seulement 48 heures, près de 4 000 personnes furent arrêtées les 15 et 16 mai 1947.

Mémoire d’une dictature oubliée : Albanie 1945-1992 donne la parole à des témoins, hommes politiques, écrivains, artistes, historiens qui rappellent ce qu’était la vie des Albanais pendant la dictature. Un strict isolement, comparable à celui de la Corée du Nord, maintenait le peuple dans l’ignorance. Par la terreur et par une propagande mensongère, on apprenait aux gens « à ne plus penser » : les livres étrangers étaient bannis, on ne pouvait ni sortir du pays, ni entrer à l’université sans la bénédiction du parti communiste. Derrière le bonheur du peuple officiellement proclamé haut et fort s’imposait un « égalitarisme dans la misère » générant une profonde amertume qui ne pouvait pas s’exprimer. La peur était, « la compagne de la vie quotidienne (…) obligeant chacun à jouer un rôle, (…) à mentir ».

Les initiatives d’Enver Hodja prenaient souvent un tour ubuesque : l’auteur et le metteur en scène d’une pièce qui lui avait déplu, après avoir été loué par le numéro 2 du régime, furent condamnés à dix ans de réclusion ! Il avait aussi défiguré la campagne en faisant construire 600 000 casemates pour protéger la nation d’une invasion étrangère !

La chute de la dictature laissa la bride sur le cou à un capitalisme sans règles, à « une vision frénétique de l’individualisme ». Le rêve de « l’Albanie de l’an 2000 » bascula dans le cauchemar en février 1997 avec la crise des pyramides financières, une escroquerie à grande échelle qui dépouilla la plupart des familles de leurs économies et déclencha de violentes émeutes dans tout le pays.

Mémoire d’une dictature oubliée : Albanie 1945-1992 est un passionnant recueil de quatre films qui avaient levé le voile cachant au reste du monde la terreur instaurée en Albanie. Ils donnent une vision claire et précise du cauchemar vécu par les Albanais pendant près d’un demi-siècle.

Mémoire d’une dictature oubliée : Albanie 1945-1992 est composé de quatre documentaires (d’une durée cumulée de 209 minutes) et de suppléments (60 minutes). Ils tiennent sur deux DVD-9 logé dans un Digipack à deux volets.

Le menu propose les films dans leur langues originales, français, albanais et italien, avec sous-titres incrustés dans l’image, au format audio Dolby Digital 2.0 stéréo.

Discussion entre le producteur Michel Faure et Jean-Louis Berdot, réalisateur des films (2022, 32’). Attiré par l’Albanie depuis son admiration pour l’écrivain Ismaïl Kadaré, Jean-Louis Berdot s’est rendu à Tirana après l’effondrement du régime communiste. Il a pu assister à la découverte par le peuple de la liberté, du désordre, de la pauvreté, de la corruption, et rencontrer des victimes de la répression exercée par Enver Hodja. Il a été témoin de l’euphorie ambiante, puis de la panique entraînée en 1997, pendant la mandature de Sali Berisha, le premier président de la république, par la crise des pyramides financières, et des violentes émeutes auxquelles une intervention des forces armées de l’ONU a mis fin. Michel Faure, parti en 1976 en Albanie pour y réaliser un documentaire sur une famille albanaise, s’est aperçu que cette « famille » avait été composée par les autorités. Il eut la chance de visiter tout le pays et pu ressentir une ambiance de mensonge, de « fausse parole ».

Entretien avec J. Paul Champseix, universitaire, spécialiste de l’Albanie (2023, 28’). Les Albanais sont fiers de leurs ancêtres, les Illyriens, arrivés en Europe au cours du deuxième millénaire avant J.C., dont Pyrrhus fut une figure emblématique. Skanderbeg fut le héros de la résistance contre les Ottomans qui finirent par rattacher l’Albanie à leur empire. La dictature a imposé de rudes épreuves à la population : Enver Hodja a été jusqu’à importer la « révolution culturelle » après son allégeance à Pékin en 1978. Une grande confusion sur la propriété des terres fait partie des problèmes à régler, mais le pays peut espérer développer l’agriculture, les services et le tourisme.

Deux intéressants entretiens, complémentaires, conduits par Nicolas Billon.

L’image argentique, au ratio 1.33:1, est propre, stable, agréablement contrastée, avec un grain relativement homogène. L’état variable des archives s’explique par les conditions de leur enregistrement, après projection sur un écran de copies non restaurées, les négatifs ayant disparu. Des défauts techniques largement compensés par leur intérêt documentaire.

Le son Dolby Digital 2.0 stéréo, propre et clair, avec une très faible séparation des deux canaux, apparaît monaural. Le commentaire des archives est prédominant sur le canal gauche.

Crédits images : © EAV Productions