Cartes sur table (1966) : le test complet du Blu-ray

Réalisé par Jess Franco
Avec Eddie Constantine, Françoise Brion et Fernando Rey

Édité par Gaumont

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Le 05/11/2018
Critique

Cartes sur table

Cartes sur table (Fr.-Esp. 1965) de Jesus Franco est une parodie qui mélange espionnage et science-fiction. Elle est parfois plastiquement mignonne car dotée d’une belle photo N&B écran large mais c’est un titre mineur de sa filmographie. Dommage car la présence des belles Françoise Brion et Sophie Hardy d’une part, de Fernando Rey d’autre part, sans oublier celle de savoureux assassins-robotisés ni celle d’une villa à la décoration intérieure surchargée conférant un aspect inquiétant et vénéneux à leur quartier général, pouvaient vraiment faire espérer mieux. Notons que Furia à Bahia pour OSS 117 (Fr.-Ital., sorti le 2 juillet 1965) d’André Hunebelle s’ouvrait, la même année, par la même idée : une série d’assassinats commis par des fanatiques semblant robotisés. Le contexte géopolitique inquiétant (guerre froide avec les régimes expansionnistes communistes et maoïstes) de 1965 se reflète de toute évidence, sous des dehors plus ou moins légers, dans ces productions populaires d’espionnage.

Cartes sur table

Franco, voulant marcher sur les brisées du Alphaville (Fr. 1965) de Jean-Luc Godard, reprend Eddy Constantine dans un rôle semblable à ceux qu’il avait tenus depuis 1953 : rien de nouveau sous le soleil de ce côté-là ! Peut-être cet aspect du casting fut-il imposé à Franco par la coproduction (sans qu’il l’avoue par la suite puisqu’on nous assure qu’ils s’étaient bien entendus sur le tournage) ? Voulant aussi rivaliser avec l’humour référentiel et vaguement distancé de Godard, Franco fait de la publicité pour Alphaville (en voix-off au moment où le héros et une jolie espionne sortent de l’autocar) et ajoute « André S. Labarthe » à la liste (imprimé par un ordinateur Bull relié à une imprimante à aiguilles, occupant à eux deux l’équivalent d’une grande table de salle à manger et faisant le bruit d’une vieille machine à laver) des victimes au groupe sanguin Rhésus zéro ! En fait, Jacques Siclier et André S. Labarthe avaient publié en 1958 un petit livre, aujourd’hui oublié mais qui fut un des premiers consacrés au sujet en France, intitulé Images de la science-fiction dans la si jolie collection 7ème Art des éditions du Cerf. Labarthe et Franco avaient donc, au moins car un troisième est mentionné dans les suppléments mais il ne concerne pas directement l’histoire du cinéma, deux points communs : ils aimaient le cinéma fantastique et Jean-Luc Godard.

Cartes sur table est une série B de cinéma-bis oscillant, sur le plan du budget, entre série B et série C mais néanmoins rachetée par les quelques minutes de cinéma pur que le critique André Bazin avait raison de rechercher dans chaque film (sans toujours, il faut bien en convenir, les trouver ni sans toujours les chercher dans dans les films où il aurait pu les trouver) : l’assassinat délirant d’un cardinal par un homme-robot dans un aéroport, un zoom sur le visage d’une entraîneuse ou d’une strip-teaseuse, Françoise Brion cravachant une femme-robot se révélant insensible à la douleur, tous les gros de la belle espionne brune jouée par Sophie Hardy.

Cartes sur table

Présentation - 4,0 / 5

1 Blu-ray édité par Gaumont collection Découvertes, le 11 avril 2018. Durée du film en Blu-ray : 93 minutes environ. Image N&B Full HD 1080p au format original 1.66 respecté et compatible 16/9. Son DTS HD Master audio 2.0 mono VF et version sourds et malentendants en option. Suppléments aussi en Full HD: Mensonges et vérités (documentaire sur Franco de Daniel Gouyette avec Lucas Balbo, Christophe Bier, Jean-Pierre Bouyxou, Alain Petit, Stéphane Derdérian, Bruno Terrier), présentation du film par Lucas Balbo, présentation du film par Stéphane du Mesnildot. Catalogue des collections Gaumont Classiques et Gaumont Découvertes inclus dans le boîtier.

Bonus - 3,0 / 5

Trois suppléments : un documentaire et deux présentations.

Le documentaire (Jesus Franco :) Mensonges ou vérités (2017) de Daniel Gouyette est assez savoureux puisqu’on y retrouve l’historien et critique du cinéma Jean-Pierre Bouyxou qui avait publié une note critique sur ce film dans La Science-fiction au cinéma, éditions U.G.E., collection 10/18, Paris 1971, le documentaliste Lucas Balbo qui a publié de nombreux textes et un livre entier sur Jesus Franco, le distributeur Stéphane Derdérian, l’acteur, historien du cinéma et critique Christophe Bier (co-auteur, ici apparaissant dans un clair-obscur élégant, d’un livre sur Franco avec Lucas), Alain Petit qui fut photographe de plateau sur certains Franco vers 1970-1975, créateur de fanzines, historien et critique du cinéma fantastique, le libraire Bruno Terrier enfin qui intervient peu. Le titre est une allusion évidente au Vérités et mensonges (F for Fake)(1973) d’Orson Welles non seulement parce qu’on s’y demande si la mise en scène de Franco fut ou non wellesienne mais encore parce qu’on doute (Stéphane Derdérian devant un fragment d’affiche originale que je n’arrive pas à identifier) que Franco ait été directeur d’équipe sur le Falstaff de Welles. Il y a, convenons-en, des discussions moins intéressantes en histoire du cinéma. Un terme esthétique pourrait réconcilier tout le monde : baroque. Mais personne ne le prononçant (à moins que je ne l’ai pas entendu ? Le niveau de la prise de son n’est pas le même en fonction des intervenants et il faut régler le niveau sonore à la volée pour ne rien rater) je crois devoir l’employer. Pas la moindre photo de Jesus Franco, pas la moindre image (photo d’exploitation, de plateau, de production), pas la moindre affiche n’illustre ce documentaire.

La présentation de Lucas Balbo est, comme d’habitude, précise et factuelle mais un peu décevante, en ce qui me concerne car dépourvue de tout document graphique. Lucas précise un point intéressant d’histoire du cinéma : Cartes sur table fut tourné avant Dans les griffes du maniaque mais ce dernier fut distribué après : il faut néanmoins, selon moi, encore aujourd’hui tenir compte des dates copyright mentionnées aux génériques dans la mesure où les producteurs ont toujours pu procéder à un remontage éventuel sans le dire à Franco, avant de sortir les copies.

Cartes sur table

La présentation de Stéphane du Mesnildot ne se limite pas au film mais élargit le point de vue sur la réception française tardive, du point de vue critique, de l’oeuvre de Franco que Mesnildot situe durant la seconde moitié de la décennie 1990-2000. C’est à la fois vrai et faux. C’est vrai dans la mesure où, en France, d’une manière très académique qui n’aurait pas déplu à Boileau s’il l’avait connue, c’est une rétrospective à la Cinémathèque française qui détermine la réception critique officielle d’une oeuvre. C’est faux dans la mesure où Jean-Pierre Bouyxou, Gérard Lenne, René Prédal, Jean-Marie Sabatier (pour ne citer qu’eux) avaient écrit entre 1970 et 1973 des textes sérieux d’histoire et d’esthétique du cinéma fantastique sur certains films de Jesus Franco tournés entre 1960 et 1970. Ces textes étaient publiés par des éditeurs importants de l’époque (U.G.E. 10/18, éditions du Cerf, éditions Balland, éditions Pierre Seghers) et ils étaient lus et discutés par les cinéphiles. C’est bien de connaître l’histoire du cinéma mais il faut aussi connaître l’histoire de l’histoire du cinéma. Autre remarque intéressante de Mesnildot : la périodisation de l’oeuvre de Franco. Mesnildot distingue deux périodes si j’ai bonne mémoire pendant que j’écris ces lignes. Jean-Marie Sabatier en distinguait trois (mais il écrivait cela en 1973). Toujours est-il que c’est une bonne question d’histoire du cinéma mais elle exigerait, pour être parfaitement résolue, de visionner l’ensemble de l’oeuvre de Franco : le cinéphile raisonnable pourra se contenter, à mon avis, de la période 1960-1973 en privilégiant la période 1960-1965, la plus belle plastiquement, s’il doit opérer un choix faute de temps. Si on ne doit en voir qu’un, que ce soit son premier film fantastique L’Horrible Docteur Orlof qui demeure son film majeur. C’est celui-là, le lecteur l’aura compris, que j’aurais voulu voir doté d’une image bien restaurée en Full HD, plutôt que ce mineur Cartes sur table !

Ni galerie affiches ni galerie photos françaises ou espagnoles, ce qui est, comme toujours, regrettable. Ni même une bande-annonce originale mais on peut cependant trouver cette dernière (au format respecté 1.66, durée 3 minutes environ) dans les suppléments du DVD puis du Blu-ray de Pas de roses pour O.S.S. 117 (Fr.-Ital. 1968) d’André Hunebelle et Jean-Pierre Desagnat, édités par Gaumont.

Cartes sur table

Image - 5,0 / 5

Full HD 1080p (y compris les suppléments) au format original 1.66 N&B compatible 16/9. Image argentique très bien restaurée. Définition à tomber par terre de qualité et de précision. On peut compter les sourcils de la belle Françoise Brion en gros plan. Excellente gestion des noirs : les plus belles séquences, comme souvent chez Franco, se passent la nuit mais on trouve aussi de très beaux plans de crépuscules. Dosage parfait entre grain et lissage. Un exemple de ce qu’il faut faire. Dorénavant l’édition de référence sur le plan technique.

Cartes sur table

Son - 3,0 / 5

VF en DTS HD Master audio 2.0 mono restaurée : bon équilibrage dialogues-musique-effets sonores mais pas toujours parfait. La version pour sourds et malentendants est en option : son sous-titrage est graphiquement agréable et intelligemment réparti, de manière à être suivi intuitivement, comme toujours chez Gaumont. Un seul regret : l’absence de la version espagnole STF mais le cinéphile français dispose néanmoins de l’essentiel.

Cartes sur table

Crédits images : © 1965 Gaumont (France) / Hesperia Films (Espagne)

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony