Réalisé par Joe D'Amato
Avec
Kieran Canter, Cinzia Monreale et Franca Stoppi
Édité par ESC Editions
À Bressanone, IItalie, en 1979 : lorsque sa fiancée Anna meurt des suites de la magie vaudou pratiquée par leur gouvernante Iris, le jeune orphelin Francesco - riche héritier passionné par la taxidermie - ne le supporte pas. Il dérobe son cadavre et l’embaume. Iris, folle amoureuse de lui, s’avère prête à toutes les compromissions criminelles envers sa nécrophilie, l’aidant à supprimer les témoins gênants. Jusqu’au soir où la soeur jumelle d’Anna frappe à leur porte.
Blue holocaust (Buio omega, Ital. 1979) de Joe D’Amato (de son véritable nom Aristide Massaccesi, 1936-1999) fut distribué avec un peu de retard à Paris, le 30 juin 1982, assorti d’une interdiction aux moins de 18 ans. Ce film fantastique demeure l’un des rares titres vraiment remarquables de sa filmographie très prolifique mais très inégale. Lorsque nous l’avions rencontré à Milan en 1991, d’Amato nous avait confié, avec une bienveillante réserve teintée d’une sourde mélancolie, que Blue holocaust faisait partie - avec la série, interprétée par Laura Gemser en vedette, des Black Emmanuelle / Emmanuelle Nera dont certains sont édités chez nous, par exemple Emmanuelle et les derniers cannibales - des titres dont il gardait le meilleur souvenir.
Le scénario est inspiré par celui deLe froid baiser de la mort(Il terzo occhio, Ital. 1966) de Mino Guerrini - qu’il aurait évidemment fallu rééditer et joindre, par exemple, en supplément au d’Amato afin que le cinéphile contemporain puisse les comparer - mais d’Amato en modifie l’esthétique à un point tel que même le cinéphile ne pouvait s’empêcher, à sa vision, d’éprouver un choc sans doute analogue à ce qu’avaient ressenti les spectateurs de certains films surréalistes de Luis Bunuel. On peut, par exemple, situer la scène du four crématoire dans la lignée directe de celles tournées par Bunuel (Mex. 1955) mais aussi par des cinéastes tels que Mario Bava (Ital. 1967) et Freddie Francis (GB 1968). Cette étonnante série B d’horreur et d’épouvante de 1979 illustre, de fait, à la fois le thème fondamental du cinéma fantastique (celui du double) et le thème non moins fondamental du surréalisme (l’amour fou).
Ces thèmes sont représentés sous les aspects de l’amour nécrophile porté au cadavre d’Anna (mais aussi, à mon avis inutilement et par solution de facilité commerciale, du nécrosadisme « gore »: les séquences sont alors proches des délires d’un H.G. Lewis et à déconseiller évidemment aux personnes sensibles) et d’une relation érotique quasi-incestueuse avec la gouvernante Iris. Le thème de la nécrophilie avait certes déjà été traité dans quelques films fantastiques antérieurs d’Alfred Hitchcock (1960), de Roger Corman (1961-1964), de Riccardo Freda (1962), de Luis Bunuel (1967) mais Joe d’Amato le traite d’une manière réaliste inédite et impressionnante, nullement baroque ou allusive, ce qui renforce encore son étrange virulence. Le résultat est spectaculaire et produit souvent l’effet d’un cauchemar éveillé, alors nourri par la musique obsédante des Goblins. Le recours distancé au surnaturel est mis sur le même plan que la peinture vériste de la double passion d’Iris pour Francesco, de Francesco pour Anna. Tout se tient et tout est lié, semble nous dire D’Amato qui signe ici un film au montage assez sophistiqué. Quelques séquences d’épouvante (notamment celle consécutive à la venue de la soeur d’Anna) empruntent à une esthétique expressionniste du clair-obscur qui contraste avec le réalisme graphique du restant. Plusieurs esthétiques rivalisent au sein de la continuité filmique, sans oublier quelques éléments érotiques, l’autre source constante d’inspiration de Joe d’Amato ;Blue Holocaust n’est pas univoque ni donné d’emblée ; il est plus complexe qu’il n’y paraît. Le casting des trois personnages principaux est si pertinent que leurs interprètes demeurent, dans notre mémoire, pratiquement confondus avec leurs rôles : un signe de plus de l’étrange cohérence esthétique native deBlue holocaust.
Edition collector ESC du 31 janvier 2024, contenant, sous boîtier digipack limité, 1 DVD-9 PAL zone 2 + 1 Blu-ray 50 région B + 1 livret illustré de 32 pages par Marc Toullec + 1 affiche. Durée du film : 94 min. environ (sur Blu-ray). Format 1.66 original respecté, en Full HD 1080p AVC, couleurs, compatible 16/9. Son DTS HD Master Audio VOSTF italienne 2.0 mono + VF d’époque mono. Suppléments : « Joe D’Amato, le cinéma-bis au coeur » par David Didelot (2024, 26’50”) + Entretien autour du film avec Jean-François Rauger (2024, 23’10”) + « Après la mort »: Interview de Cinzia Monreale (2023, 8’54”, VOSTF) + Rencontre avec Franca Stoppi (17’05”, VOSTF) + Bande-annonce (3’, VOSTF).
Livret 32 pages illustrées de Marc Toullec : solide sur le plan bio-filmographique et, surtout, riche en déclarations et fragments d’entretiens avec Joe d’Amato lui-même et quelques personnalités qui furent proches de lui (par exemple l’acteur Luigi Montefiori) provenant de livres et revues américaines, anglaises et françaises (le fanzine de David Didelot est bien sûr cité en bibliographie finale page 32). Une remarque : Joe d’Amato fut effectivement opérateur, ainsi qu’il le déclare, mais non-crédité au générique, aux côtés du chef-opérateur crédité Ubaldo Terzano, sur Hercule contre les vampires (Ercole al centro della terra, Ital. 1961) de Mario Bava dont la direction de la photo fut assurée par Bava lui-même. Style souvent relâché, occasionnellement argotique, émaillé de quelques fautes de syntaxe et même de vocabulaire (par exemple page 22 : « Lucio Fulci (…) en colère du sort infligé à (…) », page 25 « qu’il ne se sentait pas de continuer… », page 29 : « Alors comment assurer sa reconvention ? » au lieu de « … sa reconversion ? », etc.). Nombreuses illustrations couleurs et N&B, y compris quelques photos de plateau (et d’exploitation mais détourées) du film de référence de 1979.
« Joe D’Amato, le cinéma bis au coeur » par David Didelot (2024, 26’50”) : bonne présentation historique bio-filmographique, replaçant bien le cinéaste dans son époque. Elle est bien illustrée, outre les inévitables extraits, de nombreuse jaquettes VHS Secam, affiches diverses, photos françaises d’exploitation sans oublier deux belles photos d’exploitation N&B du Le Froid baiser de la mort (Ital. 1966) dont le scénario inspira le d’Amato de 1979.
Entretien autour du film avec Jean-François Rauger (2024, 23’10”) : présentation davantage critique (bonnes remarques sur le corps comme thème principal du cinéma de d’Amato, sur l’aspect fantastique référentiel du scénario) comportant cependant une non moins bonne mise en perspective historique. Illustrée de quelques extraits mais aussi de quelques photos d’exploitation, photos de plateau et affiches, par exemple celle de la belle Cinzia Monreale dans L’Au-delà (Ital. 1982) de Lucio Fulci.
« Après la mort »: Interview de Cinzia Monreale (2023, 8’54”, VOSTF) : encore très belle, l’actrice livre quelques souvenirs de tournage. Intéressantes remarques dramaturgiques sur le fait qu’elle tourna la majorité des séquences en aveugle, les yeux fermés sous le maquillage de ses véritables yeux.
« Iris » : Rencontre avec Franca Stoppi(2023, 17’05”, VOSTF) : Franca Stoppi se souvient des conditions matérielles du tournage, indique certains des effets spéciaux utilisés, sur l’acteur turco-américain Kieran Canter, et quelques autres aspects du film. On n’apprend pas grand chose de plus que sur son ancien entretien annexé au DVD zone 2 PAL édité en 2005 par Néo Publishing.
Bande-annonce(3’, VOSTF, 16/9) : grain un peu plus prononcé que celui du film, état argentique moyen. C’est une BA américaine.
Ensemble solide comportant des documents de première main, des témoignages directs, de bonnes introductions historiques et critiques. Si on ajoute le livret, on obtient effectivement l’édition collector annoncée.
Format 1.66 compatible 16/9, en Full HD 1080p : cette fois-ci, c’est la bonne. On peut enfin oublier l’ancienne édition DVD zone 2 PAL Néo Publishing de 2005 qui était recadrée en 1.77. Copie argentique en assez bon état général mis à part un unique plan vers la fin, au bord droit endommagé, durant une seconde. Transfert vidéo d’abord assez léger lors des premiers plans puis, le réglage du télécinéma effectué, l’ensemble devient précis, tant sur la définition que sur le plan colorimétrique (les belles séquences finales avec la soeur d’Anna). À noter que c’est d’Amato lui-même qui est crédité, sous son véritable nom Aristide Massaccesi, de la direction de la photographie au générique d’ouverture.
VOSTF italienne + VF d’époque en DTS HD Master Audio 2.0 stéréo : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Admirable musique du groupe Goblin / The Goblins (les graphies oscillent selon les matériels publicitaires des divers pays) : c’est une de leur meilleure partition, trop méconnue. Elle est ici mise en valeur. La VF d’époque est fonctionnelle mais honnête. Il faut cependant lui préférer la VOSTF qui respecte la voix bien plus grave de Kieran Canter.
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