Drôle de drame (1937) : le test complet du Blu-ray

Un nouveau master et un estimable bonus vidéo : voilà bien ce que méritait cette comédie à la française dont l’action se déroule… à Londres !

Archibald, évêque de Bedford, est venu à Londres pour dénoncer, au nom de la Ligue de santé publique, l’immoralité du roman The Model Crime, écrit par Felix Chapel, nom de plume de son cousin Irwin Molyneux. Invité à dîner, l’évêque s’étonne de ne pas voir Margaret, l’épouse d’Irwin : la démission subite de la cuisinière la maintient derrière les fourneaux. Les explications embarrassées du maître de maison dissipent les doutes du suspicieux évêque : Molyneux a assassiné sa femme ! Le lendemain matin, Margaret n’ayant pas reparu, il appelle Scotland Yard…

Drôle de drame, le deuxième long métrage de Marcel Carné, alors âgé de 28 ans, sort en 1937, un an après Jenny, auquel avait déjà contribué Jacques Prévert qui écrira le scénario et les dialogues de Drôle de drame, l’adaptation d’un roman de J. Storer Clouston, His First Offence, publié en Angleterre en 1912 et en France en 1922, par Albin Michel, sous le titre La Mémorable et tragique aventure de Mr. Irwin Molyneux. Prévert conserva les grandes lignes du modèle, mais y ajouta des personnages, comme celui de William Kramps, « le tueur de bouchers », interprété par Jean-Louis Barrault.

J’aime bien les animaux. Tandis que les bouchers, eux, ils les tuent les animaux. Alors moi, je tue les bouchers !

Entièrement tourné aux studios de Joinville en vingt-trois jours, dans des décors d’Alexandre Trauner, au début d’une collaboration au cinéma de Marcel Carné qui durera pendant dix films, parmi lesquels Les Enfants du Paradis (il sera oscarisé pour La Garçonnière / The Apartment, Billy Wilder, 1961). Derrière la caméra, Eugen Schüfftan, chef opérateur de Les Hommes le dimanche (Menschen am Sonntag, 1930) avec des éclairages empruntant à l’expressionnisme allemand.

Drôle de drame, mélange de comédie burlesque, d’humour « nonsensical », de policier et d’une satire décochant ses flèches à la bourgeoisie, à la police et à la stupidité des mouvements de foule, fut boudé par le public et assassiné par la critique. Le sort qu’avait connu L’Atalante (Jean Vigo, 1934) et que connaîtra La Règle du jeu (Jean Renoir, 1939), souvent réservé aux oeuvres qui invitent le spectateur à quitter les sentiers battus.

Moi, j’ai dit bizarre… Comme c’est bizarre !

La contribution de Jacques Prévert au cinéma de Marcel Carné se poursuivra l’année suivante avec Le Quai des brumes (Jean Gabin avait aimé Drôle de drame). Elle aura duré au long de neuf films jusqu’à La Marie du port, en 1950, en passant par Les Enfants du Paradis, sorti en 1945.

Le tandem ou, plutôt, la confrontation entre Louis Jouvet et Michel Simon était une première plutôt inattendue en raison de leur profonde inimitié (on les reverra pourtant, deux ans plus tard, dans La Fin du jour de Julien Duvivier). Outre Jean-Louis Barrault, on trouve en haut de l’affiche Françoise Rosay, Jean-Pierre Aumont dans un de ses nombreux emplois de jeune premier et, aussi, pendant quelques secondes, Jean Marais le temps qu’il se fasse assommer dans la rue par un Chinois qui le dépouille de la rose fanée qu’il portait à la boutonnière.

On remarque aussi l’accompagnement musical du compositeur Maurice Jaubert qui signera les partitions des trois films suivants de Marcel Carné, Hôtel du Nord et Le Quai des brumes, en 1938, et Le Jour se lève, en 1939, avant d’être tué au front en juin 1940, à l’âge de 40 ans.

Drôle de drame (98 minutes) et son supplément (57 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50 logé, dans cette édition combo, en compagnie d’un DVD-9 et d’un livret, dans un digipack à trois volets, glissé dans un étui.

Le menu animé et musical propose le film au format audio DTS-HD Master Audio 1.0 (Dolby Digital 1.0 sur le DVD).

Copie digitale offerte.

Est sortie simultanément une édition DVD simple avec les mêmes compléments (bonus vidéo, livret et copie digitale).

C’est la première édition de RéZolution Culturelle. Le deuxième titre, La Neige en deuil (The Mountain, Edward Dmytryk, 1956), est sorti le 1er novembre.

À l’intérieur du digipack, un livret de 24 pages de Marc Toullec, intitulé Drôle de drame, éducation anglaise ! , évoque la genèse du projet du tandem Carné-Prévert, les changements apportés par le scénario au roman de J. Storer Clouston, l’affrontement de Louis Jouvet et de Michel Simon sur les plateaux, les frictions entre Marcel Carné et Charles David, le représentant du producteur, les rôles secondaires, l’effarement de Françoise Rosay de tomber, à l’improviste, sur Jean-Louis Barrault en tenue d’Adam dans la scène où il plonge dans un bassin au milieu des nénuphars et des grenouilles, les décors « d’un Londres qui n’existe pas » créés par Alexandre Trauner. Le chapitre final, Une belle raclée, rappelle le mauvais accueil réservé par le public et la critique : « De qui se moque-t-on ? Ce n’est pas un drame et ce n’est pas drôle ! », écrira André Maurois. Édouard Corniglion-Molinier, le producteur, « laissa quelques plumes » dans l’aventure et, de surcroît, fut condamné à verser des dommages-intérêts au couturier et parfumeur britannique Edward Molyneux. Le film finira par trouver son public au début des années 50 « et, à l’aube des années 2020, on parle toujours de Drôle de drame. »

Pour plus d’informations sur cette édition, lire la news Drôle de Drame : comment réussir un Blu-ray de luxe, publiée le 14 octobre.

Carné, Prévert : drôle de duo (57’), un documentaire exclusif réalisé en 2019 par Nicolas Billon et Nicolas Chopin-Despres. Pour Frédéric Mercier (Transfuge), la logique du film est « de rendre vraisemblable l’invraisemblable ». Philippe Morisson, auteur de Marcel Carné, ciné-reporter (1929-1934) (La Tour verte, 2016), Jean-Ollé Laprune, Arnaud Laster et Danièle Casiglia-Laster évoquent la collaboration de deux hommes aux personnalités différentes, mais aux goûts communs, notamment pour un cinéma populaire, réaliste, « tourné dans la rue ». Ils retracent la genèse de Drôle de drame, analysent son humour, son emprunt à plusieurs genres, font ressortir les caractéristiques des oeuvres communes de Carné et Prévert, comme l’ambivalence des personnages, rappellent des anecdotes de tournage et l’apport d’Alexandre Trauner et d’Eugen Schüfftan que Frédéric Mercier désigne à tort comme « le chef opérateur de Metropolis », alors qu’il était un des créateurs des effets visuels.

L’image (1.33:1, 1080p, AVC), très stable, lumineuse, avec des contrastes fermes, des noirs denses et un fin dégradé de gris, a été débarrassée de toutes marques de dégradation de la pellicule, avec un fort lissage, flatteur mais peu respectueux de la texture argentique.

Le son DTS-HD Master Audio 1.0, en restituant clairement des dialogues, assure l’essentiel. Un spectre étroit et quelques saturations et distorsions affectent l’accompagnement musical un peu aigrelet, ce que pouvait difficilement corriger la restauration. Mais tous les bruits parasites ont disparu et le souffle est à peine discernable.

Crédits images : © RéZolution Culturelle