Le Voyage des damnés (1976) : le test complet du Blu-ray

Inégale mais intéressante superproduction hollywoodienne d’après une odyssée maritime réellement survenue à la veille de la Seconde guerre mondiale.

Hambourg (Allemagne), La Havane (Cuba), Bruxelles (Belgique) et océan Atlantique en mai-juin 1939 : 937 juifs sont autorisés par l’Allemagne nazie à embarquer sur le navire S.S. Saint Louis pour émigrer à Cuba. Le voyage a lieu sous surveillance de sa police spéciale et de ses services militaires de renseignement. Arrivés à la Havane mais interdits de débarquement, certains passagers comprennent qu’ils sont victimes d’une opération de propagande. Le capitaine Schroeder, soucieux du sort des émigrés promis à une mort certaine en cas d’échec, quitte Cuba pour tenter les USA mais le paquebot est refoulé par la marine américaine. Tandis qu’une agence juive internationale frappe à la porte de diverses ambassades, certains damnés du Saint Louis se laissent aller au désespoir mais d’autres, plus énergiques, envisagent une mutinerie.

Le Voyage des damnés (Voyage of the Damned, GB-USA 1976) de Stuart Rosenberg est une curieuse superproduction, au destin maudit à l’image de celui de ses protagonistes. Dans l’esprit des producteurs, tout pouvait lui assurer le succès : un scénario basé sur un fait réel historique par lui-même spectaculaire, un budget suffisant pour louer un vaste paquebot (construit en France en 1929), une vingtaine de stars internationales de l’époque; le tout dirigé par un artisan honorable ayant signé au moins trois bons films policiers entre 1965 et 1975.

Mais ni le public ni la critique ne furent au rendez-vous. Majoritairement financé par des capitaux anglais, le titre attendit plus d’un an sa sortie en Angleterre après son exclusivité américaine, délai rare. Signe qui ne trompe pas : plusieurs versions circulèrent d’emblée, une standard de 155 minutes environ, une remontée de 137 minutes et une version longue (uniquement visible sur VHS NTSC américaine, totalement inconnue en France) de 182 minutes. Sur le plan historique, certaines inexactitudes et approximations furent signalées, en dépit d’une reconstitution générale soignée : par exemple, outre les deux petites filles vues à l’écran, 27 autres passagers purent débarquer à La Havane. La photo était soignée mais assez impersonnelle; la musique de Lalo Schifrin était décevante car simplement décorative. On se plaignit aussi du casting, à l’occasion invraisemblable : qui pouvait, de fait, croire une seconde aux couples incarnés par Lee Grant et Sam Wanamaker, par Faye Dunaway et Oskar Werner ?

Pourtant l’ensemble n’est pas inintéressant. D’abord, en raison de l’érotisme (à connotation parfois sado-masochiste) délivré par les deux stars féminines Lee Grant et Faye Dunaway, au sommet de leur beauté à cette époque et parfois éclairée par le chef-opérateur comme des stars du cinéma muet des années 1920. On peut même apercevoir dans plusieurs beaux plans (aux côtés d’Orson Welles) la jolie Laura Gemser, non créditée au générique mais alors starlette des cinéphiles-bis en raison de son rôle vedette dans la série italienne « Emmanuelle nera ». Ensuite, parce que l’histoire du cinéma peut désormais considérer Le Voyage des damnés comme le négatif de l’Exodus (USA 1960) d’Otto Preminger : ces deux titres entretiennent dorénavant un véritable rapport dialectique, au sens étymologique et platonicien du terme. Enfin, pour quelques moments de violence graphique (d’un niveau assez soutenu lorsqu’elle fait irruption) et pour certains instants insolites, sinon fantastiques, tels que ces plans de bal costumé figeant les personnages une ou deux secondes sous leurs masques.

Combo 1 Blu-ray BD50 + 1 DVD9 édité par Eléphant Films le 29 octobre 2019. Image au format 1.78 compatible 16/9, son VF d’époque + VOSTF en DTS HD Master Audio. Durée du film : 158 min. sur Blu-ray, 152 min. sur DVD. Jaquette réversible avec boîtier original. Suppléments : documentaire de Julien Comelli et Erwan Le Gac (20 min. environ), bande-annonce française d’époque, galerie photos. Seul le Blu-ray a été testé.

Documentaire de Julien Comelli et Erwan Le Gac (20 min. environ) : position du titre dans la carrière du cinéaste Stuart Rosenberg, biofilmographies succinctes de certains acteurs, réception financière et critique du titre à Hollywood et à l’international. Présentation rapide, au débit accéléré et parfois difficilement compréhensible, au contenu parfois lacunaire (presque rien sur les deux stars Lee Grant et Faye Dunaway) mais illustrée de quelques documents intéressants, notamment une belle affiche américaine du titre de référence, sur laquelle on peut faire un arrêt prolongé sur image lorsqu’elle apparaît.

Bande-annonce originale (recadrée 1.37 compatible 4/3, VF d’époque) : c’est la BA d’exploitation française de la saison cinématographique 1976-1977, avec titre français incrusté et présentation française en voix-off. Document de première main d’histoire de l’exploitation du titre, en bon état argentique.

Galerie photos : environ 25 photos de plateau et /ou d’exploitation (mais si c’est le cas, détourées) très bien définies et reproduites.

Au total, honorable édition spéciale, permettant au spectateur de situer correctement le titre dans l’histoire du cinéma. La présence du documentaire lui permet de surclasser, sur le strict plan des suppléments, l’ancienne édition Blu-ray américaine Timeless de 2013 qui ne comportait qu’une galerie photos et une bande-annonce.

Format 1.78 couleurs compatible 16/9 Full HD 1080p sur le Blu-ray. Image légèrement recadrée à partir du 1.85 original. Matériel argentique inégalement nettoyé : plus aucune rayure mais on repère pas mal de plans à l’émulsion salie par des poussières négatives et positives, et quelques plans à l’émulsion instable. En revanche, grain très bien préservé, excellente définition : l’emploi des filtres sur certains plans savamment composés (la chambre de la prostituée jouée par Katharine Ross) est parfaitement restitué. Couleurs bien saturées sur certains plans, plus pâles (notamment les tons de chairs) sur d’autres. Mais le maquillage en est parfois tout bonnement responsable et il devient alors inutile d’incriminer le master vidéo numérique Full HD, dont l’image est techniquement identique à celle de l’ancienne édition Blu-ray américaine Timeless sortie en 2013. Générique francophone d’époque sur la copie argentique, quelle que soit la version sonore sélectionnée.

VOSTF + VF d’époque en DTS HD Master Audio 2.0 mono : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. VF d’époque soignée mais la VOSTF demeure indispensable étant donné le nombre de stars aux voix inimitables et permet de repérer les acteurs anglo-saxons jouant avec un accent allemand parfois un peu forcé. Musique signée Lalo Schifrin mais décevante car décorative : rumba et mambo. Pour les cinéphiles, un ou deux plans du Voyage des damnés filment des pancartes cubaines indiquant le nom de la capitale en espagnol : « La Habana ». Cela explique l’origine du titre de la célèbre chanson chantée par Zarah Leander dans le film homonyme La Habanera (All. 1937) de Detlef Sierk.

Crédits images : © Eléphant Films