Le Trou (1960) : le test complet du Blu-ray

Blu-ray + Blu-ray bonus

Réalisé par Jacques Becker
Avec Michel Constantin, Jean Keraudy et Philippe Leroy

Édité par Studiocanal

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Le 10/11/2020
Critique

Un des meilleurs films noirs policiers français du vingtième siècle, adapté d’une histoire vraie, au style néo-réaliste mi-classique mi-visionnaire.

Le Trou

Paris 1947, Prison de la Santé : quatre détenus risquant de lourdes peines lorsqu’ils passeront devant la cour d’assise, envisagent de s’évader. L’administration change de division pénitentiaire un jeune homme qui devient leur nouveau compagnon de cellule. Apprenant que ce dernier risque aussi une lourde peine, ils lui révèlent leur projet qu’il approuve. Les cinq hommes entreprennent méticuleusement les préparatifs mais…

Le Trou (Fr.-Ital. 1960) de Jacques Becker est son ultime long-métrage (il mourut pratiquement juste après l’avoir achevé) et l’un des plus célèbres films noirs policiers français du vingtième siècle. Dans la catégorie « film de prison » du genre, c’est aussi un des meilleurs. Il fut chaudement défendu par les jeunes critiques de la Nouvelle vague mais fut un relatif échec commercial à sa sortie. Le temps a, depuis, largement réparé l’injustice au point que c’est peut-être, aujourd’hui, le titre le plus apprécié de sa filmographie.

L’histoire en fut adaptée par l’écrivain, scénariste et futur cinéaste José Giovanni à partir de son roman homonyme, avec la collaboration de Becker et de Jean Aurel. Le roman de Giovanni - inévitablement plus dense et détaillé que le film mais doté d’une écriture par elle-même déjà très cinématographique - était inspiré de faits réels survenus en 1947. Jacques Becker comme Giovanni visèrent une sorte de néo-réalisme visionnaire (au sens où Baudelaire employait ce terme à propos de l’oeuvre apparemment réaliste d’Honoré de Balzac). Jacques Becker envisagea sa mise en scène comme une sorte de défi (recourant à un casting d’inconnus - promis à devenir très connus pour certains - comme dans son Rendez-vous de juillet de 1949) qui héritait directement de cette école esthétique dont les racines étaient multiples et anciennes dans l’histoire du cinéma. Ultime effet de réel : un des authentiques protagonistes de l’aventure joue son propre rôle et présente le film en tant que tel, remplaçant le classique générique d’ouverture. La direction artistique ne fut pas moins exigeante : les décors reproduisirent avec un soin maniaque l’état matériel et les équipements des couloirs de 1947; on filma d’autre part souvent dans des souterrains glacés, humides où les murs et les matériaux résistaient réellement aux barres à mine durant de longues secondes. Le cinéaste y laissa la santé (sans mauvais jeu de mot) : il mourut durant le mixage.

Le Trou

En dépit de sa volonté réaliste affichée, Le Trou demeure à l’arrivée un étrange objet filmique, vraiment inhabituel au sein du cinéma français de l’époque. Son refus du « star-system » qui était alors la norme, son absence de générique d’ouverture, son absence de musique (sauf au générique de fin), sa très longue durée de métrage (131 minutes environ en version exploitée), son mixage voulant produire un effet de son direct autant que possible, sa dramaturgie d’une grande sobriété mais parfois brusquement fiévreuse, ses mouvements de caméra très brefs (parfois sophistiqués mais si brièvement effectués qu’on les oublie dans la foulée de l’action dont les yeux ne peuvent plus alors s’abstraire), sa description presque fantastique par moments d’un Paris souterrain inconnu et invisible (l’araignée géante nourrie d’une mouche par un gardien un peu entomologiste; les chemins d’égouts munis de leurs plaques nominatives correspondant aux rues de la surface, éclairés en clairs-obscur ou comme des eaux-fortes contrastées) : tout cela compose finalement une sorte de mythe visionnaire plutôt qu’un simple souvenir reconstitué.

Le Trou retrouve pourtant régulièrement, en-deçà d’un objectivisme documentariste revendiqué, le secret brûlant de classiques films noirs policiers américains tels que Les Démons de la liberté (Brute Force, USA 1947) de Jules Dassin ou que Quand la ville dort (Asphalt Jungle, USA 1950) de John Huston. Il retrouve non seulement leur secret esthétique (la mine dans le Dassin de 1947, le perçage du mur dans le Huston de 1950) mais aussi leur thématique : cet ultime film de Jacques Becker est son film le plus américain et le moins français, d’une certaine manière. Et il y a, en outre, parfois des réminiscences des éclairages de John Alton dans la direction de la photographie signée Ghislain Cloquet, notamment dans les séquences souterraines. C’est un peu, parfois, comme si on assistait à la rencontre de la thématique du cinéaste John Huston (c’est une illustration très hustonienne de la valeur de l’échec) avec le style de Robert Bresson sur une table de dissection. Il est clair, en effet, que Un Condamné à mort s’est echappé (Fr. 1956) de Robert Bresson, inspiré lui aussi d’un fait réel, a influencé le style de Becker mais ni plus ni moins que la sèche rudesse, la nerveuse efficacité d’un Dassin ou d’un Huston, sans parler de Howard Hawks que Becker admirait. Curieux objet, décidément, à la séduction inaltérable à mesure que le temps ne nous en éloigne justement pas mais le maintient bien au contraire tel qu’en lui-même dans son intangible puissance.

Le Trou

Et puis, il y a aussi - ce n’est pas le moindre intérêt du film - cette assez curieuse illustration du mythe de Judas. Une de plus mais elle est originale, para-théologique, non donnée comme telle donc. Peinture chaude et charnelle du personnage : il est intéressant de savoir que Becker voulut Mark Michel dans le rôle parce qu’il trouvait à ce dernier un aspect féminin. On a souvent dit que les personnages sont traités à l’égal les uns des autres mais je pense que c’est faux : Mark Michel est privilégié du début à la fin car c’est réellement lui le pivot dramaturgique de toute l’action. Illustration du mythe de Judas d’accord… mais alors, où est le Christ ? Peut-être est-il réparti, si j’ose dire, à égalité entre les quatre autres larrons : un peu dans la bonté souriante de Raymond Meunier, un peu dans la prudence altière de Philippe Leroy, un peu dans l’innocence profonde de Michel Constantin, un peu dans la douceur sage et organisatrice de Jean Kéraudy. Tous ensemble, ils pourraient constituer une sorte de synthèse assez christique dans son essence.

Au total, Le Trou est un film-charnière en tous les sens du terme : il en constitue une au sens historique puisqu’il bénéficie du meilleur du cinéma français de qualité des années 1950 mais qu’il relève aussi de la Nouvelle Vague de 1955-1965; il en constitue une aussi au sens matériel puisqu’il filme des charnières en les montrant comme des objets de suspense, en utilisant le temps montré à les couper ou les démonter, pour figurer le destin d’une manière géométrique, au carrefour du temps et de l’espace. Le Trou est donc bien, en somme, ce film-charnière, cette synthèse improbable mais réelle car incarnée, entre la simplicité du regard classique d’un Hawks et les recherches stylistiques expérimentales d’un Bresson.

Enfin, il n’est pas impossible que ce titre français de 1960 influencé par le cinéma américain des années 1945-1955 ait parfois, par un effet de choc en retour dont l’histoire du cinéma est coutumière, influencé à son tour le cinéma américain des années 1970 et 1980 : après tout, lorsqu’on y réfléchit, il y a bien une visée similaire presque phénoménologique dans certaines des plus belles séquences de L’Evadé d’Alcatraz (USA 1979) de Don Siegel.

PS :
Ne pas confondre, chez nous, ce titre de Jacques Becker de 1960 avec Le Trou (Onibaba / Les Tueuses, Jap. 1964) de Kaneto Shindo. Pendant sa longue exploitation cinéma en VOSTF dans les salles parisiennes d’Art et Essais, c’était ainsi que les sous-titres français fabriqués par Titra-films baptisaient ce Shindo en bas de son générique d’ouverture. Par la suite, notamment au moment de son édition en vidéo numérique en 2005, on privilégia le titre japonais original et on lui rajouta un nouveau sous-titre français Les Tueuses (d’ailleurs quelconque car trop unilatéralement explicite).

Le Trou

Présentation - 5,0 / 5

1 mediabook combo collector 2 Blu-ray BD50 région B + 1 livret 180 pages, édité par Studio Canal le 02 septembre 2020, volume n°1 de la collection Make my day !, dirigée par J.-B. Thoret. Image N&B au format original 1.66 compatible 16/9, norme AVC 1080p. Son DTS-HD Master Audio 2.0 VF. Durée du film sur Blu-ray : 131 min. environ. Suppléments sur Blu-ray film : préface par J.-B. Thoret (2020) + vision du film par Jean Becker (2020). Suppléments sur Blu-ray bonus : 3 archives de l’I.N.A. (Jacques Becker 1906-1960 émission TV de 1970 + Jean Kéraudy entretien 1967 + Cinépanorama 1960) + Entretien avec l’acteur Philippe Leroy (2020, VOST) + Bande-annonce originale. Seuls les disques Blu-ray ont été reçus et testés. Livret 180 pages : pas reçu.

Le Trou

Bonus - 5,0 / 5

Cette édition permet d’appréhender parfaitement la place de cet ultime titre de Jacques Becker dans l’histoire du cinéma.

Présentation par J.-B. Thoret (2020, durée 9 min. 35 sec.) : globalement bonne, fournissant certains éléments nécessaires à la bonne situation du titre dans l’histoire du cinéma, y compris de précises informations concernant son tournage et sa distribution. On peut y observer quelques affiches y compris de classiques du film noir américain.

Vision du film par Jean Becker (2020, durée 40 min. 35 sec.) : le cinéaste Jean Becker (fils de Jacques) fut assistant-réalisateur sur les films de son père de 1954 à 1960. Il a vécu les dix semaines de tournage du Trou et sa post-production au cours de laquelle mourut ce dernier. Nombreuses précisions de première main sur le casting, la direction artistique, les lieux réels et le studio de tournage reconstituant le décor, et cette idée, classique et peu à la mode mais vraie, que la caméra doit finalement être oubliée par le spectateur si on veut que l’histoire soit vraiment bien racontée. L’esthétique de la caméra préférée de Jean Becker et de son père, ce serait, en somme, la théorie de la « caméra-stylo » du cinéaste français Alexandre Astruc ou celle du « cinéma-oeil » du cinéaste russe Dziga Vertov. Anecdote diverses, parfois hors-sujet mais en général savoureuses, par exemple celle sur Ali Baba et les 40 voleurs (Fr. 1954). Élocution pas toujours très nette ni audible, car Jean Becker « mange » parfois un peu ses mots.

Le Trou

Archive INA n° 1: Jacques Becker 1906-1960 (un volume de la série TV Cinéastes de notre temps, émission du 18 novembre 1967, N&B, durée 76 min. 28 sec.) : une bonne quinzaine de témoins sont convoqués, dans le cadre de cette célèbre émission cinéphile, illustrée par des extraits de quatre ou cinq titres classiques de Becker dans lesquels ils furent, selon les cas, impliqués. Maurice Ronet se souvient de sa participation au Rendez-vous de juillet (1949); Daniel Gélin évoque Edouard & Caroline (1951); Simone Signoret se souvient de Casque d’Or (1952) et Lino Ventura de Touchez pas au Grisbi (1954). Le plus intéressant de tous, rapporté au titre étudié, est évidemment José Giovanni, le romancier et cinéaste qui a adapté son roman Le Trou (écrit d’après une histoire vraie survenue en 1947 à la Prison de la Santé, à Paris) avec Jacques Becker et Jean Aurel. Les entretiens sont en bon état argentique mais les extraits de films sont en état médiocre voire franchement mauvais.

Archive INA n°2 : entretien avec Jean Kéraudy (1970, couleurs + N&B, durée 39 min. 32 sec.) : Très étonnant entretien dans lequel celui qui joue son propre rôle dans Le Trou (au point qu’il présente le film en tant que tel) évoque l’ensemble de sa vie, sa participation à la résistance pendant la Seconde guerre mondiale, son rapport à la foi catholique (un temps éprouvée puis perdue), ses 6 évasions réussies, ses 11 années de prison dont un an et demi de cachot, son amour des livres et de la liberté, ses souvenirs du tournage (au sens filmique, pas au sens mécanique) et du cinéaste Jacques Becker. L’une des anecdotes les plus saisissantes est celle de la méfiance des gardiens qui vérifiaient régulièrement la nuit, en raison de sa réputation, qu’un mannequin ne dormait pas à sa place dans son lit : on songe alors vraiment à L’Evadé d’Alcatraz (Escape From Alcatraz, USA 1979) de Don Siegel qui relatait, pour sa part, une histoire non moins authentique survenue en 1962.

Le Trou

Archive INA n°3 : Cinépanorama (1960, durée 11 min. 35 sec.) : aucun générique mais on utilise la bande-annonce originale et la voix-off fait comprendre que le titre vient de sortir ou va sortir incessamment. Cette même voix-off commet une royale erreur en assurant que l’action se déroule à la Prison de Fresnes (département 94) au lieu de la Prison de la rue de la Santé (Paris département 75). Passons sur cette mémorable erreur qui méritait bien d’être immortalisée en bonus car elle est suivie d’une intéressante auto-présentation des divers acteurs amateurs (devenus professionnels émérites pour certains d’entre eux), auto-présentation certes ostensiblement mise en scène (plan fixe en plongé oppressante et lancinante, lourdement symbolique) mais assez sincère. État argentique moyen.

Entretien avec l’acteur Philippe Leroy (2020, VOSTF, durée 10 min. environ) : intéressant car Leroy évoque brièvement mais très sincèrement sa vie militaire (lieutenant engagé volontaire pour la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie) et civile aventureuse puis sa rencontre avec Becker, sa découverte étonnée des studios du tournage, son apprentissage du métier d’acteur en quelques semaines. L’entretien est en italien avec l’accent inévitablement français : c’est sa seconde langue puisque Leroy fit carrière dans le cinéma italien à partir de 1961 où il tourna avec des cinéastes aussi variés et talentueux que Riccardo Freda, Mauro Bolognini, Fernando Di Leo, Umberto Lenzi, Liliana Cavani et bien d’autres.

Bande-annonce originale (1.66, N&B, durée 6 min. 46 sec.) : Elle est inhabituelle en raison de sa longue durée, de sa sobriété revendiquée. État argentique moyen.

Au total ensemble remarquable qui, si on y ajoute le livret de 180 pages, mérite la note maximale.

Le Trou

Image - 5,0 / 5

Full HD 1080p N&B au format large original 1.66 compatible 16/9. Copie argentique en parfait état : je n’ai pas relevé une seule rayure ni une seule brûlure durant ces 131 minutes. Parfait équilibre du grain et du lissage vidéo numérique, restituant un master impeccable. En fait, ce transfert vidéo haute définition était déjà visible sur un Blu-ray japonais (region-free, norme MPEG4) distribué par IVC en 2013 et je ne pense pas qu’il ait été considérablement amélioré depuis, même si ce transfert 2020 a bénéficié de machines forcément plus précises. Les gros plans (par exemple ceux de Mark Michel) et les plans d’ensemble (vue aérienne de la prison au début) offrent un niveau de précision qui enterre, de toute manière, toutes les éditions antérieures. Photo N&B signée Ghislain Cloquet comportant quelques effets techniques savamment dosés : par exemple le mini-miroir / périscope utilisé par les cinq hommes, élément constant du suspense parfaitement intégré à l’écran large.

Le Trou

Son - 5,0 / 5

DTS-HD Master Audio 2.0 mono en VF + VF avec sous-titrage sourds et malentendants (intuitif car multicolore en fonction de l’emplacement spatial des locuteurs) + VF en audio-description. Offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Piste son soigneusement restaurée, aucun souffle. Impeccable balance maintenue entre dialogues et effets sonores (bruit discret mais audible d’une scie à métaux, tintement d’une cloche, choc des clés pénétrant les serrures), ces derniers particulièrement importants, jouant régulièrement un rôle capital. Musique piano assez curieuse et mal assortie, à mon avis, uniquement sur le générique de fin (il n’y a pas de générique d’ouverture).

Crédits images : © Henri Thibault

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
Note du disque
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francis moury
Le 11 novembre 2020
Un des meilleurs films noirs policiers français du vingtième siècle, adapté d’une histoire vraie et esthétiquement très ambitieux.
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Daniel
Le 18 mars 2004
Scénario exceptionnel de José Giovanni (autobiographie) pour ce film qui est le dernier du grand Jacques Becker. Ce film fut d'ailleurs achevé par son fils Jean Becker. Un chef-d'oeuvre incontestable.

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