I Walk the Line (Le Pays de la violence) (1970) : le test complet du Blu-ray

I Walk the Line

Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre

Réalisé par John Frankenheimer
Avec Gregory Peck, Tuesday Weld et Estelle Parsons

Édité par Sidonis Calysta

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Le 18/12/2020
Critique

Film noir policier intimiste au climat tendu, au style très sophistiqué.

Le Pays de la violence

Tenessee, USA vers 1965 : un shérif père de famille, lassé de sa vie quotidienne, tombe amoureux fou de la jeune fille de McCain, un dangereux trafiquant d’alcool qui ne s’oppose pas à leur liaison. Alors qu’une enquête du FBI est officiellement lancée, augmentant la pression d’un cran sur McCain comme sur le shérif, ce dernier protège le clan auquel appartient celle qu’il aime. Une tentative de viol suivi d’un meurtre va pourtant rompre ce fragile équilibre.

Le Pays de la violence (I Walk the Line, USA 1970) de John Frankenheimer (1930-2002), sorti le 18 novembre 1970 aux USA, est un film noir policier adapté par le scénariste Alvin Sargent d’un roman sudiste de Madison Jones. C’est un des titres les plus secrets et virulents de la filmographie riche, variée mais inégale et peu homogène de Frankenheimer. Son style plastique inaugurait une seconde manière qu’il voulait plus sage, un peu moins expérimentale et un peu plus rigoureuse (*). C’est peut-être le meilleur rôle de Tuesday Weld (redoutable femme fatale et femme-enfant à la fois) et de Ralph Meeker (chef de clan brutal et intelligent). C’est certainement un des meilleurs rôles de Gregory Peck, ici au sommet de son art dans le rôle d’un homme presque incapable de communiquer mais saisi par l’amour fou. Le western légèrement fantastique et très angoissant L’Homme sauvage (The Stalking Moon, USA 1968) de Robert Mulligan avait déjà donné une bonne idée de ce que Peck pouvait faire dans ce registre. Columbia qui produisit le film de 1970 eut donc parfaitement raison de l’imposer à Frankenheimer comme acteur vedette.

Le Pays de la violence fut un échec au box-office américain dont le cinéaste et l’acteur principal se renvoyèrent mutuellement la responsabilité : Peck expliqua qu’il manquait au montage final un prologue et un épilogue, que Frankenheimer ne s’était pas assez impliqué. Frankenheimer regretta de ne pas avoir pu engager Gene Hackman qu’il aurait souhaité en premier choix. Nul n’étant moins bien placé qu’un créateur pour juger son oeuvre, il faut assurément réparer cette injustice et confirmer que la mise en scène de l’un fut aussi talentueuse que la composition dramatique de l’autre. Le grand public américain fut peut-être décontenancé par le rôle à contre-emploi de Peck et par certaines ruptures de ton (les fameux plans « cinéma-vérité » des véritables habitants du village, saisis à la volée au téléobjectif et intégrés au montage) mais c’étaient précisément ces ruptures et le rôle à contre-emploi de Peck qui plaisaient à la critique française de 1970 : elles témoignaient, avec quelques autres prouesses techniques (complexes mouvements de grue, gros plans en amorce d’une profondeur de champ) de l’ambition narrative du cinéaste, capable d’offrir une vision mi-hallucinée, mi-réaliste d’un engrenage implacablement décrit.

Le Pays de la violence

Les critiques français discutent encore de la date incertaine à laquelle est censée se situer l’action : un portrait du président John F. Kennedy (assassiné en 1963) installé dans le tribunal du village, fournit une première indication. il y en a une autre, plus concrète et vivante, constituée par une séance cinéma du « drive-in » dont l’affiche présente Cramponne-toi Jerry (Hook, Line and Sinker, USA 1969) de George Marshall. Les extraits visionnés par les spectateurs (à la puissance 2 : ceux du drive-in et nous-mêmes) proviennent cependant de l’antérieur Jerry la grande gueule (The Big Mouth, USA 1967) de Jerry Lewis. Décalage volontairement destiné à brouiller les pistes chronologiques ou bien erreur filmographique provoquée par une certaine précipitation au montage ? Au fond peu importe car Frankenheimer assurait que le village du Tenessee dans lequel il avait tourné (et fait jouer leur propre rôle à certains habitants) vivait sociologiquement et psychologiquement d’une manière qui évoquait bien davantage l’époque des années 1930, voire même l’époque des westerns, que l’époque contemporaine du tournage. De fait, il n’y a d’ailleurs pas une si grande différence entre le clan familial criminel ici rudement dirigé par ce McCain des années 1960 et ceux des années 1930 dépeints dans des films noirs policiers violents aussi remarquables que Bloody Mama (USA 1970) de Roger Corman ou que Pas d’orchidée pour Miss Blandish (The Grissom Gang, USA 1971) de Robert Aldrich.

NB Ne pas confondre les deux films noirs policiers américains que sont Le Pays de la violence (I Walk the Line, USA 1970) de John Frankenheimer et La Route de la violence (White Line Fever, USA 1975) de Jonathan Kaplan dont les titres originaux et les titres français d’exploitation sont assez proches.

(*) Cf. la seconde partie de l’entretien de Michel Ciment et Bertrand Tavernier avec John Frankenheimer in Positif n°124 où Frankenheimer illustre cette recherche de la simplicité stylistique en donnant comme exemple celle du Vers sa destinée (Young Mr. Lincoln, USA 1939) de John Ford qu’il juge supérieur aux excès stylistiques du Le Mouchard (The Informer, USA 1935) de John Ford.

Le Pays de la violence

Présentation - 5,0 / 5

1 combo collector Blu-ray BD50 région B + DVD + livret (96 pages couleurs + N&B), édité par Sidonis le 05 décembre 2020. Image couleurs au format original respecté 2.35 compatible 16/9, norme AVC 1080p. Son DTS-HD Master Audio 2.0 Stéréo VOSTF + Dual Mono VF d’époque. Durée du film 97 min. environ sur Blu-ray. Suppléments  : présentation par Thierry Frémaux + séquences commentées par Jean-Baptiste Thoret + Making-of + Bande-annonce originale + clips de Johnny Cash.

Livret illustré sur le film qui comporte deux sections distinctes :

Présentation par Olivier Père, directeur programmation cinéma d’Arte (60 pages, illustrées couleurs + N&B) : elle est très bien illustrée en affiches bien reproduites (sauf celle de Grand Prix) mais manque de photos d’exploitation non détourées. C’était l’occasion de compenser l’absence d’une galerie dédiée dans la section bonus vidéo. Elle comporte une présentation du film, une bio-filmographie sélective commentée de John Frankenheimer, une bio-filmographie commentée de l’acteur Gregory Peck (dans laquelle on trouve des informations sur sa réception critique américaine et par son propre cinéaste), de l’actrice Tuesday Weld, du chanteur Johnny Cash. On aurait pu y adjoindre une filmographie cinéma complète de Frankenheimer qui manque à la reproduction de l’entretien reproduit ensuite. Je suis tout à fait d’accord avec Olivier Père concernant ce titre qui est un de mes Frankenheimer préférés : il méritait ces analyses fouillées, ces éloges, cette mise en situation précise. Un point de désaccord, relevé en passant : je ne souscris absolument pas au jugement de Père concernant Prophecy le monstre (USA 1979) de John Frankenheimer que je tiens pour un des meilleurs films fantastiques écologiques de la période 1970-1980 et pour un des meilleurs jamais réalisés par le cinéaste. La bibliographie sommaire de la p. 59 ne cite pas, assez curieusement, l’entretien paru dans les deux numéros de la revue française Positif, pourtant reproduit juste après cette présentation. Elle ne cite pas non plus le livre de Gerald Pratley, The Cinema of John Frankenheimer.

Le Pays de la violence

Reproduction extraits revue Positif n°122 décembre 1970 + n°124 février 1971 (36 pages N&B) : elle comporte deux parties d’un entretien accordé par John Frankenheimer à Michel Ciment et Bertrand Tavernier sur l’ensemble de sa carrière depuis ses débuts à la télévision dans les années 1955 jusqu’à Le Pays de la violence. Ce sont surtout les dernières pages de la seconde partie de l’entretien, parues dans le n°124, qui sont consacrées au film mais l’ensemble vaut d’être lu du début à la fin. Frankenheimer y livre un auto-portrait à la fois historique et esthétique passant en revue les titres essentiels de sa filmographie TV et cinéma de 1955 à 1970. Le cinéphile intéressé par le cinéma de la guerre du Viêt-Nam découvre que Frankenheimer souhaitait adapter le scénario dont l’argument deviendra, deux ans plus tard, celui du génial Les Visiteurs (USA 1972) d’Elia Kazan.

Un souci matériel relevé au cours de la lecture (outre le fait que les pages de l’entretien ne sont pas numérotées et qu’une ou deux coquilles d’origine n’ont évidemment pas été corrigées) : l’avant-avant-dernière page de la première partie de l’entretien (Positif n°122) s’achève, tout en bas de la page, par le début d’une phrase située dans un paragraphe entièrement consacré au remarquable Opération diabolique (Seconds, USA 1966) : « Et mon contrat (…) ». L’avant-dernière page suivante ne prolonge absolument pas ce début de phrase. Elle débute tout en haut par : « prendre la place d’Arthur Penn, c’est tout simple.(…) » qui n’a aucun rapport avec le fragment précédent et tout le paragraphe qui suit est consacré à Le Train (USA-Fr.-Ital. 1964). Il n’y a clairement pas de lien syntaxique ni logique ni chronologique entre la fin de cette page-là et le début de cette page-ci. Deux explications me semblent possibles : la transcription de l’entretien était déjà matériellement lacunaire dans le n° 122 original imprimé ou alors c’est la reproduction du n° dans ce livret qui est matériellement lacunaire. Il manque, de toute manière, clairement une page à cet endroit car je n’ai retrouvé à aucune autre page de l’entretien (y compris en recherchant dans sa seconde partie in n° 124) ce qui aurait pu constituer la fin de cette première phrase ni ce qui aurait pu constituer le début de cette seconde phrase ! Mais enfin bref, cette lacune matérielle passée par perte et profits, convenons que le témoignage de première main que constitue cet entretien est un réel document d’histoire du cinéma : c’est même à mes yeux la pièce maîtresse de ce livret et c’est elle qui permet de la nommer édition collector.

Le Pays de la violence

Bonus - 4,0 / 5

Présentation du film par Thierry Frémaux (durée 32 min. environ) : je me réjouis que le délégué général du Festival de Cannes et de l’Institut Lumière aime ce Frankenheimer qui mérite, en effet, tant d’être aimé. Bonne remarque (certes attendue mais qu’il fallait émettre car, comme le disait si bien Ernest Renan, « toute admiration est historique ») sur la situation chronologique du titre, à la croisée des années 1960 et 1970 mais l’ensemble est tout de même trop long et trop délayé. J’aime bien le titre d’exploitation français (à propos duquel Frémaux évoque un souvenir savoureux de Chabrol) qui me semble tout aussi bon que le titre original. Le slogan américain d’une affiche qui disait « Les collines du Tenessee deviennent rouges lorsque le shérif lui-même ne respecte plus la loi » confère d’ailleurs à ce titre français d’exploitation une vérité qu’il ne faut pas lui dénier : elle est plus franche que l’ambivalence un peu vaine du titre original, d’ailleurs issue d’une expression provenant, à mon avis, des US Marines. Je confirme que le titre de la chanson de Cash est bien I Walk the Line (prouvé par la reproduction, à la p. 51 du livret d’Olivier Père, du visuel de la pochette d’une de ses éditions en disque 45T) et non pas Walk the Line sans le pronom personnel au début. Le titre du film le reprend donc littéralement mot pour mot, ni plus ni moins. Trop nombreux extraits du film en illustration : à ne surtout pas visionner avant lui, donc. Au lieu d’une présentation, considérons cela comme une (trop) longue postface.

Scènes commentées par Jean-Baptiste Thoret (durée 17 min. environ) : le générique d’ouverture, la première rencontre du shérif avec Alma sur la route et quelques autres séquences sont très bien analysées mais l’analyse est évidemment redondante par rapport à l’entretien paru dans Positif où Frankenheimer lui-même indiquait diverses significations sémantiques et psychologiques. Elle fait aussi souvent double-emploi avec les analyses d’Olivier Père dans le livret 2020 mais soyons bon prince : abondance et concordance d’analyses ne nuisent finalement pas, s’agissant d’un titre aussi remarquable que celui-là ! Thoret sur-interprète parfois : par exemple, il s’intéresse à une affiche de recrutement de l’armée qu’on entrevoit au détour de deux ou trois plans d’ensemble, considérant qu’elle signifie que l’Amérique est en guerre (au Viêt-Nam). C’est à la fois vrai (car l’Amérique est en guerre là-bas entre 1965 et 1975) et faux (car une telle affiche de recrutement ne signifie pas automatiquement que le pays soit en guerre : l’armée colle de telles affiches sur les murs de tous les villages américains depuis la création constitutionnelle des USA et Alexis de Tocqueville pouvait déjà en observer lorsqu’il écrivit son étude de sociologie politique sur l’Amérique de la première moitié du dix-neuvième siècle).

Le Pays de la violence

Chansons de Johnny Cash (1970’s, VOSTF, durée 10 min. environ) : différents clips de ses chansons les plus célèbres (« I Walk the Line », « Flesh and Blood », « City of New Orleans ») dont l’une confère son titre au film et qu’on entend, pour certaines d’entre elles, durant le film.

Making-of (4/3, VOSTF, durée 11 min. 30 sec. environ) : documentaire d’époque sur le tournage. On y voit les stars et le cinéaste ; on peut y observer le matériel optique, la grue, Gregory Peck jouer une scène sous les yeux des habitants ou avec eux, selon les cas. Savoureux document d’histoire du cinéma, bien sûr, mais l’image n’est pas en bon état argentique et les extraits du film sont horriblement recadrés 1.37 plein cadre afin de correspondre au restant du métrage, comme toujours à cette époque dans ce genre de mini-documentaires tournés avec des caméras qui n’étaient pas Panavision comme celle utilisée par Frankenheimer.

Bande-annonce originale (VOSTF, durée 2 min. 52 sec.) : état argentique moyen, assez efficace et bien montée.

Au total, bonne édition spéciale sur le plan des bonus vidéo. Reste que j’aurais préféré, plutôt qu’une présentation et des séquences commentées (faisant souvent double-emploi avec le livret), avoir une très belle galerie affiches et photos d’exploitation US et française d’époque du film. Je ne peux pas, comme je le fais souvent, renvoyer le lecteur à une édition collector américaine qui serait éventuellement plus riche en bonus purement vidéo. La seule édition numérique américaine dont j’ai trouvé la trace semble avoir été un ancien DVD NTSC Sony distribué aux USA en 2006 au format Scope respecté et 16/9 mais il était non seulement dépourvu de tout bonus mais encore dépourvu de menu ! On peut donc probablement considérer qu’on détient à présent, avec cette édition française Sidonis Calysta, l’unique édition spéciale occidentale du film actuellement digne de ce nom. Et si on ajoute à cela son livret chroniqué plus haut et le fait qu’elle soit Full HD + DVD, alors on peut dire qu’on possède l’unique édition collector actuellement digne de ce nom.

Le Pays de la violence

Image - 5,0 / 5

Full HD 1080p au format large original respecté 2.35 compatible 16/9 couleurs. La meilleure copie argentique jamais vue sur un écran, aux quelques rares imperferfections sans conséquence : excellente colorimétrie, aux couleurs chaudes, nuancées (le rendez-vous dans la maison abandonnée en pleine forêt, aux dominantes verdâtres en intérieur). Définition Full HD impeccable conférant en vidéo une précision inédite aux scènes nocturnes (séance cinéma au drive-in : une prouesse technique parmi bien d’autres).

Son - 5,0 / 5

DTS-HD Master Audio 2.0 stéréo en VOSTF + VF d’époque Dual Mono. Offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Excellent équilibrage des dialogues, des effets sonores et de la musique en VOSTF ; lorsqu’une page d’un classeur administratif est tournée dans un bureau, on entend nettement le léger bruit qu’elle produit. La VF d’époque est très soignée mais il faut préférer la VOSTF, notamment à cause du soin apporté à l’imitation de l’accent sudiste par Tuesday Weld et, aussi, parce que la voix de Ralph Meeker est plus brutale, rauque et grave que sa voix française. Musique composée de chansons de Johnny Cash dont l’une donne son titre au film : elle colle à la peau du film au point que Frankenheimer considérait qu’elle exprimait, en contrepoint avec ses images, la conscience du personnage principal joué par Peck.

Crédits images : © Columbia Pictures, John Frankenheimer Productions, Edward Lewis Productions, Halcyon Productions, Atticus

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
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francis moury
Le 19 décembre 2020
Film noir policier intimiste au climat sudiste tendu, traversé par quelques éclairs de violence graphique, au style technique constamment sophistiqué.

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