Cannibal Man - La Semaine d'un assassin (1972) : le test complet du Blu-ray

La Semana del asesino

Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre

Réalisé par Eloy de la Iglesia
Avec Vicente Parra, Emma Cohen et Eusebio Poncela

Édité par Artus Films

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Le 19/04/2022
Critique

Thriller sulfureux, à l’écriture sophistiquée, au réalisme pointilliste débouchant parfois sur le surréalisme le plus pur.

Cannibal Man

Madrid, Espagne 1971 : le jeune ouvrier Marcos est employé dans un abattoir où sa mère est autrefois morte accidentellement dans des circonstances atroces. On y fournit la matière première à une marque populaire de soupe : la vie de Marcos oscille entre l’usine et sa modeste maison. Par un malheureux concours de circonstance, Marcos devient l’auteur d’un meurtre sous les yeux de sa fiancée qui le presse de se dénoncer à la police. Marcos refuse et, durant toute la semaine, se rend coupable d’autres meurtres afin d’échapper aux conséquences du premier. Un de ses voisins, riche scénariste vivant dans une tour luxueuse dominant la maison de Marcos, s’intéresse à lui mais ne serait-il pas, lui aussi, devenu un témoin trop gênant ?

Cannibal Man - La Semaine de l’assassin (La Semana del asesino, Esp. 1971) de Eloy de la Iglesia eut une genèse longue et heurtée. Son titre La Semaine de l’assassin fut finalement retenu par l’administration espagnole tandis qu’un distributeur américain douteux le rebaptisa par la suite Cannibal Man, ce qui est un contresens total relativement au personnage principal. Les critiques français qui avaient visionné le film sous ce titre en projection au Marché du film de Cannes l’avaient d’ailleurs déjà bien noté. Le scénario ne fut accepté qu’en 1971, conditionné à des coupes supplémentaires.

Tourné durant l’été 1971, son visa d’exploitation ne fut délivré qu’en 1972 et sa distribution physique n’eut lieu à Madrid qu’en 1974. Eloy de la Iglesia assure que la censure l’obligea à modifier la fin du film (qu’il renie alors qu’à mon avis, elle est excellente : la culpabilité et le désir d’être puni ne pouvaient que se manifester tôt ou tard dans le psychisme du tueur) mais sa mémoire le trompe parfois : il déclarait en 2016 que la séquence de l’abattoir durant laquelle Marcos est filmé en train de manger un sandwich avait été refusée et même « perdue à jamais » mais cette séquence est pourtant visible dans la continuité espagnole ici montrée. Iglesia, de son propre aveux, fut influencé par Le Boucher (Fr.-Ital. 1971) de Claude Chabrol qu’il jugeait (avec raison) admirable, concernant la situation sociale du personnage, son métier lié au Sang des bêtes (Fr. 1949) de Georges Franju. Métier qui débouche ici, par une obscure malédiction à la fois objective et subjective, sur le versement d’un premier sang humain, lequel en entraîne d’autres par un enchaînement à l’ironie noire, au tragique parfois très curieusement envisagé par le scénario et la mise en scène.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire en raison du titre ridicule dont son distributeur américain l’affubla et qui lui est resté chez nous, la mise en scène de Iglesia n’est pas intéressée par la visualisation de l’horreur, très soigneusement mesurée sur le plan graphique. En revanche, elle construit admirablement un suspense à l’efficacité considérable, transformant la réalité en une sorte de toile d’araignée que ni le héros ni ses victimes n’ont voulue. Elle tire parfois le réalisme (souvent critique et virulent) du film vers un fantastique surréaliste, tantôt angoissant, tantôt doté d’une ironie très noire. Le thème de la sexualité est présent : pas seulement celle du héros. Iglesia suggère une liaison homosexuelle platonique (avec une tendance voyeuriste qui relie le film à l’univers filmique de Alfred Hitchcock) tandis qu’il exhibe plus ouvertement la sexualité féminine de Paula et de Rosa. Outre l’acteur principal Vincente Parra qui avait suffisamment cru au film pour en devenir co-producteur et dont la prestation demeure remarquable, on peut relever la présence de savoureux seconds rôles, notamment la belle Vicky Lagos et le beau Eusebio Poncela, futur acteur pour le cinéaste espagnol Pedro Almodovar.

Film policier débouchant sur le fantastique et foncièrement marginal, au carrefour de plusieurs esthétiques étrangement alliées par le miracle d’un scénario rigoureux (et qui le demeure en dépit des coupes qu’on lui imposa), par une maîtrise non moins remarquable du temps et de l’espace, Cannibal Man - La Semaine de l’assassin apparaît aujourd’hui comme le pur héritier du cinéma fantastique surréaliste de Luis Bunuel, son évident parrain thématique comme esthétique.

Cannibal Man

Présentation - 5,0 / 5

1 mediabook collector Artus, édité le 19 avril 2022, contenant 1 DVD-9 PAL zone 2 + 1 Blu-ray 50 région B + 1 livret illustré de 62 pages. Durée du film (version intégrale) : 107 min. 06 sec. environ (sur Blu-ray). Format 1.85 original respecté, en couleurs et compatible 16/9. Son Linear PCM Voespagnole STF 2.0 mono sur Blu-ray, Dolby Digital mono sur DVD. Suppléments : livret 62 pages illustrées par David Didelot + montage américain (sur Blu-ray) + présentation par Emmanuel Le Gagne + Souvenirs de Gaspard Noé et intervention de Stéphane Derdérian + diaporama affiches et photos + bande-annonce américaine. Beau coffret bien présenté, disques munis d’élégantes sérigraphies. Une erreur au verso de l’étui : le format du film n’est pas « CinemaScope 1.85 » mais 1.85 tout court (le format CinemaScope étant 2.35, comme on sait).

Livret 64 pages illustrées couleurs + N&B par David Didelot

La première partie (pages 5 à 25) est consacrée à la situation du cinéma espagnol, à l’histoire du cinéma espagnol fantastique et d’épouvante, à la filmographie d’Eloy de la Iglesia (notamment à ses autres thrillers). Elle fournit les clés historiques et biographiques nécessaires à une bonne appréhension du titre. Deux réserves : une première concernant le terminus a quo de l’âge d’or du cinéma fantastique espagnol qui ne débute pas en 1968 (comme le pense Alain Petit cité par David Didelot) mais, selon moi, en 1961 avec le premier et le meilleur film fantastique de Jesus Franco. Seconde réserve : l’idée défendue par David Didelot que l’Espagne du général Franco était hostile dans son essence politique même au cinéma : ce fut au contraire son âge d’or (dès 1955 environ) y compris concernant le cinéma-bis et le cinéma fantastique (premier et meilleur film de Jesus Franco en 1961 puis ses autres films espagnols jusqu’en 1972 inclus). La citation de l’acteur américain Chris Mitchum, fournie par David Didelot lui-même à la page 16 le confirme d’ailleurs : la mort de Franco coïncida avec la chute du cinéma espagnol qui mettra environ dix ans à s’en remettre sur le plan de la production.

La seconde partie (pages 26 à 61) est consacrée au film ici présenté, à sa genèse, sa production, son tournage, son montage, son exploitation internationale, sa réception critique. Elle est précise, riche en informations, en témoignages : j’y remarque en outre deux citations (pages 28 et 56) du Catalogue 2003 de l’Étrange Festival, ce qui me fait évidemment plaisir. David Didelot a aussi bénéficié de remarques du critique espagnol Carlos Aguilar. Concernant la p. 46 consacrée à la sortie américaine de 1973, je pense que le distributeur américain a été influencé par le film de Mario Bava de 1971 sorti aux USA en 1972 : c’est à cause de lui qu’il a privilégié son fameux visuel (qui existe certes dans le film de Iglesia mais qui est relativement discret sur le plan du minutage : quelques secondes à peine et nullement emblématique du titre dans son ensemble). Belles affiches reproduites pleine pages aux pp. 8, 21, 47 (affiche espagnole), 50 (affiche italienne).

Cannibal Man

Bonus - 5,0 / 5

Présentation par Emmanuel Le Gagne (2022, 31’ environ) : elle détaille la filmographie de Eloy de la Iglesia dans une première partie résumant et critiquant méticuleusement ses divers titres dans l’ordre chonologique de leur production (avec des affiches parfois intéressantes en illustration mais il faudrait qu’on les montre en plein écran plutôt qu’en médaillon) puis s’attache à La Semaine d’un assassin sur le plan thématique et esthétique, étudiant avec précision le générique (version espagnole) et les premières séquences. Honnête et sérieux mais fait inévitablement double-emploi avec le livret en plus d’un endroit. Une bonne remarque d’histoire du cinéma sur Los Olvidados (Mex. 1950) de Luis Bunuel, parrain esthétique et thématique d’une partie du cinéma de Eloy de la Iglesia, y compris d’une petite partie de ce film (la scène du sac transformé momentanément en ballon). J’aurais tendance à préférer, dans la filmographie iglésienne, la section cinéma-bis des années 1970 : son talent natif s’y révèle avec son maximum de puissance plastique : je crois que cette position est aussi partagée par Emmanuel Le Gagne et par David Didelot.

« Souvenirs du cinéaste Gaspard Noé » : (2022, 16’ environ) : entrecoupés d’extraits du film, illustrés d’affiches et photos de divers titres cités, ce sont à la fois des souvenirs de la découverte d’un cinéaste marginal, d’un film à l’exploitation maudite et une tentative de le situer rétrospectivement dans l’histoire du cinéma. Un peu trop long et délayé (les extraits sont inutiles, tout comme ils le sont dans la présentation de Le Gagne qui précède) et faisant inévitablement double-emploi avec certains passages du livret et de la présentation mais on peut en retenir quelques remarques et comparaisons intéressantes. Last but not least, Stéphane Derdérian nous présente avec une ardeur communicative, pendant le générique de fin, un mémoire universitaire consacré aux thrillers de Eloy de la Iglesia : il est, certes, également filmé dans la présentation de Emmanuel Le Gagne mais, en matière iglésienne, convenons que bis repetita placent.

Montage américain (format oscillant entre 1.78 et 1.85, couleurs, durée 98’51”, VanglaiseSTF en Linear PCM 2.0 mono) : il est différent et, rarement mais parfois, complémentaire, de la version espagnole originale à plusieurs égards. Une séquence présentant l’abattoir est d’emblée située en pré-générique d’ouverture ; ce montage supprime en revanche certaines séquences se déroulant dans ce même abattoir. Je renvoie aux pages 44-45 du livret de David Didelot qui a soigneusement recensé les ajouts, coupes, et modifications. L’image numérique, légèrement recadrée, est inévitablement moins nette et ses couleurs semblent un peu délavées en regard de l’image de la copie espagnole au format parfaitement respecté. Ce montage est, au demeurant, moins bon, moins nuancé, moins intelligent que le montage espagnol. Utile document concernant l’histoire de l’exploitation du titre.

Diaporama d’affiches et photos (1’48”) : l’exemple de ce qu’il faut faire mais l’ensemble est un peu léger par rapport à d’autres fameux diaporama Artus contenant beaucoup plus de documents. Environ 5 affiches, environ une dizaine de photos italiennes d’exploitation également visibles pour partie dans le livret et quelques photos N&B de plateau. Ensemble comme à l’habitude très bien numérisé et très bien adapté à la taille d’un écran large UHD mais je reste sur ma faim… sans que cela induise un mauvais jeu de mots, étant donné le titre américain (absurdement repris en France à sa sortie cinéma) du film.

Bande-annonce (2’32”, VOSTF, format 1.78) : en état argentique et numérique moyen, recadrée de 1.85 en 1.78, dotée de couleurs assez délavées, c’est une bande-annonce américaine. J’aurais préféré une bande-annonce espagnole ou française.

Cannibal Man

Image - 4,0 / 5

Format 1. 85 respecté, en couleurs et compatible 16/9 (en Full HD sur Blu-ray). La copie argentique de cette version de 107 minutes (en continuité intégrale) est restaurée, la numérisation respecte bien le grain ; sa gestion des couleurs et des noirs est très bonne, soigneusement nuancée. Quelques poussières négatives et positives subsistent mais sans gravité. On est en présence de l’édition de référence numérique francophone attendue depuis longtemps. Notons que l’éditeur américain Severin a édité en 2021 une remarquable édition contenant trois versions : la version courte américaine de 97 minutes, la version intégrale espagnole de 107 minutes (du moins la plus longue en minutage) et une version internationale (au minutage intermédiaire). Cette édition Artus présente la meilleure version (l’espagnole longue) dotée de sa meilleure image argentique et numérique.

Cannibal Man

Son - 4,0 / 5

VOSTF espagnole en Linear PCM 2.0 Mono : aucune VF d’époque mais une Vanglaise en bonus (au minutage inférieur et au montage différent). Le film était sorti chez nous en province mais pas à Paris. En revanche, je crois qu’il en existe au moins une VHS en VF (alors qu’une autre VHS, la Scherzo, était en VOSTF) probablement réalisée à l’occasion de son exploitation magnétique  : on aurait éventuellement pu la proposer ? Musique fonctionnelle mais parfois savoureuse (une majestueuse trompette tandis que la caméra détaille des masures délabrées y compris celle de Marcos, un misérable terrain vague écrasé par un soleil de plomb puis… une tour luxueuse semblant presque tombée d’une autre planète) et effets sonores (bruit des ailes de mouches lorsque le beau-père s’avance dans la chambre interdite et obscure) bien conservés et bien restitués.

Crédits images : © Atlas International Film, José Truchado P.C.

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
Note du disque
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francis moury
Le 20 avril 2022
Thriller espagnol sulfureux, à l’écriture sophistiquée, au réalisme pointilliste débouchant parfois sur le surréalisme le plus pur.

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