Les Chiens enragés (1974) : le test complet du Blu-ray

Cani arrabbiati

Digibook - Blu-ray + DVD + Livret

Réalisé par Mario Bava
Avec Riccardo Cucciolla, Aldo Caponi et Lea Lander

Édité par Sidonis Calysta

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Le 04/07/2022
Critique

Thriller policier rare de Bava, réputé pour sa violence graphique et son originalité confinant parfois au cinéma expérimental.

Les Chiens enragés

1974, Italie, Rome et région du Latium  : en possession de l’argent volé à des convoyeurs de fonds au cours d’une attaque sanglante, quatre gangsters sont poursuivis par la police. L’un d’eux est tué ; les trois autres se couvrent en prenant des otages et en changeant de voiture. Ils choisissent par hasard celle d’un automobiliste qui affirme conduire son garçonnet malade à l’hôpital. Commence alors une cavale infernale par la route puis l’autoroute vers une destination que seul leur chef connaît et durant laquelle, à chaque instant, la mort peut survenir.

Chiens enragés (Cani arrabbiati, Ital. 1974) de Mario Bava est son unique contribution au film noir policier violent des années 1970-1980, au thriller réaliste par opposition au giallo. Le distributeur a rajouté un article défini avant les deux mots du titre principal mais inutilement à mon avis car, depuis bien longtemps entre cinéphiles, c’est toujours sans article qu’on nomme ce film. Jamais Bava n’avait servi le genre du film strictement policier bien que, de 1962 à 1972, il l’ait en apparence servi à plusieurs reprises. En apparence seulement car les scénarios, en dépit de leur structure policière au premier degré, étaient essentiellement des jeux avec la peur et la mort que Bava traitait d’une manière régulièrement irréaliste et baroque. Ils étaient prétextes avoués à une esthétique fantastique, à des scènes phantasmatiques, à des images surréalistes. Chiens enragés est, tout au contraire, un film noir policier violent hyper-réaliste assez comparable à ceux que tournaient en Italie, à la même époque dans le même genre, des cinéastes aussi talentueux que Umberto Lenzi, Enzo G. Castellari, Fernando Di Leo, Mario Caiano, Massimo Dallamano, Sergio Martino, Stelvio Massi et d’autres encore.

Les Chiens enragés

Chiens enragés est un film à la fois réaliste, expérimental et fantastique : son minutage respecte d’une manière réaliste presque obsédante celui de l’action ; son niveau de violence graphique est parfois très élevé et confine alors au fantastique. Ce fut longtemps un film maudit. Tourné durant un été 1974 à la chaleur éprouvante oscillant entre 35° et 40°, dans des conditions assez difficiles, avec un acteur principal (Al Lettieri) qui tomba malade et mourut peu de temps après (Riccardo Cucciola le remplaça et s’avéra mieux adapté physiquement au scénario et, du début à la fin, tout à fait remarquable), sa production s’interrompit faute d’argent. il manquait quelques plans, le montage n’était pas encore finalisé, la post-synchronisation pas encore effectuée. Son exploitation demeura bloquée durant 25 ans pour raisons juridiques. L’actrice vedette Lea Lander (qui est extraordinaire de vérité d’un bout à l’autre),avec l’aide d’Umberto Lenzi et de Peter Blumenstock, organisa une première résurrection du titre en novembre 1995. Le producteur américain Alfred Leone une autre quelques années plus tard, très légèrement remontée et augmentée avec l’aide de la famille du cinéaste, allant jusqu’à demander à Stelvio Cipriani de recomposer une nouvelle partition afin de mieux répondre au goût musicaux des années 2000. Longtemps invisible et maudit, Chiens enragés est devenu ensuite une oeuvre servant de base à plusieurs versions (non seulement la version Lander et la version Leone mais encore quelques autres, aux variations toujours mineures : Bava avait filmé l’essentiel) que les exégètes vidéophiles se plaisent à minuter et à comparer : abondance de biens ne nuit certes pas après une privation ; convenons néanmoins que la version la plus proche de 1974, celle contenant le moins de modifications et d’ajouts, se suffit amplement à elle-même.

Les Chiens enragés

Sur le plan thématique comme sur le plan esthétique, Chiens enragés emprunte évidemment au film noir policier violent italien (« poliziotti ») de la période 1970-1980 mais il emprunte aussi, par son sujet, à de plus anciens films noirs américains classiques tels que Le Voyage de la peur (The Hitch-Hiker, USA 1953) de Ida Lupino, inspiré d’un fait réel auquel je m’étonne d’ailleurs qu’aucun présentateur français de cette édition n’ait songé. Bava savait que les Américains n’avaient pas attendu les années 1970 pour décrire des prises d’otage en voiture puisqu’elles avaient réellement lieu chez eux, sans qu’il soit besoin de les imaginer. Chiens enragés débouche en outre parfois sur le baroque et le fantastique : la violence de l’attaque initiale du convoi, l’égorgement d’une otage et celui d’une passagère, la poursuite de Lea Lander (remarquable du début à la fin, elle est la cousine de l’acteur Hardy Krüger) à travers champs, l’atroce blessure d’un des gangsters oscillant entre vie et mort, la modification (authentiquement démoniaque) du personnage joué par Riccardo Cucciola. Il faut noter aussi que Bava s’y confirme un remarquable directeur d’acteurs : il ne faut pas se fier à ses propres déclarations concernant son rapport aux acteurs car Bava leur permettait véritablement de donner le meilleur d’eux-mêmes ; qu’on pense par exemple aux trois acteurs jouant les gangsters : Maurice Poli, Luigi Montefiori, Aldo Caponi s’y montrent tous les trois remarquables, chacun dans son registre propre.

Chiens enragés permet parfois à Bava de surpasser le premier degré du thriller et du « poliziotti », d’oublier même la rigueur d’un suspense obsédant, son réalisme social acéré et cruel, pour déboucher sur son thème de prédilection, à savoir la peur de la mort, la terreur provoquée par la vision de la mort. Assurément une date dans la filmographie du Mario Bava en raison de ses recherches esthétiques et du nouveau genre qu’il dominait si naturellement, Chiens enragés permet pourtant de confirmer l’unité thématique de son oeuvre, par-delà ses variétés génériques.

Les Chiens enragés

Présentation - 4,5 / 5

1 combo Blu-ray BD50 + 1 DVD9 + 1 livret 24 pages, édité par Sidonis Calysta en Digibook le 26 mai 2022. Durée du film : 96 min. env. (sur Blu-ray) + 92 min. env. (sur DVD). Image 1.85 N&B compatible 16/9 (en Full HD 1080p sur Blu-ray). Son VISTF et VF d’époque en DTS-HD Master Audio 2.0 mono (sur Blu-ray). Suppléments : »Kidnapped » : montage italien Alfredo Leone du film « Les Chiens enragés » (95’30”, VOST) + Présentation du film par par Olivier Père (2022, 32’08”) + « Con la Bava a la boca » : documentaire (40’05”, VOST) + Conversation autour du film avec Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele (2022, 24’17”) + Générique début alternatif (1’29”) + Bande-annonce originale (1’35”, VO).

Livret 24 pages illustrées N&B et couleurs, par Marc Toullec

Nombreux témoignages utiles (Lamberto Bava, Alfredo Leone, et quelques autres) sur la genèse, la production et l’exploitation du titre (une constante des livrets signés par Toullec). Un peu faible en informations concernant l’actrice Lea Lander dont la carrière est un peu trop vite résumée (on ne néglige évidemment pas de rappeler qu’elle avait déjà tourné pour Bava dans son giallo de 1964 sous son pseudonyme Lea Krüger, adopté sur les conseils de son agent de l’époque afin de profiter de la notoriété de son cousin, l’acteur Hardy Krüger) alors que dans les années 1975, elle tourna aussi pour des cinéastes aussi talentueux et divers que Alberto de Martino et José Benazeraf. Je suis d’accord, après vision comparative, avec le jugement de Toullec sur la version Alfredo Leone mise au point en collaboration avec Lamberto Bava et Roy Bava : elle me semble moins bonne sur le plan du scénario que celle initialement filmée en 1974, notamment la fin plus efficace et surprenante en 1974. Et c’est aussi l’avis des autres présentateurs français : ils sont unanimes et ont raison de l’être. En illustrations, sont reproduites des affiches des variations diverses que ce Bava (d’abord longtemps invisible puis devenu célèbre auprès des cinéphiles) a inspirées : par exemple une très belle affiche page 8 d’une variation italienne de 1976 avec Paola Senatore et, plus récemment, celle d’une version franco-canadienne mise en scène en 2014 par Eric Hannezo. Sans oublier la belle jaquette des éditions Arrow qui a beaucoup inspiré celle de Sidonis. Et quelques photos de plateau couleurs (ou des captures vidéo numériques d’origine ?) mais, évidemment, aucune photo d’exploitation d’époque puisque le titre ne fut pas exploité au cinéma en 1974. Les sources utilisées pour la rédaction du livret sont mentionnées : une dizaine de monographies, articles de journaux et revues, anglophones et francophones mais les dates de publication ne sont pas mentionnées.

Les Chiens enragés

Bonus - 4,5 / 5

« Kidnapped » montage italien commandé par Alfredo Leone (95’30”, VOST) : environ 20 secondes de différences avec la version 1974, réparti essentiellement vers le début et la fin, sans oublier une petite séquence vers le milieu. Deux conversations téléphoniques originales (entre la mère et le commissaire, entre la mère et Riccardo Cucciola) sans oublier quelques plans de transition (un hélicoptère, des voitures) empruntés à des films policiers italiens de la période 1975. En novembre 1995, la vedette féminine Lea Lander (qui détenait les droits allemands de la production) organisa une première résurrection filmique présentée à la Mifed de Milan. Quelques années plus tard, le producteur et distributeur américain Alfred Leone racheta les droits et demanda à Lamberto Bava (fils de Mario Bava qui avait été assistant-réalisateur sur le titre en 1974)) et à Roy Bava (petit-fils de Mario Bava, fils de Lamberto Bava) de tourner quelques plans supplémentaires, de reprendre le montage en fonction des archives de Mario Bava, avec l’aide de quelques techniciens et de quelques acteurs. Alfred Leone demanda même au compositeur Stelvio Cipriani de recomposer une nouvelle partition : idée absurde s’il en est puisque la partition originale collait admirablement à l’esprit frénétique du film. Depuis, les éditeurs américains et européens de Blu-ray ont présenté tantôt la version 1974, tantôt cette version Alfred Leone, tantôt les deux ensemble afin qu’on puisse les comparer : cette édition Sidonis le permet à son tour au cinéphile francophone. Il me semble inutile d’avoir rajouté une actrice en contre-champ (si bonne actrice soit la belle Fabrizia Sacchi) lorsque Riccardo Cucciola passe son ultime coup de téléphone et encore plus dommageable de l’avoir montré dans quelques plans antérieurs : cela induit le spectateur à prévoir la fin qui doit, au contraire, le surprendre. Roy Bava avait prévu ce contre-effet : il ne sera pas surpris de ma réaction s’il lit ces lignes. Les quelques autres plans (essentiellement des plans de transition) rajoutés dans la version Alfred Leone (une partie prélevée comme stock-shots sur des films policiers des années 1970) me semblent non moins inutiles.

Les Chiens enragés

Présentation du film par par Olivier Père (2022, 32’08”) : c’est par elle qu’il faut commencer car elle situe parfaitement la situation de Bava au moment du tournage, résume très clairement la genèse, le tournage et la faillite du producteur Roberto Loyola, l’invisibilité du film durant 25 ans puis sa renaissance et les diverses versions actuellement existantes. On peut discuter les jugements de Père sur Baron Vampire et même celui qu’il porte sur La Maison de l’exorcisme mais en revanche Père juge très correctement la version Alfredo Leone de Chiens enragés : elle est en effet moins bonne que la version originale de 1974 qui était pratiquement achevée sur le plan du tournage et se suffisait donc à elle-même, mis à part quelques plans de transition qui permettent au film de mieux respirer. Il a aussi raison concernant la cruauté du destin relativement à Chiens enragés qui aurait certainement pu relancer la carrière de Bava dans le genre du thriller, s’il avait été exploité commercialement dans les circuits habituels. Il n’aurait pas déçu ses admirateurs antérieurs et il lui aurait amené un nouveau public, sans parler de la critique qui se serait certainement penchée avec intérêt sur le titre en raison de son originalité stylistique et de son réalisme bien que la patte thématique comme esthétique du Bava antérieur y soit, à mon avis, clairement repérable à plusieurs reprises. Bonnes remarques sur le casting, notamment sur Riccardo Cucciola et le type de rôles qu’il incarnait en Italie.

« Con la Bava a la boca » : documentaire (40’05”, VOSTF, sans date mentionnée au générique) : ce documentaire italien, au titre qui n’est pas du meilleur goût, permet d’avoir une bonne idée de l’histoire du film, racontée par des témoins de première main : Lamberto Bava (qui fut assistant sur le film), Roy Bava (qui travailla sur la version reconstituée pour Alfred Leone aux côtés de son père Lamberto), les acteurs Maurice Poli et Aldo Caponi, l’acteur Don Bachi et quelques autres. Genèse, tournage, faillite juridique et financière du producteur principal, blocage des droits et de l’exploitation, résurrection initiée par Lea Lander (injustement critiquée), seconde résurrection initiée par Alfred Leone et la manière dont Bava fils et petit-fils y collaborèrent.

Les Chiens enragés

Conversation autour du film avec Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele (2022, 24’17”) : ces auteurs d’un des livres récents sur Mario Bava fournissent une bonne situation historique et esthétique du titre au sein du film policier italien et au sein du cinéma de la violence américain contemporain du début des années 1970. Quelques remarques thématiques intéressantes s’appuyant sur la filmographie de Bava : le thème de l’enfant maléfique ici déjà un peu esquissé, par exemple. Jugement critique corroborant celui de Père et le mien : la version Alfred Leone est moins bonne que la version Lea Lander. Concernant les enlèvements, Gérald Duchaussoy a bonne mémoire concernant l’Italie mais la France des années 1975 a connu elle aussi son lot d’enlèvements criminels, moins politiques qu’en Italie ou en RFA en revanche. Illustration par extraits, affiches, photos. Bonnes remarques sur l’acteur Al Lettieri, trop tôt disparu et dont la présence aurait constitué un lien charnel avec le film noir américain contemporain du début des années 1970 si la maladie et la mort ne l’avaient pas prématurément fauché. Lien qui aurait été, cela dit, un peu trop évident et qui aurait pu désamorcer le suspense alors que Cucciola s’y prêtait parfaitement en raison de son physique plus neutre : tous les présentateurs français sont d’accord sur ce point.

Générique début alternatif version Lea Lander (1’29”, 4/3) : compatible 4/3, en état argentique moyen, c’est le générique de la première version Lea Lander sous le titre alternatif « Feu rouge » (Semaforo rosso) inspiré d’un des anciens titres prévus pour le film. Il a le mérite de présenter les noms des comédiens principaux sous leur portrait (à partir d’une image prélevée au montage). Plastiquement, il est évidemment très inférieur au grand générique d’ouverture sur équidensités, visible sur la version principale.

Bande-annonce américaine (1’35”, VO, 16/9) : américaine sous un titre alternatif (Kidnapped) elle est bien montée et rythmée, dotée de savoureux slogans, assez compatibles avec l’univers thématique et esthétique antérieur de Bava : ceux qui les ont rédigés aimaient les films fantastiques antérieurs de Bava et connaissaient parfaitement sa thématique.

Il manque une galerie affiches et photos pour que la note de ces bonus soit au maximum : lacune partiellement (mais partiellement seulement) comblée par le livret. Cela dit, bel ensemble informatif et la meilleure édition française numérique actuelle de ce classique. Une remarque tout de même : la majorité des informations d’histoire du cinéma délivrées oralement se trouvent aussi dans le livret : les présentations le synthétisent et sont l’occasion de jugements critiques ou de remarques parfois complémentaires et intéressantes, mais l’ensemble est, pour l’essentiel, tout de même inévitablement redondant et surchargé.

Les Chiens enragés

Image - 4,0 / 5

Format 1.85 couleurs, compatible 16/9 en Full HD 1080p. État argentique : inégal selon les plans mais globalement très satisfaisant. Très beau générique d’ouverture de la version principale 1974 filmé en équidensités, reprenant l’idée plastique de la célèbre bande-annonce américaine titrée Carnage de La Baie sanglante. État numérique  : qu’il s’agisse de la version 1974 ou de la version Alfredo Leone, restauration soignée, en dépit de l’inégalité émulsionnelle et des variétés de définition de certains plans du matériel argentique, parfois dégradés ou au contraire (cas de la version Alfredo Leone) en presque trop bon état par rapport au restant, ce qui induit un déséquilibre visuel comparatif mais, dans tous les cas, fugitif et que le spectateur pris par l’action et son suspense en temps réel, remarquera à peine. Le traitement des couleurs est unifié mais seules les définitions trahissent un étalonnage différent de quelques plans en état moyen ou au contraire en excellent état mais rapportés à la continuité initiale.

Les Chiens enragés

Son - 3,0 / 5

VitalienneSTF + VFrançaise, en DTS-HD Master Audio 2.0 mono. Inégal selon les séquences mais assez bien unifié du point de vue de la restauration. On est en bien meilleure situation avec ce matériel que ne le furent les spectateurs de la Cinémathèque française de la fin des années 1990 lorsqu’ils découvrirent le titre sur une image VHS à peine sonorisée ! La version italienne est préférable car la VF tardive dispose d’un relief un peu inférieur concernant les effets sonores et la voix de Lea Lander est meilleure en version italienne. Concernant la musique de Stelvio Cipriani (qui fut le plus grand compositeur musical du policier italien violent de l’âge d’or 1970-1980) il faut aussi préférer la version principale 1974 de sa partition : une de ses meilleures du genre et la meilleure de toutes celles qu’il composa pour Bava.

Crédits images : © Spera Cinematografica, Bryanston Pictures, Roberto Loyola Cinematografica

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
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francis moury
Le 5 juillet 2022
Thriller policier réaliste rare de Bava, longtemps invisible en France, réputé à juste titre pour sa violence graphique et son originalité confinant parfois au cinéma expérimental.

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