Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia (1974) : le test complet du Blu-ray

Bring Me the Head of Alfredo Garcia

Combo Blu-ray + DVD

Réalisé par Sam Peckinpah
Avec Warren Oates, Isela Vega et Robert Webber

Édité par BQHL Éditions

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Le 15/11/2022
Critique

Film noir policier au scénario original, au style impressionnant : un des meilleurs de la décennie 1970-1980.

Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia

Mexique 1974 : la fille d’El Jefe, richissime propriétaire traditionaliste, a été séduite puis abandonnée par le volage « Al » Garcia. Pour laver cet affront, El Jefe met à prix la tête de Garcia un million de dollars. Une sordide chasse à l’homme débute, méthodiquement menée à travers la capitale Mexico par d’avides gangsters prêts à tout pour la ramener. Mis au courant, l’américain Bennie - dont la maîtresse mexicaine Elita a fréquenté Garcia - croit disposer d’un avantage lui permettant de remonter sa piste avant les autres. À partir de cet instant, Elita et lui sont non seulement sous constante surveillance mais en réel danger de mort.

Apportez-moi la tête d’Afredo Garcia (U.S.A.-Mex., 1974) de Sam Peckinpah était sorti à Paris le 31 décembre 1974 dans une version amputée de près de 15 minutes mais suffisamment violente sur le plan graphique pour être alors interdite aux moins de 13 ans. Il fut classé X en Angleterre, interdit ou amputé dans certains pays. Pour certains critiques, ce titre semblait confirmer un virage nihiliste et tragique amorcé par Peckinpah dès La Horde sauvage (USA 1969). Aujourd’hui, alors que sa filmographie a été décantée par l’histoire du cinéma, on peut tenir Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia sinon pour son chef-d’oeuvre, au moins pour un de ses meilleurs films.

Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia fut co-produit et co-écrit par Peckinpah : ce fut le premier et, à vrai dire, le dernier titre long-métrage de sa filmographie sur lequel il ait obtenu une telle liberté créatrice. La circularité narrative de son scénario renforce son aspect tragique : tous les personnages sont victimes de l’engrenage suscité par la démesure d’El Jefe, démesure qui annonce inexorablement sa propre chute. Cette descente aux enfers est plastiquement travaillée par la photographie et le montage dans un sens impressionniste. L’économie et la subtilité narrative y sont, parfois assez curieusement, contrebalancées par une lourdeur et une redondance qui frôlent le baroque et le lyrisme. Le style comme la thématique oscillent, insensiblement ou bien par des effets explicites, du cinéma traditionnel policier au cinéma fantastique, voire même au western à mesure que le cadre urbain disparaît de l’horizon filmé. Ce mélange des genres contribue à l’insécurité constante du spectateur, à sa fondamentale inquiétude.

Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia constitue une synthèse assez ample du cinéma de Sam Peckinpah. On peut, certes, considérer qu’il se laisse parfois trop aller à rompre l’économie de son récit, en lui faisant perdre de sa rigueur narrative par l’insertion de séquences presque autonomes (par exemple l’agression du couple par les deux routards) mais ces dernières comportent des plans d’une belle puissance plastique, renforçant la fresque d’ensemble. C’est que son ambition est ici de peindre la régression du monde moderne vers un monde archaïque. C’était déjà le thème latent de Chiens de paille (GB-USA 1971) qui demeure, selon moi, sans doute son meilleur film (*). Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia prolonge le propos, avec une démesure non moins réfléchie.

Peckinpah s’y avère, en effet, toujours davantage fasciné non seulement par la régression comme telle mais encore par ce que G.W.F. Hegel appelait le travail du négatif, à savoir la mort à l’oeuvre, celle qu’il filme en célèbres ralentis. Ces ralentis, c’est toute l’esthétique tragique de Peckinpah ! Ils furent souvent tenus pour des effets irréalistes par ses confrères plus âgés (par exemple par le cinéaste Howard Hawks), pour des effets faciles et commerciaux par certains critiques : le public populaire les admirait et il avait raison. Celui qui n’aime pas les ralentis de Sam Peckinpah rate l’essence même de son cinéma, à savoir sa visée phénoménologique d’une représentation de la mort à l’écran.

Sur le plan de l’histoire du cinéma, ajoutons que le cinéaste mexicain Chano Urueta (qui signa quelques films fantastiques dans les années 1960) est ici acteur ainsi que le cinéaste Emilio Fernandez. Un des clients du bar, fugitivement filmé, est incarné par l’acteur Richard Bright. Le producteur exécutif Helmut Dantine joue un rôle important. Le dialogue cite l’actrice Paulette Goddard et fait une allusion au film Le Trésor de la Sierra Madre (USA 1948) de John Huston avec Humphrey Bogard dans le rôle de Fred C. Dobbs.

(*) Hollywood en a produit, quarante ans plus tard, un assez brillant remake-variation, au titre homonyme bien que le scénario et l’action en fussent sociologiquement et géographiquement renouvelés : Straw Dogs (Les chiens de paille) (USA 2011) de Rod Lurie avec Kate Bosworth en vedette féminine reprenant le rôle tenu en 1971 par Susan George. L’action est transposée d’Angleterre dans le Mississipi (USA). L’action du film de 1971 est adaptée d’un roman lui-même assez considérablement remanié par le scénario.

Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia

Présentation - 4,0 / 5

1 film sur Blu-ray 50 zone B + 1 DVD de bonus + 1 livret 32 pages illustrées couleurs et N&B de Marc Toullec, édités en France le 24 novembre 2022 par BQHL. Format image 1.85 couleurs, son Linear PCM 2.0. VF d’époque + VOSTF, durée du film : 112 min environ. Bonus (rassemblés sur le DVD) : présentation par Rafik Djoumi (2022, 33’39”) + « Le film préféré de Sam Peckinpah » : documentaire de Mike Siegel (2013, 55’38”, VOSTF) + entretien avec Katherine Haber (2015, 13’20”, VOSTF) + Les affiches du film (2017, 5’57”). Coffret muni de reproductions photographiques soignées sur ses divers volets.

Livret 32 pages de Marc Toullec:

Nombreux témoignages de première main (parmi lesquels ceux de Warren Oates qui confirme s’être inspiré de Peckinpah lorsqu’il composa le personnage de Bennie, Gordon Dawson sans oublier Frank Kowalski qui a eu l’idée de base de l’histoire vers janvier 1969) puisés aux meilleures sources anglo-saxonnes citées dans la bibliographie finale (sans leur date de parution, ce qui est dommage). Nombreuses informations sur la genèse, la production, le tournage, la réception critique et commerciale, depuis l’idée originale du scénario en 1969 à la sortie du film en 1974. Au total il ressort de tout cela que Peckinpah a constamment et poétiquement joué sur l’inspiration du moment et sur celle des acteurs, en dépit d’une mise en scène qui tenait compte du montage final le plus rigoureux. En illustrations, quelques photos détourées d’exploitation, quelques photos de plateau, de tournage, et une affiche italienne.

Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia

Bonus - 4,0 / 5

Présentation du film par Rafik Djoumi (2022, 33’39”) : ensemble informé et pertinent, restituant bien le titre dans la filmographie du cinéaste, analysant assez bien ses enjeux thématiques et esthétiques puis examinant son casting, sa mise en scène, sa réception critique et commerciale. Bonne remarque sur les monologues de Oates en compagnie de la tête du mort : j’attendais une référence à William Shakespeare. Quelque part, Bennie fut un peu, en 1974, notre Hamlet. Extraits du film un peu trop nombreux et trop longs. Diction parfois un peu trop rapide. Le livret et cette présentation emploient parfois le terme de « prostituée » pour définir le personnage d’Elita joué par Isela Vega : ce n’est pourtant pas le cas puisqu’elle est présentée par la mise en scène et les dialogues comme chanteuse et actrice de films publicitaires, ni plus ni moins.

Le film préféré de Sam Peckinpah : documentaire de Mike Siegel (2013, 55’38”, VOST) : nombreux témoignages de première main, à commencer par celui d’Isela Vega, mais aussi de nombreux comédiens et collaborateurs américains et mexicains. Certaines anecdotes sont connues et attendues, parfois délayées ; d’autres le sont moins qui éclairent alors ce titre d’un éclairage inédit. Et, en quelques brèves occasions, portrait du cinéaste par-lui même puisqu’on l’entend lire en voix-off, rauque et grave, certaines phrases de la continuité dialoguée et du découpage. Le producteur associé Gordon Dawson confirme qu’il dirigea lui-même les ultimes plans de la dernière séquence à partir du découpage établi par Peckinpah ; sur la quinzaine de plans prévus par ce dernier, Dawson réussit à en tourner environ la moitié dans le délai imparti. Illustré par des extraits du film, photos de tournage N&B et couleurs, photos d’archives.

Entretien avec Katherine Haber (2015, 13’20”, VOSTF) : pendant l’hommage à Peckinpah rendu par le Festival de Locarno, elle revient sur le tournage, ses relations intimes avec Peckinpah, et apporte quelques anecdotes ne figurant pas dans le documentaire de Siegel.

Les affiches et photos du film (2017, 5’57”) : belle galerie affiches et photos comportant des documents américains, anglais, français, italiens, espagnols, allemands, finlandais, japonais, mexicains. Quelques jeux de photos d’exploitations non détourées au complet : notamment le jeu français, américain, italien. Il faut observer avec attention certains jeux de photos d’exploitation car elles comportent à l’occasion des plans absents du film (par exemple sur l’une d’elles, on voit le gangster mexicain tenant la bêche qui assomme Bennie, en plan de demi-ensemble alors que dans le film, seule la bêche est montrée, pas celui qui la tient).

Bonus quantitativement supérieurs à ceux de l’ancienne édition française DVD MGM de 2005 (pas difficile car il n’y en avait pas) et à ceux de l’ancienne édition Blu-ray Filmedia (qui comportait déjà un assez long documentaire sur Peckinpah et une analyse). Ensemble parfois un peu redondant, surtout pour qui a déjà lu le livret avant de visionner les bonus vidéo, mais restituant bien la genèse, la production et la vie posthume de ce titre majeur de Sam Peckinpah. Mais pourquoi n’avoir pas repris aussi les commentaires audio des éditions américaines MGM et Kino Lorber, très précis et riches en informations ?

Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia

Image - 4,0 / 5

Format original respecté 1.85 compatible 16 / 9, en couleurs. Kino Lorber a édité aux USA, en mars 2021, un Blu-ray muni d’une copie argentique MGM améliorée sur le plan argentique puis l’a remplacé deux mois plus tard, en mai 2021, par une nouvelle édition munie de la copie argentique remastérisée 4K qui était déjà disponible depuis 2017 chez l’éditeur anglais Arrow: cette dernière fait donc, désormais, autorité, y compris aux USA. Lequel de ces deux masters a été utilisé pour cette édition française BQHL ? That is the question. Un certain nombres de plans sont encore émaillés de poussières négatives et positives (ni le master Arrow ni le master MGM n’en sont totalement venus à bout) mais les autres traces d’âge (griffures, rayures, brûlures) ont été pratiquement nettoyées. Transfert vidéo Full HD doté d’une belle stabilité picturale, augmentant considérablement la définition des scènes nocturnes, rafraîchissant remarquablement la colorimétrie initiale des anciens masters DVD : le travail du directeur de la photographie Alex Phillips Jr. est vraiment restitué.

Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia

Son - 4,0 / 5

Linear PCM Dolby Digital Mono 2.0 pour la VOSTF comme pour la VF d’époque. La VF d’époque n’est pas mauvaise (bien que la voix originale de Warren Oates soit plus dure, plus grave, plus sèche que celle de son doubleur français : cela change l’ambiance des dialogues qui sont plus âpres dans la VOSTF). Les passages de la Bible latine, lue à haute voix par El Jefe, sont traduits en français dans la VF mais pas dans les STF. En revanche, elle modifie parfois les dialogues : au lieu du nom « Fred C. Dobbs » dans la VO, on entend « Humphrey Bogart » dans la VF : l’allusion cinéphile au personnage joué par Bogart dans Le Trésor de la Sierra Madre (USA 1948) de John Huston est donc totalement annihilée dans la VF. L’argot de certains dialogues de la VF a, en outre, vieilli : il est vrai que l’argot est ce qui vieillit le plus vite dans toute langue. Le cinéphile francophone relève une allusion, uniquement dans la VF, au Le Cave se rebiffe (Fr.-Ital. 1961) de Gilles Grangier. Le rapport musique-dialogues-effets sonores est moins riche en VF que dans la VO qui est plus ample dès le générique d’ouverture. Quelques effets sonores y sont surdimensionnés à l’occasion : par exemple la guitare heurtée par les pieds nus de Isela Vega au saut du lit. Partition signée Jerry Fielding comportant quelques beaux morceaux mais ne valant tout de même pas celle qu’il avait signée, quelques années plus tôt en 1971, pour Chiens de paille.

Crédits images : © United Artists, Martin Baum/Sam Peckinpah

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
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francis moury
Le 16 novembre 2022
Film noir policier au scénario original, au style impressionnant : un des meilleurs de la décennie 1970-1980.

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Aliocha
Le 12 août 2021
Pas de commentaire.
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Sabrina Piazzi
Le 20 novembre 2012
Pas de commentaire.

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