Big Guns (Les Grands Fusils) (1973) : le test complet du Blu-ray

Tony Arzenta (Big Guns)

Édition Limitée Blu-ray + DVD

Réalisé par Duccio Tessari
Avec Alain Delon, Richard Conte et Carla Gravina

Édité par Pathé

Voir la fiche technique

Avatar Par
Le 25/07/2023
Critique

Le film noir policier le plus violent jamais tourné par Alain Delon et l’un des meilleurs de l’âge d’or italien du genre.

Big Guns

Crédits images : © Droits réservés

Milan, Italie, le 20 janvier 1973 : Tony Arzenta, tueur professionnel de la mafia, annonce à son patron Nick Gusto qu’il veut changer de vie. Ce dernier semble compréhensif mais ce n’est pas le cas de ses associés. 8 jours plus tard, la famille d’Arzenta meurt dans un attentat à la voiture piégée dont il était la cible. Gusto reconnaît une grave erreur (commise par son conseiller qu’il réprimande) mais il est trop tard : Arzenta se retourne contre l’organisation. Il exécute à travers l’Europe certains des associés de Nick, avec l’aide d’une informatrice amoureuse de lui. Protégé par Interpol, il passe les frontières entre Milan et Paris, Milan et Copenhague. Mais il est bientôt repéré par l’organisation, blessé et contraint de se replier en Sicile. On lui propose alors une négociation qui pourrait aboutir… mais le conditionnel peut signifier, dans le cas d’Arzenta, sa vie ou sa mort.

Big Guns (Les Grands fusils / Tony Arzenta, Ital.-Fr. 1973) de Duccio Tessari (1926-1994) appartient à l’âge d’or du film noir policier italien (1970-1980) et demeure un des meilleurs titres produits par le prolifique Luciano Martino, ici co-producteur avec l’acteur Alain Delon.

Filmographiquement, Big Guns demeure le plus intense film noir policier interprété par l’acteur sur le plan de la violence graphique : il suffit, pour en avoir confirmation, de le comparer aux meilleurs de ceux qu’il tournait alors en France pour les cinéastes Jean-Pierre Melville (notamment 1967 et 1970) ou Jacques Deray (notamment 1975). Non pas que Melville ou Deray aient ignoré les prestiges graphiques de la violence mais ils en usaient moins : question de tempérament national esthétique davantage équilibré, assurément moins baroque qu’en Italie. Toujours est-il qu’on n’oublie plus, une fois qu’on les a visionnés, les sévices infligés aux personnages joués par Carla Gravina et par Marc Porel : on trouve leur équivalent dans le cinéma policier italien contemporain, pas dans le cinéma policier français. Autour de Delon gravite un casting concerté, savamment dosé, empruntant aussi bien à Hollywood (l’acteur italo-américain Richard Conte) qu’au cinéma-bis italien (Erika Blanc, Rosalba Neri, Nicoletta Machiavelli et, révélation, Loredana Nusciack qui était certes présente au générique d’ouverture mais invisible dans la version française : rien que pour elle, il faut visionner la version intégrale italienne) sans oublier des comédiens européens alors au sommet de leur puissance dramatique tels que Anton Diffring, Roger Hanin, Umberto Orsini.

Sur le plan de l’histoire du cinéma, Le Parrain (USA 1972) de Francis Ford Coppola et Cosa nostra (Fr.-Ital. 1972) de Terence Young venaient de remporter un tel succès financier que le thème de la mafia devenait non seulement franchement abordable mais exploitable des deux côtés de l’Atlantique. On se souvient que le style du Salvatore Giuliano (Ital. 1962) de Francesco Rosi (*) reproduisait syntaxiquement l’aspect mystérieux et impénétrable de son sujet : il confinait même à plus d’une reprise au cinéma expérimental le plus formellement recherché de son temps. Dix ans plus tard, c’est l’inverse que veulent les cinéastes italiens de série B. La narration de Big Guns est directe, frontale, brutale sur le fond comme sur la forme : cette dernière est néanmoins, sur le plan strictement technique, constamment recherchée et sophistiquée, ce qui renforce encore son efficacité. L’une des séquences les plus étonnantes, de ce point de vue, demeure le mouvement panoramique décomposant les fragments de l’appartement où se cache le héros, rythmé par une chanson populaire de l’époque, s’achevant par la vision fugitive du pistolet semi-automatique Colt 1911A1 calibre 45ACP et de ses deux chargeurs garnis, déposés sur une table entre deux objets anodins de la vie quotidienne. Cette ironie noire, cette violence latente qui ne demande qu’à exploser, c’est toute la puissance et l’intelligence de la mise en scène de Tessari. Elle est adaptée à un public populaire : celui qui a toujours fait triompher au box-office le genre du film noir policier depuis les origines du cinéma muet à nos jours.

Big Guns

Crédits images : © Droits réservés

Richard Conte jouait un jeune parrain psychopathe, brutal mais capable de passion amoureuse dans Association criminelle (The Big Combo, USA 1955) de Joseph H. Lewis. Ceux qu’il interprète en Italie dans les années 1975 héritent de celui, naturellement plus âgé, qu’il venait d’interpréter dans le film noir policier américain de Coppola de 1972 qui l’opposait à celui incarné par Marlon Brando. Qu’on songe aussi à celui, très proche, qu’il joue dans le strictement contemporain Le Boss (Ital. 1973) de Fernando Di Leo : cette nouvelle manière, intelligente, cynique, froidement ironique mais capable d’une occasionnelle chaleur immédiatement battue en brèche, est plus équilibrée et nuancée qu’en 1955 mais fondamentalement inquiétante. Elle a, dirait-on, traversé l’Atlantique pour se retrouver chez elle. D’une certaine manière, et la filmographie de Richard Conte le prouve, les cinéastes italiens de cet âge d’or du film noir policier italien 1970-1980 ont retrouvé le secret du premier âge d’or du film noir américain de 1945-1955. Ce n’est pas un hasard si nombre d’acteurs américains issus des années 1950 et qui s’étaient illustrés dans le genre (Lee J. Cobb, Barry Sullivan, John Saxon, Jack Palance et tant d’autres) jouèrent dans ces films noirs policiers de l’âge d’or italien 1970-1980 : le monde perdu du film noir américain, ils le retrouvaient en Italie mais doté d’un sang nouveau et systématiquement filmé en couleurs. Borde et Chaumeton écrivaient en 1979 dans la Postface de leur inégal mais riche Panorama du film noir américain (éditions de Minuit, Paris 1979) que le second âge d’or 1964-1974 du film noir policier américain (que je daterai pour ma part plutôt 1968-1979 en prenant pour bornes deux titres majeurs signés par le cinéaste Don Siegel à dix ans de distance) avait été esthétiquement influencé par l’irruption à Hollywood de cinéastes anglais. C’était vrai mais ils oubliaient les cinéastes italiens et leur influence contemporaine sur ce même Hollywood. A vrai dire, l’influence fut réciproque, tant thématiquement que esthétiquement, durant cette même période.

Deux versions sont ici présentées : la version exploitée en Italie (1H 53 min. approximativement en durée cinéma 24 images / secondes sur Blu-ray) comporte environ 10 minutes de plus que la version française : leur niveau de violence graphique est identique. Le co-producteur Delon a pu juger que certaines séquences gagnaient à être un peu raccourcies dans la version française (anniversaire du début, poursuite en voitures dans une forêt près de Milan, découverte du bar érotique à Copenhague) voire même franchement supprimées (la première victime d’Arzenta au sauna avec son épouse dénudée jouée par la belle Loredana Nusciak, une discussion d’affaires de Carré dans un night-club). Le spectacle lesbien dans le bar de Copenhague avait été réduit à un arrière-plan d’une fraction de seconde en France alors qu’il comporte plusieurs plans bien plus explicites dans la version italienne. Cela dit, aucune différence notable de scénario entre les deux versions, ni aucun plan qui change la donne thématique ou esthétique d’une manière significative. Globalement, la version française demeure meilleure en raison de son montage très serré (la suppression de la séquence avec Loredana Nusciak nue constituant sa seule faiblesse) mais la version italienne est un peu plus ample et, sur le plan de l’érotisme, plus riche de quelques plans.

(*) Lucky Luciano (Ital.-Fr.-USA 1973) du même Francesco Rosi est certes moins recherché et inspiré que son titre de 1962 mais il maintient une ambition thématique et formelle souvent remarquable tout en sacrifiant parfois à l’efficacité graphique de la violence des années 1970.

Big Guns

Crédits images : © Droits réservés

Présentation - 2,0 / 5

1 Blu-ray BD50 région B + 1 DVD9 + 1 DVD5 de bonus, édité par Pathé en Digipack limité à 3000 exemplaires, le 28 juin 2023. Image couleurs au format 1.85 compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio VF d’époque + VOSTF 2.0 mono. Durée film (sur Blu-ray correspondant à la durée cinéma) : 113 min. environ (version longue italienne restaurée) et 103 min. environ (version française d’époque), restaurées 4K en 2022 par Pathé. Supplément : présentation du film par Jean-François Rauger, Laurent Chollet, Nicolas Pariser (38 min. environ).

Bonus - 3,0 / 5

Présentation du film par Jean-François Rauger, Laurent Chollet, Nicolas Pariser (38 min. environ) : elle situe bien le titre dans l’histoire du cinéma. Remarques un peu longues et répétitives (en dépit de leur exactitude) sur la beauté de Delon mais pertinentes sur la composition du casting, la mise en scène de Tessari (l’analyse du thème du machinisme symbolique du tueur selon Rauger), sur le rapport du titre au film noir policier italien B (alors méprisé par les critiques français de l’époque, ainsi que le rappelle Chollet). En illustrations, trop nombreux extraits du film (qu’on vient de voir : ils ne servent donc à rien) mais aucun document matériel d’histoire du cinéma. J’aurais apprécié une galerie affiches et photos d’exploitation, au moins italiennes et françaises. Pathé est capable d’en trouver pour des films de Gilles Grangier des années 1950 mais pas pour ce film policier de 1973 ?

Image - 5,0 / 5

Format large respecté 1.85 compatible 16/9, en Eastmancolor reporté en Full HD 1080p AVC (sur le Blu-ray). Cette édition Pathé à l’image restaurée en 2022 constitue dorénavant l’édition de référence en Full HD, qu’il s’agisse de la VISTF ou de la VF. On peut oublier les anciennes éditions françaises, italiennes et même japonaises qui faisaient l’objet de savantes comparaisons de minutages depuis dix ans. Copies argentiques dotées d’une parfaite définition, d’un excellent contraste, d’une remarquable gestion des noirs et des couleurs, qu’il s’agisse des intérieurs ou des extérieurs. Impeccable équilibre entre grain et lissage.

Son - 5,0 / 5

Son DTS-HD Master Audio VF d’époque + VOSTF italienne 2.0 mono : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Pistes son bien nettoyées dans les deux cas, dotées d’un bon dynamisme natif. La VF d’époque est dramaturgiquement soignée : on y entend bien sûr les propres voix des acteurs Alain Delon, Roger Hanin et Marc Porel qui s’étaient post-synchronisés eux-mêmes. Notez que le générique de fin français mentionne quelques autres actrices et acteurs de post-synchonisation mais juge inutile de mentionner les trois noms cités, leurs voix étant à l’époque immédiatement reconnaissables. Assez nombreuses différences entre la VISTF et la VF (davantage argotique, agressivement vulgaire mais savoureuse) : elles concernent parfois le fond des dialogues et modifient le sens de la séquence. Le personnage de Maggio affirme par exemple son indéfectible sens de l’honneur lorsqu’il dit ainsi à un de ses tortionnaires « Tu peux me tuer maintenant » dans la VF alors que la VISTF écrit en sous-titres « Qu’est-ce que tu veux [savoir] de plus ? ». Le fait qu’il s’agisse de ses dernières paroles modifie définitivement le personnage dans un sens opposé selon qu’on écoute l’une ou l’autre version. Nick dit à ses associés dans la VISTF : « [Arzenta] est un ami ; je vais lui parler » alors que la VF se contente d’un plus froid « Je lui dirai qu’on ne voit pas les choses comme lui ». Dans les deux cas, la séquence suivante modifie définitivement le sens de ces paroles mais la notion d’amitié tout de même affirmée dans la VISTF a été gommée dans la VF. Durant la poursuite dans la forêt des environs de Milan, lorsque l’un des tueurs se plaint que son pistolet-mitrailleur Beretta M12 soit enrayé, son complice lui conseille de tirer par la fenêtre avec un simple pistolet sur la voiture d’Arzenta. Il se voit répondre dans la VISTF : « Mêle-toi de tes affaires et occupe-toi de conduire cette bagnole ! » tandis que la VF lui fait dire « T’es tombé sur la tête ?! Cet enfant de putain peut châtrer un puceron à 100 mètres ! » ce qui, outre une vigueur argotique assez comique occasionnant une fraction de seconde de détente dans un contexte aussi tendu, informe le spectateur qu’Arzenta est réputé dans le milieu pour ses hautes qualités de tireur, information absente de la VISTF. On pourrait multiplier les exemples de ces modifications plus ou moins légères de dialogue entre les deux versions sonores. Musique alternant chansons de variété italienne des années 1970, musique au mètre (la boîte de nuit dans laquelle Carré reçoit ses relations d’affaire) et musique classique ; effets sonores soignés et dynamiques dans les deux versions.

Crédits images : © Adel Productions, Lira Films, Mondial Televisione Film

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
Note du disque
Avis

Moyenne

5,0
5
1
4
0
3
0
2
0
1
0

Je donne mon avis !

Avatar
francis moury
Le 26 juillet 2023
Le film noir policier le plus violent jamais tourné par Alain Delon et l’un des meilleurs de l’âge d’or italien du genre.

Lire les avis »

Multimédia
Big Guns (Les Grands Fusils)
Bande-annonce VO

Proposer une bande-annonce

Du même auteur
(publicité)

(publicité)