Les 55 jours de Pékin (1963) : le test complet du DVD

55 Days at Peking

Réalisé par Nicholas Ray
Avec Charlton Heston, Ava Gardner et David Niven

Édité par Opening

Voir la fiche technique

Avatar Par
Le 06/12/2021
Critique

Superproduction historique spectaculaire, équilibrée par l’humanisme de son réalisateur.

Les 55 jours de Pékin

Chine, Pékin 1900, à la fin de la dynastie Quing. L’impératrice Tseu-Hi subit l’influence contradictoire de deux conseillers : le prince Tuan est favorable aux « Boxeurs », des milices armées nationalistes et religieuses ; le général Jung-lu les considère comme des groupes de fanatiques dangereux. Elles attaquent bientôt les légations étrangères d’une douzaine de nations occidentales et celle du Japon, rassemblées dans un même quartier. Les soldats occidentaux et japonais s’unissent pour résister durant 55 jours, au cours desquels le siège s’avère de plus en plus meurtrier.

Les 55 jours de Pékin (55 Days At Peking, USA 1963) de Nicholas Ray (1911-1979) fut produit par Samuel Bronston, l’un des producteurs les plus dispendieux de l’histoire du cinéma américain. Bronston avait, deux ans plus tôt, produit le très beau Le Roi des rois (USA-Esp. 1961) de Nicholas Ray, péplum religieux d’une grande beauté plastique et remarquable variation-remake d’un film de 1927 signé Cecil B. De Mille.

Des superproductions de Bronston filmées en Europe durant la période 1961-1964, il est notoire que Les 55 jours de Pékin fut celle dont le tournage fut le plus difficile. En septembre 1962, pendant le tournage, le réalisateur Nicholas Ray tomba malade. Il fut alors remplacé par Guy Green et, pour les séquences de combat, par Andrew Marton. Ce dernier était déjà réalisateur de seconde équipe, déjà chargé à ce titre de filmer les pures scènes d’action. Il les filma (bien) et pratiquement toutes. Les emplacements de l’action (y compris certains fragments reconstitués du palais impérial) furent recréés près de Madrid sur une surface d’environ 245 000 m2 d’après des photos japonaises prises en 1906. De véritables feuilles d’or furent utilisées pour certains décors et des centaines de figurants chinois furent recrutés en Europe et à Hong Kong.

Le casting est d’une belle richesse lorsqu’on l’examine de près : outre les stars internationales (Ava Gardner, période mûre, au sommet de sa beauté) et d’excellents acteurs anglais de second rôle (par exemple Elizabeth Sellars), on peut y remarquer le réalisateur japonais Juzo Itami (dans le rôle du colonel Shiba), l’acteur chinois de films d’arts martiaux Yuen Siu Tien (un des guerriers « boxeurs »), sans oublier le cinéaste Ray lui-même (dans le rôle secondaire du chef de la mission diplomatique américaine) ou bien encore des acteurs aussi divers que Fernando Sancho (l’un des piliers de l’âge d’or du western européen de 1964-1968 tient ici le rôle d’un ministre belge), John Moulder-Brown (rôle de Tommy) et même Paul Naschy (non crédité) dont les noms sonnent encore agréablement aux oreilles des amoureux de ce qu’on nomme le « cinéma-bis » dans les années 1965-1970. L’impératrice Tseu-Hi est bien jouée par Flora Robson qui, maquillée, lui ressemble vraiment. Sans oublier la présence lumineuse de la très mignonne Lynne Sue Moon (dans le rôle de l’orpheline métisse) qui venait juste de tourner un film fantastique de série B pour le cinéaste William Castle.

Ce qui intéresse Nicholas Ray, dans cet étrange chant du cygne filmographique (du moins sa filmographie hollywoodiennne car il tournera encore quelques fragments dans les années 1970), ce sont les moments intimes de tendresse et d’amour, les intrigues rapportées, fictives, l’amour filial qui s’établit entre une adolescente orpheline chinoise et l’officier joué par Charlton Heston, l’amour charnel qui saisit ce même officier à la vue de la baronne russe jouée par Ava Gardner. Cette dernière, présentée comme une aventurière marginale faisant fi des conventions, constitue, d’autre part, un trait d’union entre la Chine et l’Occident car le scénario lui attribue une ancienne liaison amoureuse avec un Chinois, liaison que son personnage revendique fièrement. Ce n’est pas l’unique fois dans sa filmographie que des personnages incarnés par Ava Gardner auront des liaisons extra-occidentales : ce n’était pas si fréquent dans le cinéma de l’époque et cela mérite (André Bernard l’avait déjà bien remarqué dans sa biographie de l’actrice) d’être noté.

Ray s’attache aussi à des moments hors du temps mais bien insérés dans l’espace de référence : la danse nocturne de Ava Gardner et Charlton Heston dans un temple chinois dont le mouvement de caméra s’achève sur une statue au visage énigmatique. Les séquences les plus fascinantes demeurent probablement celles représentant le cérémonial des audiences accordées par l’impératrice : leur splendeur plastique, leur ampleur spatiale procèdent d’une sorte de vision presque fantastique, par-delà leur aspect politique contingent. Ce sont ces moments qui permettent au film de dépasser son aspect de roman-photo de série A, de s’élever par-dessus l’anecdote historique contingente (Ray ne prend pas vraiment partie entre les deux camps : il est presque imprégné par le fatalisme religieux chinois qui les considère comme évanescents et sans importance réelle, un peu comme le vieux marchand d’opium le suggère à la baronne devenue infirmière de guerre).

Reste que, en 1963, le message éminemment politique de cette production est très clair : les puissances occidentales doivent s’allier (comme elles l’ont fait récemment pour défendre la Corée du Sud et comme elle le feront bientôt pour défendre le Sud-Viêtnam) contre les errements d’une puissance chinoise communiste tyrannique, héritière fonctionnelle et structurelle des anciennes dynasties ici représentées. Quelques erreurs (et parfois des modifications sciemment effectuées) historiques : les « Boxeurs » s’en prennent seulement aux étrangers dans le film alors qu’ils étaient aussi hostiles à la dynastie Mandchou qu’ils tenaient responsable du dépeçage du pays par les étrangers ; la dynastie Quing ne s’achève pas à l’issue des 55 jours comme le dit la voix-off mais en 1911 seulement ; le nom de l’ambassadeur anglais n’est pas son véritable nom : il a été changé pour d’obscures raisons qui échappent même à David Niven, son interprète. Reste qu’au total, et comme toutes les superproductions de Bronston, celle-ci fut injustement méprisée par la critique française alors qu’elle réserve de belles surprises, tant thématiques que plastiques.

Les 55 jours de Pékin

Présentation - 5,0 / 5

Édition Rimini limitée contenant 1 Blu-ray BD50 régions B 1080p AVC film + 1 DVD9 film + 1 DVD bonus + 1 livret de 100 pages contenus dans un mediabook distribué le 20 octobre 2021. Durée du film : 162 min. environ (= 160 + 2 minutes environ de chanson entendue lors de la sortie du cinéma, après le générique de fin). Image au format 2.35 en couleurs, compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio 5.1. + 2.0 Stéréo en VOSTF et 2.0. mono en VF d’époque. Suppléments : « La Chute de l’empire hollywoodien » par Jean-François Rauger (2021, 8’22”) + « Un tournage cauchemardesque » : interviews de Samuel Blumenfeld, critique cinéma (2021, 10’54”) + « La révolte des boxeurs » (2014, 12’46”) + « Les boxeurs au cinéma » (2014, 6’08”) + « Histoire(s) de Chine » par Olivier Assayas et Charles Tesson (2005, 37’20”) + Interviews d’époque (VOST) de Charlton Heston (5’41”), David Niven (5’34”), John Moore (6’57”) + Bande-annonce (3’14”, VO). Possibilité de changer de piste-son à la volée.

Livret 100 pages illustrées. Pas reçu.

Les 55 jours de Pékin

suppl_note = 3

Bonus - 0,0 / 5

Mise à part les interventions 2021 de Jean-François Rauger et Samuel Blumenfeld, les autres bonus proviennent de l’ancienne édition collector française Filmedia de 2014, y compris la conversation filmée en 2005 entre Assayas et Tesson. Ce DVD de bonus est dédié « à la mémoire de Christophe Champcleaux » : je veux ici rappeler le souvenir de ce cinéphile qui avait notamment redécouvert Sugata Sanshiro (Jap. 1965) de Seiichiro Uchikawa, un film produit, monté et supervisé par Akira Kurosawa mais dont la Toho, en 1995, ne se souvenait plus et dont il n’existait alors au Japon ni VHS ni Laserdisque. C’est lui qui, à partir d’une remarque de Wang Yu, avait remonté la piste matérielle de cette nouvelle version du La Légende du grand Judo (Jap. 1943) de Akira Kurosawa. Grâce à son enquête couronnée de succès, Sugata Sanshiro avait été retrouvé et présenté chez nous au cinéma en 1999 puis en DVD en décembre 2003 par Cheyenne Films.

La Chute de l’empire hollywoodien par Jean-François Rauger (2021, 8’22”) : Le titre peut sembler infondé puisqu’il n’y a jamais eu de chute de l’empire en question et que Hollywood se porte aussi bien aujourd’hui qu’hier mais il est vrai qu’en 1960, les télévisions américaines constituaient des adversaires redoutables en termes d’audience publicitaire. Samuel Bronston estima que la superproduction sur écran très large pouvait ramener les spectateurs dans les salles de cinéma. Le raisonnement n’avait rien de neuf. Il était tenu depuis au moins 1953 par les majors : il reprenait d’ailleurs les formules déjà mises au point à l’époque du cinéma muet des deux côtés de l’Atlantique. Historiquement, il est en outre inexact de prétendre que le cinéma spectaculaire de Bronston est un cinéma crépusculaire et dépassé qu’on ne reverra plus : les films catastrophes des années 1970-1980, pour ne citer qu’eux, notamment ceux produits par Irwin Allen, constituent un évident démenti à cette affirmation. Quelques renseignements biographiques et filmographiques à grapiller au détour de telle ou telle remarque : celle, savoureuse, sur la filiation avec Léon Trotsky, constamment reniée par Bronston, vaut à elle seule le détour.

Un tournage cauchemardesque : interviews de Samuel Blumenfeld (2021, 10’54”) : je ne suis pas vraiment convaincu par la démonstration de Blumenfeld - certes étayée par sa bonne connaissance du sujet et par le fait qu’il a écrit la biographie d’un proche collaborateur de Bronston - qui s’évertue à prouver en dix minutes que la direction artistique et les décors du film étaient techniquement ineptes, que les méthodes de production de Bronston étaient dispendieuses et absurdes. Le résultat cinématographique me ferait assez penser le contraire car, comme toutes les productions de Bronston, celle-là est visuellement magnifique.

La Révolte des boxeurs (2014, 12’46”) de Christophe Champcleaux : en quoi consista exactement la révolte chinoise dite « Révolte des Boxeurs » ? Quelles différences constate-t-on entre la réalité historique et le scénario du film de Nicholas Ray ? Documentaire dense, riche en informations, montrant de nombreux documents d’époque. Sonorisation parfois naïve (coups de feu, cris).

Les Boxeurs au cinéma (2014, 6’08”) de Christophe Champcleaux : le film de Nicholas Ray ne fut pas le premier à traiter de la « Révolte des Boxeurs » ; il y eut, des deux côtés de l’Atlantique, des films consacrés aux mêmes évènements de 1900, dès l’époque du cinéma muet. Nombreux documents : affiches, photos, extraits. Bref mais intéressant.

Histoire(s) de Chine (2005, 37’20”) de Noël Simsolo : attablés après un repas dans un coin de restaurant, le cinéaste Olivier Assayas et le rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma Charles Tesson discutent. Assayas revient sur l’histoire générale de la Chine à l’époque des faits ; Tesson compare le film de Ray à des films chinois variés. Durant le dernier quart d’heure, ils discutent ensemble du film de Ray : on apprend ainsi grâce à Tesson quelles sections précises du film furent tournées par Andrew Marton et Guy Green. Assayas n’aime pas le film de Ray ; Tesson est plus nuancé mais globalement ne l’aime pas non plus. L’élocution de Assayas est trop rapide et désagréable à écouter. Celle de Tesson est normale mais sa prononciation est parfois indistincte. Quelques extraits du film (2.35 compatible 4/3, VO sans STF) illustrent l’ensemble. Quelques éléments intéressants d’histoire générale et d’histoire du cinéma mais certains font double-emploi avec d’autres bonus.

Interviews d’époque (VOSTF)  : des acteurs Charlton Heston (5’41”) et David Niven (5’34”), du décorateur John Moore (6’57”). Les deux premiers entretiens n’ont franchement aucun intérêt tant ils sont formatés et attendus; le troisième est nettement plus informatif puisque Moore ne fut pas seulement décorateur mais aussi accessoiriste et directeur artistique. Le son est parfois absent de certains fragments de l’entretien avec Moore.

Bande-annonce (3’14”, VO) : on aurait pu se donner la peine de retrouver une bande-annonce française d’époque. Cette bande-annonce américaine présente cependant l’intérêt d’identifier les acteurs principaux en inscrivant leur nom au moment où ils apparaissent.

Ensemble honorable qui apprend beaucoup de choses (l’un d’eux permet aussi d’observer certains photos françaises d’exploitation bien reproduites mais trop petites : cela compense un peu l’absence de galerie dédiée) mais une partie non négligeable est constituée d’interventions de gens n’aimant pas le film. Pourquoi n’avoir pas, tout simplement, repris l’intégralité des bonus de l’ancienne édition Filmedia ? On y trouvait un ample documentaire de 45 minutes réalisé par Christophe Champcleaux sur la production de Les 55 jours de Pékin et un documentaire de 20 minutes réalisé par Linda Tahir sur l’actrice Ava Gardner qui demeure, à mes yeux, une des raisons majeures de visionner le film. Ils auraient avantageusement remplacé, à mon avis, les bonus 2021 et 2005 qui sont parfois intéressants mais pas tant que ça, et qui sont globalement hostiles au film de Ray pour des raisons politiques, historiques et esthétiques qui ne me semblent pas fondées, surtout lorsqu’on les examine après avoir revu le film qui vaut mieux que ce qu’ils en disent.

Les 55 jours de Pékin

Image - 4,5 / 5

Format 2.35 compatible 16/9, Full HD 1080p AVC. Le producteur Samuel Bronston appréciait le format Super Technirama 70mm (convertible aussi sans déperdition en 65mm et en 35mm par le laboratoire Technicolor et surtout exploitable sur copies 35mm par n’importe quel cinéma) : les deux grandes productions de 1961 et de 1963 qu’il confia au cinéaste Nicholas Ray furent donc tournées avec ce procédé d’écran large. En 2013, le film fut restauré à partir d’un scan du négatif 70mm original, le tout effectuée aux studios Pinewood. La copie argentique est ici en très bon état général sauf un fugitif défaut d’une fraction de seconde (une étrange barre verte apparaît en bas de l’écran) durant le plan générique d’ouverture mentionnant justement le format et le procédé couleurs ; le reste est impeccable. La numérisation est au format 2.35 (cas des tirages en 65mm et 35mm) au lieu du 2.20 de l’ancienne édition Blu-ray de 2014 (qui s’appuyait sur un tirage 70mm natif) : elle est dotée d’une excellente définition, de très belles couleurs et d’une très bonne gestion des dégradés de noirs comme du contraste. Direction de la photo signée Jack Hildyard. Belle performance, compte tenu de la longue durée du film. Transfert vidéo précis et grain bien respecté, bonne définition des contours lors des scènes nocturnes. À noter que les trois panneaux « Ouverture », « Entr’acte » (« Intermission » en anglais) et « Exit » (sonorisés par la musique de Dimitri Tiomkin), sont eux aussi préservés, reproduisant ainsi les conditions d’une authentique séance de cinéma de 1963.

Son - 5,0 / 5

Son VOSTF en DTS-HD Master Audio 5.1. Surround (piste son correspondant le mieux à une copie 70mm native qui disposait d’ailleurs de 6 pistes d’origine avec le système d’enregistrement Westrex de 1963) + VOSTF 2.0 Stéréo (piste son de la copie 35mm) + VF d’époque en 2.0 mono : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. La version 5.1 est d’une beau relief sonore, augmentant les nuances des effets sonores. Les STF et la VF d’époque sont en général fidèles au dialogue américain original. Musique signée Dimitri Tiomkin qui retrouve, sur la piste 5.1., une incroyable dynamique et toute sa texture sonore originelle.

Crédits images : © Charles Bronston

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
Note du disque
Avis

Moyenne

4,3
5
1
4
3
3
0
2
0
1
0

Je donne mon avis !

Avatar
francis moury
Le 7 décembre 2021
Superproduction historique spectaculaire, équilibrée par l’humanisme de son réalisateur.
Avatar
amis
Le 25 octobre 2021
Une image magnifique des bonus et un très beau livre
Avatar
olivier
Le 13 mars 2005
Pas de commentaire.

Lire tous les avis »

Multimédia

Proposer une bande-annonce

Du même auteur
(publicité)

(publicité)