L'Aigle s'est envolé (1976) : le test complet du DVD

The Eagle Has Landed

Réalisé par John Sturges
Avec Michael Caine, Donald Sutherland et Robert Duvall

Édité par Elephant Films

Voir la fiche technique

Avatar Par
Le 19/08/2014
Critique

Allemagne et Angleterre, 1943 : encouragé par le succès de l’évasion de Mussolini, Himmler ordonne au colonel Radl d’étudier puis d’organiser l’enlèvement (mort ou vif) du premier ministre anglais Winston Churchill. L’opération commando, pourtant soigneusement préparée et menée par des parachutiste aguerris, se transforme inexorablement en mission-suicide.

The Eagle Has Landed(L’Aigle s’est envolé) (USA 1976) de John Sturges mérite l’intérêt du cinéphile à un double titre : c’est d’une part l’un des meilleurs films de guerre de la décennie 1970-1980, c’est d’autre part le dernier film signé par Sturges (1910-1992) qui doit être dorénavant considéré comme l’un des plus grands artisans plasticiens d’Hollywood durant sa période de maturité filmographique, à savoir les années 1950 à 1975.

Doté d’un casting époustouflant (Michael Caine, Robert Duvall) et parfois très suprenant (Larry Hagman en officier américain infantile et incapable mais courageux, Donald Pleasance jouant Heinrich Himmler, Donald Shuterland en espion de l’IRA irlandaise), d’un budget de série A survitaminée permettant une direction artistique de premier ordre, d’une photo en Scope 2.35 poussant le format aux limites de sa capacité plastique. Adapté par Tom Manckiewicz, le fils du cinéaste Joseph Manckiewicz, d’un roman anglais best-seller de Henry Paterson édité un an plus tôt sous le pseudonyme de Jack Higgins. Le roman comme le scénario ressortent d’un curieux genre (parallèle à celui de la science-fiction à moins qu’il n’en soit l’inverse : les avis esthétiques divergent parfois à son sujet parmi les historiens de la littérature) à savoir celui de la « fiction historique » plausible.

La version intégrale non exploitée au cinéma (comprenant environ 15 à 17 minutes de plus, visibles sur l’édition anglaise 2 DVD Carlton sortie en 2007 et dont une photo du verso de cette jaquette Elephant provient directement) débutait par cette inscription au générique qu’on pourrait traduire ainsi : « Au moins la moitié de cette histoire repose sur des faits historiquement vérifiés, à vous de deviner si c’est le cas du reste » ! Le jeu entre histoire et fiction est constant tout du long : le générique montre, en un plan aérien virtuose, le château « nid d’aigle » d’Hitler parce qu’une scène initiale post-générique montrait Himmler venir au château recevoir l’ordre d’Hitler lui-même d’entreprendre l’étude prospective de la mission suicide. Le rebondissement final inscrit cette dialectique entre fiction et histoire comme étant le sujet profond, authentiquement shakespearien, de l’intrigue. Il y a quelque chose de shakespearien mais aussi, et tout naturellement, de wellesien dans le sujet comme dans son traitement. Chacun des personnages principaux comporte, comme souvent chez Shakespeare et comme souvent chez Orson Welles, une face véridique et une face trompeuse, chacun d’eux trompe et est trompé par les autres comme par le destin. La construction de l’histoire est organisée pour obtenir la rencontre finale de trajectoires qui, au moment où elles se heurtent, provoquent l’éclatement de l’ensemble de ces jeux de miroir et la mort tragique de presque (le suspense réside aussi là, dans ce « presque ») tous les protagonistes.

Plastiquement, Sturges est alors au sommet de son art : il traduit d’une manière presque langienne (1) les lignes de force du récit, cela dès le générique d’ouverture à la rigueur ample et, encore aujourd’hui, si impressionnante. Les 45 dernières minutes sont parcourues - par-delà la violence graphique évidente et spectaculaire des combats, violence d’ailleurs parfois presque démentielle - d’éclairs baroques et de clairs-obscurs qui renforcent cette tonalité tragique. Sturges maintient tout du long une étrange objectivité, à la fois distante et proche, paradigme de celle qui fascinait son personnage le plus curieux, à savoir l’officier irrationnaliste Radl admirablement joué par Robert Duvall.

Un seul bémol, sur le plan de l’histoire du cinéma : en dépit de leur efficacité spectaculaire, les séquences de combats dans l’église ne sont pas originales. On doit en effet ici se souvenir que, un an plus tôt, l’admirable Operation : Daybreak (7 hommes à l’aube) (USA 1975) de Lewis Gilbert, avait déjà filmé des séquences finales incroyablement violentes qui se situaient dans une église. Comme d’habitude en histoire du cinéma, les dates sont déterminantes : le films de Gilbert est sorti en avant-première en novembre 1975 et celui de Sturges en décembre 1976. Les producteurs de Sturges et / ou Sturges lui-même furent-ils conscients du précédent et voulurent-ils, en toute connaissance esthétique de cause, rééditer l’exploit ? Ou bien cette reprise de l’idée est-elle le fruit, ici aussi, d’un hasard objectif ? C’est pour répondre à de telles questions que le cinéphile anglophone peut consulter les éditions collector anglaises et américaines, en attendant que leurs suppléments arrivent un jour, sous-titrés, chez nous. On leur donne donc rendez-vous pour une prochaine édition 4K qui, je l’espère, les comportera tous enfin, y compris les 17 minutes coupées qui constituent un intéressant document d’histoire du cinéma. Ce dernier titre de Sturges n’a pas encore, on le voit, révélé tous ses secrets au cinéphile français.

(1) qu’on se souvienne du Man Hunt (Chasse à l’homme) (USA 1941) de Fritz Lang qui relevait déjà, trente-cinq ans plus tôt, lui aussi de la « fiction historique » et qui débutait d’ailleurs dans le même lieu : le château nid d’aigle d’Hitler.

Présentation - 4,0 / 5

1 Blu-ray + 1 DVD sous boîtier et étui illustré, en combo mais aussi en éditions single, avec film et suppléments, édités par Eléphant le 19 août 2014. Image couleurs au format original 2.35 respecté compatible 16/9. Son Dolby Stéreo VOSTF et VF Dolby Mono. Durée du film sur DVD : 135 min. environ. Suppléments (du DVD) : galerie 75 photos couleurs et une dizaine de bandes-annonces en VOSTF. Seul l’édition single DVD a été testée.

Bonus - 4,0 / 5

D’abord une ample galerie de 75 photos couleurs comprenant des photos détourées d’exploitation, des photos de plateau, des photos de tournage et un projet d’affiche. Il manque les affiches les plus importantes et les photos d’exploitation sont détourées mais, ces deux points négatifs à part, l’ensemble est remarquable et parfaitement reproduit. Suivent une dizaine de bandes-annonces, la plupart au format et presque toutes en VOSTF : L’Aigle s’est envolé, Le Secret du rapport Quiller (au format scope 2.35 original du titre de référence), etc. mais la présentation du film par Yves Boisset est absente des suppléments de ce DVD.

Pour avoir une édition collector, il faut, hélas, quitter la France et se retourner vers une ancienne édition anglaise 2 DVD Pal zone 2, à savoir la « special edition » Carlton sortie en 2007 qui contenait 17 minutes coupées au montage, un entretien avec le réalisateur John Sturges, un entretien avec les acteurs Michael Caine et Donald Shuterland. Inutile de préciser que l’édition anglaise en question était dénuée de tout sous-titre français et de tout doublage français. La plus récente édition Blu-ray américaine chez Shout Factory, sortie le 15 juin 2013, reprend un certain nombre de ces suppléments mais pas les 17 minutes coupées uniquement disponibles, pour l’instant, dans l’ancienne édition 2 DVD Carlton anglaise.

Image - 5,0 / 5

Edition Elephant à marquer d’une pierre blanche : elle est au format original 2.35 bien respecté alors que la première édition DVD TF1 sortie chez nous vers 2000 était recadrée en 1.78. La jaquette Elephant ne mentionne au verso que « format respecté compatible 16/9 » : peu importe, pourrait-on ajouter en paraphrasant Charles Baudelaire, la mention, pourvu qu’on ait le format original respecté ! Était-ce le cas de la reprise DVD par TF1 vidéo dans sa seconde édition de 2008 ? Je l’ignore mais l’édition collector anglaise 2 DVD « special edition » Carlton sortie en 2007 était déjà, pour sa part, au format 2.35 correct : il eût donc été logique que la seconde édition TF1 bénéficiât de ce progrès. Aujourd’hui, l’étalon image est fourni par l’éditeur américain Shout Factory qui a sorti le titre en combo Blu-ray + DVD en 2013. C’est probablement ce beau master Shout Factory qui est ici repris par Elephant en Blu-ray comme en DVD. L’image argentique de ce DVD est globalement très bien restaurée. Il suffit de comparer l’image de la bande-annonce fournie en supplément à celle du métrage de référence pour en avoir confirmation : à format identiquement respecté, on peut aisément mesurer le travail accompli sur certains plans. On recommande cependant au lecteur de se procurer le Blu-ray, encore mieux défini.

Son - 4,0 / 5

VOSTF Dolby stéréo et VF Dolby mono d’époque : choix nécessaire et suffisant pour le cinéphile francophone.

La VO est parfaitement restaurée (à une ou deux brèves coupures d’une fraction de seconde, dont une inopportune en plein durant le générique d’ouverture) et on peut jouir d’une des plus belles partitions jamais composées par le compositeur argentin Lalo Schifrin pour le cinéma. Les STF sont, pour leur part, correctement positionnés, à cheval sur la bande noire inférieure du format Scope 2.35. La VF d’époque est excellente sur le plan du choix des voix françaises (vieillissant cependant un peu trop la voix originale d’Anthony Quayle) mais un cran inférieure, techniquement, à l’ampleur originale de la VOSTF, car elle diminue le niveau du son d’une manière sensible : il faut remonter le niveau à la télécommande de presque une dizaine de crans pour retrouver le niveau original de la VOSTF. A noter une traduction intéressante : lorsque le colonel Radl mentionne la théorie irrationnaliste du psychanalyste et philosophe Carl Gustav Jung à son officier Karl, la « synchronicity » originale est traduite par « hasard objectif », ce qui n’est pas mal et qui est, d’ailleurs, immédiatement bien illustré par Radl, carte géographique à l’appui. En revanche, la VO qualifie Jung de penseur irrationaliste alors que la VF le nomme rationaliste. C’est, sur le plan de l’histoire de la philosophie et de la psychanalyse, la VO qui a raison contre la VF.

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony